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«Il faut mettre en œuvre une économie de résistance»
Mohamed Gouali. Economiste
Publié dans El Watan le 02 - 05 - 2017

Dans cette interview, nous avons abordé avec Mohamed Gouali des questions liées essentiellement à la conjoncture économique et financière. Economiste et spécialiste en consulting, Mohamed Gouali analyse pour nous les principaux indicateurs macroéconomiques du pays, certaines mesures dites anticrise et propose par la même occasion des pistes de travail novatrices qui rompent avec ce que l'on suggérait jusqu'ici. Il tente de rassurer en soulignant que tout n'est pas encore perdu, à condition que l'on passe aux cures de fond face à une crise profonde et structurelle. La gestion de cette crise suppose qu'il y ait, selon lui, une rupture avec les mœurs tant techniques que managériales qui ont caractérisé jusqu'ici le rapport des responsables aux éléments de la conjoncture.
- Un grand magazine européen de management vient de vous interviewer ce mois-ci avec Pascal Lamy, l'ancien directeur général de l'OMC, à propos des effets du libre-échange sur la croissance. Pouvez-vous en tirer des conclusions sur l'Algérie ?
Le libre-échange est synonyme de réduction des barrières tarifaires et non-tarifaires, supposée favoriser le développement. Or, toutes les études sérieuses montrent qu'il n'y a pas de lien entre la croissance économique et cette réduction de barrières. Pis, le libre-échange s'effectue au profit des pays exportateurs et toujours au détriment des économies productives locales, créant ainsi un effet d'éviction.
Dans les pays dits en transition comme l'Algérie, il est avéré qu'il a un effet dévastateur sur les industries naissantes. D'ailleurs, l'une des raisons de l'échec de diversification de l'économie de notre pays est aussi – mais pas seulement – la signature prématurément des accords de libre-échange prématurément avec l'Union européenne et la Zone arabe (Zale).
A l'instar d'autres pays, en Algérie la hausse du prix du baril de pétrole a donné lieu à une économie de facilité focalisée sur l'importation, annihilant la formation et l'émergence d'un esprit entrepreneurial créatif, capable d'atteindre l'excellence opérationnelle et de créer une richesse récurrente et endogène pour notre pays. Le libre-échange sans préparation et sans atouts, c'est aussi cela. Les accords avec l'UE ont, semble-t-il, été suspendus en février 2016. Il faut s'en réjouir, mais à condition que cette suspension soit effective.
Maintenant, il faut aller plus loin et négocier un moratoire de dix à quinze ans. Il s'agit de faire une pause et mettre à profit ce laps de temps pour faire confiance à notre intelligence et construire une vraie dynamique économique. C'est ainsi que nous pourrons disposer de leviers de création de richesse et d'emplois nécessaires pour satisfaire la demande du marché intérieur et se développer à l'international, ce qui in fine contribuera à l'équilibre et à l'excédent de notre balance commerciale hors hydrocarbures. Assurer la pérennité de l'indépendance économique et financière de notre pays est à ce prix.
- Cela fait presque trois ans que les cours du brut ont décroché, fragilisant l'économie algérienne fortement dépendante des recettes pétrolières. Selon vous, au vu de la situation actuelle des finances publiques, de quelle marge de manœuvre dispose encore l'Algérie ?
Le tableau de bord de l'économie algérienne présente des résultats très en deçà de ce qu'exige la situation du pays. Il suffit d'analyser trois d'entre eux. En 2016, notre balance courante rapportée au PIB (incluant les flux monétaires dus aux hydrocarbures) est à -17%. Cela signifie que l'Algérie n'a pas réussi à développer des industries susceptibles de générer une dynamique compétitive.
Il est à craindre que ce résultat pousse dangereusement à la solution de facilité qui consiste à vouloir compenser ce déséquilibre par le siphonage de nos réserves de change et à éveiller la tentation facile d'un endettement endémique. Le solde budgétaire est toujours largement négatif, comme si aucune prise de conscience sérieuse – illustrée par les incohérences de la Loi de finances 2017 – n'est venue rompre un laxisme dans des dépenses non rentables.
