Seulement une cinquantaine de votants sur les 11 000 inscrits se sont rendus aux urnes au premier jour du vote anticipé. Amira Bouraoui, la pasionaria du mouvement Barakat, ne s'est pas trompée en publiant sur son mur Facebook le nombre de votants à Montréal. Une cinquantaine d'inscrits ont voté samedi, premier jour du vote anticipé pour les Algériens à l'étranger. Pour le nombre d'inscrits, par contre, elle s'est royalement emmêlé les pinceaux en confondant le nombre d'Algériens immatriculés au consulat de Montréal, 86 000, et ceux inscrits sur les listes électorales, 11 000. Mais pourquoi lui tenir rigueur à l'ère des fake news et de la post-vérité ? Pour un samedi ensoleillé dans une ville qui attend que le printemps s'installe réellement, le résultat frôle le ridicule. Le vote ne semble pas intéresser les Algériens qui vivent à Montréal, siège du seul consulat algérien couvrant tout l'Est canadien, soit quatre provinces (Québec, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse et Terre-Neuve-et-Labrador). Plus de 95% des 120 000 Algériens du Canada vivent dans cette ville cosmopolite qui célèbre cette année son 375e anniversaire, elle fut un temps la capitale du Canada avant que la prude reine Victoria décide de lui préférer Ottawa. Les autres sont répartis inégalement entre les provinces de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie britannique couvertes pour ces élections législatives par le consulat d'Ottawa. Si l'engouement n'était pas au rendez-vous au consulat sis à la rue Saint-Hubert, on frisait l'émeute à quelques kilomètres de là, sur la rue Bélanger et plus précisément au café Tikjda près de l'artère commerciale le Petit Maghreb. Des centaines d'Algériens fans de Lounis Aït Menguellet attendaient en file indienne pour se faire dédicacer de la main de l'artiste son dernier album Tudert nni (Une certaine vie) lancé le même jour. La veille, ils étaient 1400 à l'Olympia de Montréal, venus l'écouter et célébrer avec lui son cinquantenaire de vie artistique. Il ne fallait surtout pas parler des élections avec des gens qui ont parfois fait des milliers de kilomètres pour venir voir ce monument du verbe et de la musique kabyles. «ça ne m'intéresse pas. Je laisse la politique aux politiciens. Je suis venue pour la poésie !» nous lance une dame qui vit depuis 19 ans au Canada, quand on tente de lui poser une question sur ces élections. A côté d'elle, un groupe d'amis venus des Etats-Unis et de l'Ouest canadien était plus réceptif aux questions du journaliste. «Nous ne sommes pas concernés. L'Algérie est une dictature», lance l'un d'eux, quand l'autre nous gratifie d'un : «Moi, je vote MAK. Ces gens-là votent pour des places pas pour la démocratie.» «Cette élection est un vote entre un système et ses sujets. Ceux qui croient en ce système vont voter pour lui. Nous, nous sommes à l'extérieur de ce système», conclut le fin analyste du groupe. Montréal n'a jamais cru aux élections algériennes. Aux dernières législatives, le taux de participation était d'un peu plus de 8% — sur les 10 000 inscrits, 888 avaient voté. La confection des listes des candidatures n'a pas été facile. 12 listes se disputent la zone 4 (Europe hors France, les Amériques et le reste du monde). Il fallait trouver des colistiers qui acceptent de jouer les seconds rôles. Houria Gaceb, tête de liste pour le parti de Tahar Benbaïbeche, El Fadjr El Djadid, n'a pu déposer sa liste qu'à la dernière minute. Amar Souab, un consultant en développement des affaires internationales, a tenté sa chance avec le MPA. Le désistement de son colistier à la dernière minute et les contraintes bureaucratiques (casiers judiciaires algérien et canadien…) ont eu raison de sa candidature. Retour au café Tikjda mais quelques jours plus tôt. En arrivant l'après-midi, le calme régnait malgré les deux parties de dominos qui s'y jouaient. On est accueillis par une affiche du dernier roman de Karim Akouche, La religion de ma mère. Des portraits de stars de la chanson kabyle accrochés aux murs à côté d'affiches de galas passés ou à venir ne trompent pas : nous sommes dans un haut lieu populaire de la communauté kabyle de la ville. Le Petit Maghreb est à deux rues plus au nord. Sur le grand écran surplombant le présentoir, où on peut choisir des gâteaux secs, principalement des bradj à 1,50 dollar l'unité, se déroulait un match de football sans grand enjeu sur beIN Sports. L'emblème berbère est bien visible au-dessus du comptoir. Karim, originaire de Béjaïa, qui vit à Montréal depuis 7 ans, a reçu comme tous les Algériens