Le pédagogue voit dans ce «marché» l'expression d'une «logique ultralibérale» basée sur la «compétition et [le] rendement scolaire». En… saignants/commerçants.» Ainsi désigne Ahmed Tessa une catégorie de profs qui ont fait des «cours particuliers» un véritable business à l'ombre du «marché informel du savoir». Sous le titre Eradiquer le fléau des cours payants (édition Le Tremplin, 2016), le pédagogue s'en prend, en effet, avec véhémence, à ceux qui ont cessé d'exercer leur métier comme un sacerdoce et qui se sont lancés avec frénésie dans cette «lucrative» filière des cours payants, au détriment de leur prestation en classe. Ahmed Tessa cite l'exemple de l'Egypte, où les «dorouss khoussoussia» sont devenus un vrai problème de société. Il prend toutefois le soin de préciser d'emblée que «l'écrasante majorité de la famille enseignante demeure intègre et dévouée à ses élèves». Il prévient encore: «Il ne s'agit point de jeter l'opprobre sur l'ensemble des fonctionnaires de l'éducation nationale, ni de faire l'amalgame». Notons d'ailleurs que le livre est dédié au défunt Redouane Osmane, «éducateur au grand cœur, mort la craie à la main au champ d'honneur du savoir et de l'éducation». Voilà qui devrait lever toute ambiguïté à l'adresse de ceux qui seraient tentés de faire reproche à l'auteur de «mettre tout le monde dans le même sac». Le propos d'Ahmed Tessa est de dénoncer un système, qui a transformé l'enseignement en une sorte de rente de situation, avec, à la clé, une «marchandisation» des connaissances. Esquissant une genèse du phénomène, il indique que celui-ci «a pris racine dans la capitale au début des années 1990, avant de s'étendre à toutes les villes et certains villages du pays». Son moteur, dissèque-t-il, c'est cette angoisse lancinante devant la «sacro-sainte» note, et la crainte de manquer les examens de passage qui ponctuent le cursus scolaire. D'où le recours massif à ces cours complémentaires. Plusieurs griefs sont retenus contre les enseignants qui se prêtent à ce «commerce juteux». D'abord une forme de tricherie, en attribuant des «notes gonflées» à ceux parmi leurs élèves, à l'école, qui leur «achètent» des heures supplémentaires. Selon l'enquête de l'auteur, ces évaluations flatteuses sont «gonflées à dessein pour donner à tous l'illusion de progrès enregistrés». Et ceci, pointe-t-il, est fait aux dépens de l'effort que le maître est censé fournir en classe. «Le vrai soutien psychopédagogique n'apporte de plus-value aux séances d'apprentissage qu'au cours de la gestion quotidienne de la classe», insiste-t-il. Et de s'interroger : «L'enseignant peut-il offrir lors de ses cours vendus, plus ou mieux que ce qu'il propose en classe ?» Dans la foulée, l'auteur énumère tout un faisceau d'abus combinés : «Absence de registre du commerce, clandestinité, approches pédagogiques obsolètes, locaux non sécurisés, voilà le milieu dans lequel évoluent nos apprenants de tous les niveaux !» Par ailleurs, le pédagogue voit dans ce «marché» l'expression d'une «logique ultralibérale» basée sur la «compétition et [le] rendement scolaire». Selon son diagnostic, cela «crée un climat qui pousse des parents angoissés à exercer une forte pression sur leurs enfants». «La compétition scolaire, appuie-t-il, est assimilée à une lutte pour la première place, la meilleure note (…). Sacraliser cette ‘compétition' revient à minimiser, voire occulter, les deux piliers de la pédagogie de la réussite : l'émulation (et non la concurrence) et la motivation.» «Dédramatiser les notes» Pour endiguer ce «business de l'école parallèle», l'auteur préconise un certain nombre de pistes à explorer. L'une des solutions serait de revoir de fond en comble le système d'évaluation et d'en finir avec la dictature des notes. «En Finlande, meilleur pays au monde pour la qualité de son système scolaire, ce n'est qu'au collège que l'élève prend connaissance des notes», rapporte l'auteur. Il faudrait également supprimer, suggère-t-il, les examens de passage, notamment aux cycles inférieurs. A l'appui, il cite l'exemple de la «réintroduction, en 2006, de l'examen de fin de cycle primaire. L'impact fut rapide : l'explosion des cours payants dans le cycle primaire, dès la première année». Pour lui, il est donc impératif de procéder à une «refondation du système d'évaluation scolaire». Cela va «assécher la source qui alimente la machine commerciale des cours payants». Tessa appelle ardemment à «dédramatiser les notes» et à «humaniser l'évaluation» en évitant les contrôles basés sur le «bachotage». «La pédagogie moderne véhicule un concept nouveau : l'évaluation formative et formatrice», observe-t-il. «Les copies sont simultanément annotées et notées». «A l'opposé de la pédagogie du ‘remplissage/restitution' des connaissances, la nouvelle approche vise à développer et promouvoir chez l'élève les fonctions et aptitudes intellectuelles supérieures, telles que l'esprit critique, le sens de l'analyse, de la synthèse, la création/production originale». L'auteur assure qu' «au Danemark, depuis 2010, les candidats sont autorisés à consulter des documents pour construire leurs réponses lors des examens». Grâce à cette nouvelle forme d'évaluation, la note «perd sa fonction coercitive». «Pour gratifier l'élève, l'école de la réussite ne se soucie guère de la note/sanction. Elle conçoit l'évaluation comme un levier puissant de perfectionnement du processus enseignement /apprentissage», analyse l'éducateur. Ahmed Tessa se félicite de ce que la réflexion autour de ces nouvelles approches «figure en bonne place dans les recommandation arrêtées lors de la conférence nationale de juillet 2015». «Espérons que la stabilité du secteur, plaide-t-il, permettra leur application pour le grand bien de nos enfants et de la société algérienne».