La moyenne annuelle de l'inflation, quant à elle, est annoncée étrangement à un niveau de 6% sans qu'il soit possible de connaître la part de l'inflation importée. Celle-là même qui, alimentée par une dépréciation sans fin du dinar et les importations, érode dangereusement le pouvoir d'achat des classes moyennes, ce qui, à terme, n'est pas sans impact sur la stabilité sociale du pays. Ce rappel signifie que, techniquement, il y a encore beaucoup à faire pour rattraper les échecs récurrents que le président de la République a lui-même reconnus encore récemment dans sa lettre aux Algériens.
Les marges de manœuvre dont vous parlez existent. Elles combinent réduction et maîtrise des dépenses négatives, c'est-à-dire non génératrices de richesse à long terme, et stratégie de croissance sur des secteurs ciblés. Réduction et maîtrise des dépenses ne signifient pas austérité. La première évite le gâchis, la seconde freine le redressement et la croissance.
Il s'agit donc dans un premier temps de mettre en œuvre ce que j'appellerai une «économie de résistance», c'est-à-dire aller plus loin dans un vigoureux assainissement de nos finances, une rigoureuse «dépolitisation» de nos dépenses, une collecte et un contrôle des impôts transparents et sans faille, et un sérieux filtrage des importations de produits de consommation ordinaire, pour ne se concentrer que sur les produits de nécessité absolue (médicaments par exemple), et les équipements de production.
Les statistiques sur le commerce extérieur du ministère du Commerce sont un aiguilleur de référence pour déterminer la catégorie des produits à importer. En parallèle, il subsistera deux axes d'amélioration que cette opportunité de crise économique permet d'aborder. Tout d'abord, la refonte des processus fonctionnels et opérationnels de l'administration pour la nettoyer de ses lourdeurs bureaucratiques et l'organiser par objectifs.
Ensuite, l'intégration, toujours évoquée mais jamais réalisée, d'une grande partie du commerce informel (il serait sûrement contre-productif de vouloir le supprimer complètement du fait de sa hiérarchisation et de son coût d'intégration) dans le circuit économique normal par des mécanismes novateurs et des incitations. L'enjeu est majeur : générer des recettes fiscales (enfin) maîtrisées et pérennes, stabiliser et sécuriser les emplois y afférents et corollairement protéger l'effort de production et d'innovation locales.
La régularisation de l'informel, une politique fiscale efficace, et une administration débureaucratisée sont le pré-requis de l'entrée de l'Algérie dans la gouvernance moderne. En parallèle, cette phase est une opportunité pour concevoir et mettre en œuvre une véritable stratégie de croissance, crédible, réaliste et attractive pour les investisseurs locaux et internationaux, dont l'objectif déclaré sera la réduction de sa dépendance aux hydrocarbures de près de 40% en cinq ans et de 70% en dix ans.
La voie pour atteindre cette performance n'a rien à voir avec la construction d'usines de montage de voitures ou de textiles. En résumé, l'Algérie ne peut plus faire l'économie d'un travail de fond sérieux et hautement sophistiqué, dont l'aboutissement serait la création d'un essaim d'entreprises, publiques et privées, planifiées à travers tout le territoire – appelons-les «Tech Valleys» – et qui seraient autant de relais de croissance et de prospérité dans des secteurs multiples.
Le rôle de l'Etat consistera à contrôler la concrétisation de cette stratégie et l'éclosion de ces entreprises, en favorisant la concurrence interne qui devra graduellement s'installer entre les wilayas, les villes, et même les communes afin de créer un bouillonnement concurrentiel seul à même de favoriser compétitivité et prospérité.
Lorsque nous aurons construit notre économie et que celle-ci sera cohérente dans ses diverses fonctions, alors se posera l'éventualité d'une privatisation ou d'ouverture du capital de telle ou telle entreprise publique.
Envisager les privatisations comme moyen de résoudre les problèmes de gouvernance stratégique est une fuite en avant et un non-sens politique et économique. L'Etat devra ainsi jouer son triple rôle de stratège, planificateur et régulateur.