immatriculés au consulat un courriel, comme on dit correctement au Québec, l'informant du vote. «Je ne connais pas les candidats. Au fond, un député pour l'émigration, ça ne sert à rien. Je comprends qu'en Algérie ça peut être important pour un parti de participer pour ‘‘survivre''. Mais le Parlement lui-même ne sert à rien, car le régime est présidentiel. Il faut changer le régime avant tout», nous explique-t-il et au même moment les esprits commençaient à s'échauffer autour d'une des tables de dominos. Sale temps pour les députés sortants Le soir, rue Jean Talon, au cœur du Petit Maghreb au café Safir. On est accueillis par l'inévitable beIN Sports sur deux écrans 48 pouces. Ici, Ennahar TV a la cote. Des gravures représentant la vie nomade dans le Sahara algérien tapissent les murs. A l'entrée, le babillard regorge de petites annonces pour cours de football, des recherches de location pour nouveaux immigrants et même des cours de japonais. Rachid, originaire de Sig, travaille dans ce populaire et célèbre point de ralliement des fans de l'équipe nationale de football. «Oui, je vote, nous répond-il. Le pays a besoin d'institution stable, peu importe qui sont dedans.» Abdelhak, client habitué des lieux et originaire de Sidi Bel Abbès, n'est pas du même avis. Il déplore que «le vote ait un caractère tribal en Algérie». «Les députés cherchent des privilèges. Cette élection ne changera pas le système», ajoute-t-il. Dehors, les commerces halal et autres commencent à fermer. Un dernier client se fait une boule à zéro chez le coiffeur du coin. Les lumières sont toujours allumées dans cette mosquée ou plutôt salle de prière – un célèbre journaliste local, originaire de France, a rendu les lieux très connus avec son livre Montréalistan. Peu d'affiches de candidats jusqu'à ce qu'on arrive à la permanence électorale du FFS, au coin de la rue Jean Talon et de la 16e avenue. On est dans la circonscription électorale de Justin Trudeau, le Premier ministre canadien. Les affiches de Mohamed Ferrah, tête de liste, et les photos de Hocine Aït Ahmed tapissent la devanture des lieux et les murs à l'intérieur. Sur la table, des piles de prospectus du programme du parti. «Nous en avons imprimés 10 000, pratiquement le nombre d'inscrits sur la liste électorale», nous dit le candidat tête de liste. Il avait demandé au consulat la liste électorale. Il l'a reçue mais sans l'information la plus utile pour lui, soit l'adresse qui lui permettrait de faire sortir les gens pour voter. Il est convaincu que si la participation est élevée, le FFS obtiendra facilement 25% des voix, selon un sondage en ligne. Lui aussi a dû faire face aux aléas de la bureaucratie de l'administration algérienne. En déposant les dossiers des candidats et suppléants, le consulat lui a exigé les originaux, la veille de clôture de l'opération de dépôt. Or, sa colistière Mokhtaria Bennourine réside en Belgique. Il a dû faire un aller-retour Montréal-Bruxelles et passer par Munich au retour. Le tout en moins de 24 heures et une facture de 1800 dollars au bout de la ligne ! La candidature de cet ancien élu de l'APW d'Alger arrivé au Canada en 2007 a suscité des remous au sein du microcosme FFS de Montréal. Il a réussi à convaincre son parti de le choisir à la place du député sortant Belkacem Amrouche. Le même sort a été réservé par le FLN à son député de la zone 4, Noreddine Belmeddah (lire l'article de Ali Aït Mouhoub). Certains l'ont accusé de n'avoir même pas de carte du parti. Accusation qu'il balaie du revers de la main. «ça me fait rire ! J'en ai 25. J'ai été élu en 1997 sur la liste FFS de l'APC de Bir Mourad Raïs, puis en 2002 à l'APW d'Alger. J'étais le plus jeune congressiste en 1991», explique celui qui a toujours son bureau d'études en architecture à Alger. Le député sortant du FFS, qui, de toute évidence, n'a pas accepté sa mise à l'écart, s'en est pris au choix de son parti en l'affichant publiquement sur Facebook. «Pourrions-nous voter sur un projet sans que les personnes qui se portent sur ces listes de candidatures soient de véritables militants de ce même projet ; ils étaient même des ennemis de ce projet à une date pas lointaine, peut-être même des chargés de missions maudites», a-t-il mis sur son mur. Actuellent, il serait mis en observation par le FFS. Y restera-t-il ? Seul l'avenir nous le dira. Pour le moment, la naissance de son deuxième enfant lui apporte joie et réconfort loin de l'arène politique. Mohamed Ferrah de son côté affirme, à la fin, qu'il restera toujours au FFS même s'il perdrait cette élection.