Favorisée par une conjoncture sans pareille dans son histoire, l'Algérie conforte l'état de ses réserves de change qui dépasseront allègrement la barre des 60 milliards de dollars à la fin de l'année en cours, selon les estimations du ministère des Finances. Les prélèvements supplémentaires (environ 5 milliards de dollars) qui seront effectués pour les besoins du plan de soutien à la relance et du paiement anticipé d'une partie de la dette extérieure seront largement compensés par la hausse exceptionnelle des recettes d'hydrocarbures générées par des prix en constante augmentation. Le pétrole et le gaz ayant tendance à être de plus en plus cher eu égard à de nombreux facteurs structurels (croissance de la demande mondiale, offre restreinte de raffinage aggravée par les destructions de nombreuses raffineries américaines, incertitudes politiques, etc.), le Fonds monétaire international (FMI) estime que l'Algérie a toutes les chances d'en tirer durant au minimum 5 ans des recettes en constante hausses qui porteront ses réserves de change à un peu plus de 100 milliards à l'horizon 2010. Une manne qui ne manquera pas d'attiser la convoitise des firmes européennes qui ont commencé à se placer sur le marché algérien dont l'attrait vient du reste d'être renforcé par un démantèlement tarifaire au profit de bon nombre de leurs produits. Cette accumulation sans précédent de nos réserves de change ne manque toutefois pas de susciter des interrogations sur l'utilité de ce matelas devises dont les Algériens ne perçoivent toujours pas de retombées positives. Un citoyen assimile à juste titre la situation de nos finances publiques à celle qui prévaut dans le secteur de l'hydraulique, à savoir des barrages pleins, mais de l'eau qui n'arrive que parcimonieusement et de surcroît plus chère aux robinets. De la même manière, alors que le plein de nos réserves de change aurait dû se traduire au minimum par un net raffermissement du dinar par rapport à l'euro notamment et de convertibilité commerciale du dinar, mais seulement au profit des entreprises qui disposent d'encaisses suffisantes en dinars. Dans les faits, cela se traduit concrètement par un dinar qui vaut à peine 0,09 euro, alors qu'il en valait au moins le double au début des années 1990 lorsque notre dette extérieure dépassait 30 milliards de dollars et que nos réserves en devises étaient insignifiantes. Le commun des Algériens s'étonne de cette logique que nos argentiers nous imposent, une logique des plus aberrantes selon laquelle plus l'Algérie se porte bien aux plans économique et financier et plus sa monnaie dégringole ou pour le mieux condamnée à stagner à une valeur qui ne reflète pas du tout l'état général de l'économie du pays. Pour ce faire, un simulacre de marché interbancaire de la devise a été constitué à l'effet de fixer périodiquement la parité du dinar par rapport aux quantités de devises que la Banque d'Algérie y place à son gré du fait qu'elle est la seule institution autorisée à centraliser les encaisses en devises. Tant que les banques commerciales et autres détenteurs de devises ne seront pas considérés comme des acteurs à part entière de ce marché interbancaire la parité du dinar continuera à être elle aussi les injonctions des pouvoirs publics. Pour ce qui est de l'emploi de ces réserves par les entreprises, il faut savoir que la réglementation portant convertibilité commerciale du dinar leur fait obligation de détenir dans leurs comptes l'équivalent en dinars des financements en devises requis à moins de se faire solvabiliser par leurs banques. Ces dernières préférant ne pas prendre de risques, peu d'entreprises sont accompagnées dans les opérations qui mobilisent de la devise et se trouvent exclues de la possibilité d'utiliser les réserves de change, pourtant largement disponibles. Et c'est précisément le nombre réduit d'entreprises algériennes répondant aux critères courants de convertibilité commerciale du dinar qui est à l'origine de l'accumulation des réserves de change qui gagneraient pourtant à être injectées dans l'économie productive plutôt que d'être déposées dans des banques de placements étrangères, même si les taux d'intérêt pratiqués seraient avantageux. Faute d'entreprises remplissant les conditions d'accès aux devises tel que défini par la réglementation portant convertibilité commerciale du dinar, il y a donc un véritable risque manifeste de thésaurisation des réserves de change dans un contexte de très fort besoin en devises émanant de pratiquement tous les secteurs économiques en quête de capitaux. La plupart de nos entreprises n'étant pas éligibles au mode de convertibilité en place, la tendance consiste aujourd'hui à chercher les devises indispensables sur le marché informel. Cela leur coûte évidemment plus cher, mais ceux qui y ont recours estiment gagner sur le temps qui est comme on le sait une donnée essentielle dans le domaine des affaires. Alors que la réglementation existe et que de nombreux opérateurs sont prêts à s'installer dans la fonction de cambiste, on ne comprend pas pourquoi il n'existe toujours pas de bureaux de change agréés en Algérie. Les chefs d'entreprises ne comprennent également pas pourquoi il n'existe pas de guichets de change à terme qui leur permettraient de mobiliser des devises, y compris celles que la Banque d'Algérie a placé dans des banques étrangères, à des conditions avantageuses qu'ils auraient eux mêmes négociées. La mise en place de bureaux de change courant et de guichets de change à terme constituerait pourtant un pas significatif dans la mise en place d'un marché du change à défaut duquel l'avènement d'une économie de marché en Algérie ne serait qu'une simple vue de l'esprit. C'est pourquoi leur création à très brève échéance devrait figurer au rang des toutes premières priorités de la Banque d'Algérie et du ministère des Finances.