- Face à la crise, le gouvernement a pris certaines mesures : réduction des importations, coupes dans le budget d'équipement, renoncement graduel à certaines subventions, etc. Est-ce la bonne méthode pour une sortie de crise ?
Votre question est intéressante, mais elle sous-tend un jugement de valeur que je ne me permettrai pas de porter aussi bien sur ce qui a été fait ou comment cela a été fait. Prenons les choses sous un autre angle. Certaines des mesures qui ont été prises sont nécessaires, je l'ai dit précédemment. Il y a cependant un problème qui complique la situation. Il n'est pas tant dans les dispositions prises, mais dans leur efficacité pratique. Il y a une différence entre prendre une décision, savoir la mettre en œuvre et contrôler sa pertinence. Voyez-vous, on ne soigne pas une hémorragie avec un sparadrap mais plutôt en sachant poser un garrot.
Trois ans après le début de la chute des prix du pétrole, en mai 2014, l'ensemble des indicateurs économiques sont encore dans le rouge et les progrès observés sont très lents, donc pas suffisants pour sortir de la crise et encore moins pour rebondir. de mon point de vue, une des raisons essentielles est que l'on persiste à envisager la résolution du problème par de simples correctifs à apporter à certains types de dépenses en attendant que les cours du pétrole repartent à la hausse. Je crois qu'il faut une approche différente.
Constatons d'abord, sans polémiquer, que la crise à laquelle fait face l'Algérie est la conséquence d'erreurs de jugement, de gestion et de la non-anticipation d'un événement exogène comme l'affaissement des cours du baril de pétrole, alors qu'il est bien connu qu'outre la volatilité boursière des matières premières, les cycles économiques sont devenus de plus en plus courts. Il est donc essentiel de tirer rapidement les leçons de ces erreurs pour changer notre façon de penser, de travailler et d'agir. En un mot, de se transformer.
Pour y parvenir, et il n'est pas trop tard pour le faire, la première étape consiste à créer un sentiment d'urgence pour faire prendre conscience de la situation et du changement à venir et responsabiliser toute la société, du sommet à la base. C'est un gage de crédibilité qui devra se prolonger par la définition d'une stratégie globale de développement diversifié qui assure la transition graduelle d'une économie basée sur la rente à une économie basée sur l'expertise, l'innovation, la compétitivité, et atteindre l'indépendance économique.
Ce dont il s'agit ici, c'est, après avoir assaini nos finances et rétabli des indicateurs macroéconomiques équilibrés, de penser notre développement comme la résultante d'une interdépendance et une imbrication de tous les secteurs de la société : éducation, enseignement supérieur, social, santé, système bancaire, etc.
Techniquement, il y a suffisamment d'intelligence dans notre pays pour que notre peuple puisse réussir grâce à la combinaison judicieuse de ses atouts distinctifs : ressources humaines, géographie, matières premières, histoire, culture et géopolitique. La vision, la pertinence de la stratégie et l'ambition de ses objectifs, l'ingéniosité et la planification des plans d'action sont les plus pertinents critères qui vont rendre l'Algérie attractive auprès des investisseurs.
Pas les multiples versions du Code d'investissement et surtout pas la discussion byzantine autour du 51/49. Pratiquement, le plus difficile est la décision politique et tout ce qu'elle recouvre de courage pour oser une transformation profonde du paradigme de notre gouvernance, notre relation au travail et à la performance et le changement d'une mentalité formatée sur l'accaparement d'une rente multiforme.
S'il faut faire des sacrifices, ils doivent être d'un coût acceptable pour la société – la consolidation de notre pacte social, la non-destruction de nos actifs de production – et partagés par toutes les structures de la Nation, et en premier lieu par l'institution gouvernante qui doit donner l'exemple. Dans ce sens, l'Etat serait bien avisé d'envoyer un message fort qui illustre sa décision de se transformer lui-même, en rationalisant son propre budget de fonctionnement. Un exemple symbolique fort : réduire la taille du gouvernement. L'Algérie dispose de 32 ministres alors que la Chine, deuxième puissance économique au monde, en a 28 et l'Allemagne, première puissance européenne, en a 19 !
La même comparaison peut se faire pour d'autres institutions politiques budgétivores dont l'utilité reste à prouver. Se contenter d'acheter la paix sociale n'a permis qu'à augmenter un pouvoir d'achat factice et nuisible. Factice, car aussi bien l'augmentation effrénée des salaires non corrélée à la productivité ou les incitations de type Ansej, pour lesquels l'Etat a joué le rôle de «Business Angel» mais sans en avoir le suivi compétent, n'ont pas été inscrits dans une perspective stratégique de développement.
Nuisible, car cela a créé une dépendance et a accru la notion d'assistanat par le haut. Tout cela ne peut réussir aussi que si nous développons une approche géoéconomique forte, encore une fois planifiée par l'Etat pour aider le «made in Algeria» à conquérir des parts de marché là où notre géopolitique est influente.
- N'est-ce pas là une arme à double tranchant, car certaines mesures provoqueraient un effet pervers qui risque de compromettre l'objectif de sortie de crise ?
Il est peut-être intéressant de définir au préalable ce que signifie pour les uns et les autres la «sortie de crise». Le mot «crise» n'est apparu dans le lexique des officiels et des médias algériens que depuis que le cours du baril a commencé à chuter. Un baril à 100 dollars signifie-t-il la fin de la crise ?
J'estime, pour ma part, que l'Algérie est en crise chronique depuis qu'il s'est avéré – et cela remonte à loin – que son économie productive n'était pas suffisamment forte pour produire une offre diversifiée qui satisfasse la demande intérieure, que ses universités et sa recherche produisaient une élite qui ne trouvait reconnaissance et épanouissement qu'en allant par milliers s'installer à l'étranger, asséchant les capacités de notre pays, et sans que cela déclenche une inquiétude chez nos gouvernants, bien au contraire, que les maux sociaux tels que la corruption avaient fini par métastaser toute la société et que la conscience nationale en était à rendre «normales» toutes les trivialités.
Nous avons là toutes les caractéristiques de la paupérisation et du délabrement de la pensée politique.
Ceci précisé, vous avez bien sûr raison d'appréhender les effets pervers que les mesures d'austérité – prises dans l'urgence pour faire des économies – peuvent engendrer, surtout qu'elles ne s'inscrivent pas dans le cadre d'un changement structurel dans lequel il faudra repenser un nouveau pacte social, complété par un plan de redressement et de développement dans l'esprit que j'ai mentionné plus haut.
Et cela est d'autant plus pervers qu'elles ont été adossées à une communication qui versait dans l'improvisation et la contradiction.
Les Algériens se rappellent qu'en 2014, le discours sur la situation et le devenir du pays était optimiste, mais juste après on les prévenait qu'on entrait dans le «takachouf» ! Il n'est pourtant pas trop tard pour que notre pays transforme une «crise» en «opportunité» pour entrer dans le cercle enviable des pays émergents. Il suffit de le vouloir.
- Comment voyez-vous les trois prochaines années ? Quelle serait la capacité de résilience de l'économie algérienne, d'autant plus que nombre d'économistes plafonnent les cours du baril à 60 dollars ?
Pour pouvoir se projeter sur les trois prochaines années, il faut prendre une photographie de la situation présente et récente. Outre les mauvais indicateurs macroéconomiques comme les déficits, le chômage et l'inflation, il faut prendre en compte les prévisions de croissance qui, selon la Banque mondiale et le FMI, vont passer de 4,2% en 2016 à 1,4% en 2017, et 0,6% en 2018.
Taux à rapprocher de celui de la croissance démographique annuelle, estimé à 2,15%. Des taux de croissance aussi faibles ne pourront qu'accentuer les déficits, voire le malaise social. Les réserves d'un peu plus de cent milliards de dollars – en dynamique baissière – serviront encore à entretenir la croissance par les dépenses publiques pour amortir les effets de la baisse de rentrées de devises.
Les mêmes causes (et ressources) produisant les mêmes effets négatifs, de mon point de vue, aucune des initiatives prises depuis 2013-2014, sur le fond et sur la forme, n'est susceptible de faire sortir l'Algérie de l'impasse. Je n'abonderai pas davantage sur ce point. A moins d'une brusque remontée du baril à plus de 55 dollars, provoquée par une crise géopolitique majeure, l'Algérie n'échappera malheureusement pas à un effet de stagflation et, pire encore, au recours à l'endettement.
Le cours du pétrole remontera-t-il sur les trois prochaines années pour éviter à l'Algérie ce dilemme ? Les trois types de variables – rationnelle, subjective et politique – qui dictent son cours sont à cerner de près. Une analyse mondiale des investissements, des explorations et des productions effectuées sur une année permet de situer les disponibilités réelles sur la partie «offre» qui, rajoutées aux stocks existants (en pétrole conventionnel et de schiste), et au volume de la «demande», directement relié au taux de croissance des pays acheteurs, peut donner une probabilité de la marge d'oscillation du prix du baril.
A cela viennent se greffer des considérations de spéculation boursière, et celles d'ordre géopolitique, les deux difficiles à simuler.
En conséquence, une étude académique américaine de référence prévoit plutôt une fourchette entre 70 et 75 dollars. Mais, quel que soit le niveau du baril du pétrole, à l'issue des trois prochaines années, l'Algérie devra compter uniquement sur ses revenus productifs et faire sienne la mentalité de ne plus dépendre de facteurs exogènes.
C'est cela le défi.
- Le FMI, dans son rapport récent sur l'économie algérienne, conseille à l'Algérie d'accélérer les réformes structurelles face à la crise. Faut-il s'attendre à une aggravation de la crise si les cures prescrites tardent à donner les effets souhaités ?
Le FMI, ce sont justes des «comptables», spécialistes des comptes nationaux. Ce ne sont ni des stratèges ni des politiques. Autrement dit, il serait illusoire de leur prêter des compétences en développement ou en «redressement». Leur récente visite en Algérie s'inscrit dans le cadre de la rédaction de l'Article 4, préparé pour quasiment tous les pays du monde. Ils font une évaluation des comptes nationaux et se contentent de recommandations usuelles.
Ils ne sont pas là pour définir à notre place ce que vous appelez un package de réformes structurelles, car le FMI n'intervient qu'en dernier recours lorsque le pays a montré son incapacité à gérer et lorsqu'il aura perdu la confiance de ses habituels créanciers ou des investisseurs internationaux.
Pour répondre à votre question, oui, bien sûr, cela va s'aggraver, d'autant que les cures prescrites pour reprendre votre expression sont elles-mêmes insuffisantes pour insérer le pays dans une dynamique pérenne, comme je l'ai expliqué. Ce que je voudrais faire comprendre, c'est que nous devons rester maîtres de notre stratégie et pour cela éviter de finir par avoir recours au FMI.
La non-soutenabilité de nos finances publiques nous imposera le recours au FMI si nous ne faisons rien, car avec notre notation «D» par la Coface il ne faut guère compter sur les marchés pour nous financer à des taux raisonnables. Nos réserves de change offrent quelques garanties à d'éventuels créanciers, mais elles sont dans une dynamique baissière et auront été diminuées par 2 en seulement 4 ans d'ici la fin de cette année. Et lorsque nos réserves seront moins confortables qu'aujourd'hui, il sera alors beaucoup plus difficile d'agir.
Nous devons le faire maintenant.
- Au-delà des aspects techniques liés à la crise, pensez-vous que le personnel politique à l'origine de la crise et de la fragilité dans laquelle s'est embourbée l'économie du pays est en mesure de conduire les réformes nécessaires ?
Nous vivons dans une ère à tout point de vue incertaine, ambiguë, férocement concurrentielle et dangereuse. Les brutales ruptures technologiques, la complexification de la finance et la prédominance des rapports entre Etats de type «jeu à somme nulle» ont provoqué des guerres et des séismes socio-économiques dont les populations et a fortiori leurs gouvernants peinent à en sortir.
Comme dans toute difficulté, l'émergence de nouveaux leaders devient une question de survie dans un tel environnement, impossible à gérer avec de vieilles recettes. Le peuple algérien se rend bien compte aujourd'hui que la voix de l'Algérie est éteinte sur le plan politique, non crédible sur le plan économique et déconsidérée sur le plan de la gouvernance. Il n'est pas trop tard pour remédier à cela.
Mais, plus le temps passe, et plus s'accroît la vulnérabilité de notre pays. L'Algérie a un besoin crucial de leadership. Non d'un homme providentiel, mais de quelqu'un connu pour son patriotisme, son expérience réussie, son éthique, son intégrité intellectuelle et sa capacité à faire adhérer autour d'une vision, d'une ambition, et d'un rêve, le peuple, tout le peuple, en ces temps de doute. Un leader politique qui ait déjà démontré sa capacité à faire les bons jugements sur les événements, et le choix des hommes, et à être une source d'inspiration et de confiance.
Il lui incombera de choisir alors son équipe – je dirais plutôt une «task force» – des femmes et des hommes à son image. Une équipe, cohérente dans son organisation, crédible dans la réputation de ses membres sur les plans national et international, sera à même d'apporter avec rigueur et méthode les changements et les solutions aux difficultés de l'Algérie. Elle seule pourra en particulier créer cette dynamique tant recherchée et faire émerger un nouvel état d'esprit positif, sain, tourné vers la performance, la justice, et la confiance en soi.
- La première entreprise publique, Sonatrach en l'occurrence, change encore de patron. Comment interprétez-vous ce énième changement à la tête de Sonatrach ?
Il n'est pas interdit, il est même recommandé qu'une entreprise ou une institution change de «patron» lorsque celui-ci n'atteint pas les objectifs pour lesquels il a été nommé. Rien d'anormal donc. Ce qui l'est, c'est la répétition de ces changements, surtout après plusieurs années d'exercice. Là, ce sont des erreurs de jugement de la part de sa hiérarchie.
Les conséquences sont évidemment importantes : perturbations dans l'organisation, démotivations, perte de crédibilité des partenaires, etc.
La question-clé à poser maintenant, c'est quels sont les critères rationnels pour lesquels on devient Pdg de Sonatrach, Sonelgaz, Air Algérie, etc. ? A-t-on jamais entendu un nouveau Pdg énoncer ce qu'allaient être ses objectifs quand il a été nommé ? A-t-on jamais lu les résultats concrets obtenus lors de ses mandatures ?
S'il fallait prendre le problème sous un autre angle, je dirais que les groupes comme Sonatrach et Sonelgaz, pour ne citer que ces deux mastodontes, devraient réfléchir à apporter leur contribution à la diversification de notre économie et à notre relative autonomie scientifique, technologique et industrielle.
Pour cela, je vois quatre axes.
Le premier, elles devraient orienter une partie de leurs investissements pour maîtriser l'amont et l'aval de leurs chaînes de valeur respectives de sorte à réduire leur dépendance à des groupes d'ingénierie étrangers, Le deuxième, corollaire de ce qui précède, elles devraient investir une part de leurs résultats dans la création de Centres de recherche et développement en Algérie ou ailleurs afin d'anticiper les évolutions technologiques de leurs secteurs respectifs. Un exemple : Aramco dispose de 11 centres R&D dans le monde et affiche près 123 brevets d'invention déposés aux USA pour la seule année 2015.
Le troisième, elles devraient être le moteur dans l'incubation de jeunes entreprises innovantes sur tout leur cycle de vie.
Le quatrième, elles devraient créer un Fonds d'investissement pour acquérir des entreprises à travers le monde et opérer des transferts de technologies en Algérie. Ce sont là des objectifs stratégiques qui méritent d'être une priorité des directions générales à la fois des groupes publics, privés ainsi que de certaines institutions.


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