Le succès qu'ont réalisé les deux vidéos, Mansotich et Lettre aux parlementaires, des deux podcasters Chemsou Dz Joker et Anes Tina ont fait «trembler». Même le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, a réagi en accusant les youtubers de «vouloir démobiliser la société». El Watan Week-end revient sur la polémique. «Le ministre Mohamed Aïssa n'a qu'à s'occuper de son ministère et des Affaires religieuses. Il n'a pas à s'ingérer dans le vote ou dans les législatives. Ce n'est pas son rôle», répond Anes Tina, podcaster (youtuber), aux propos tenus contre lui par le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, joint par téléphone. Réagissant aux vidéos des podcasters qui ont appelé au boycott des législatives, notamment Anes Tina et Chemsou Dz Joker, le ministre Mohamed Aïssa n'a pas raté l'occasion cette semaine de les marteler. Lors d'une conférence de presse tenue par le ministre, ce dernier a carrément accusé ces jeunes youtubers d'«atteinte au prophète et ses disciples» et de «vouloir démobiliser la société». «Nous étions étonnés, moi, les intellectuels, les présidents de parti et les militants quant à cette campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux. Quelqu'un dit : je ne saute pas et j'espère qu'il ne sautera jamais. L'autre se moque du film Erissala (le messager de Mustapaha El Akkad), du prophète et de ses compagnons (sahaba) (…) Mais le but est le même : démobiliser les Algériens par rapport aux prochaines législatives», s'indigne le ministre. Les deux podcasts, qui ont causé la colère du ministre, sont surtout Mansotich «je ne saute pas pour ne pas dire je ne vote pas» de Chemsou Dz Joker (de son vrai nom Chemseddine Lamrani) et Lettre aux parlementaires de Anes Tina. Mais les craintes du ministre ne sont pas fortuites. Mansotich, diffusée le 27 avril dernier sur Youtube, a réalisé jusqu'à hier 4 millions de vues. Lettre aux parlementaires, diffusée une journée avant, a cumulé elle aussi plus de 3 millions de vues sur le même canal. Désormais, le succès qu'ont généré ces deux vidéos ont fait «trembler» les plus hautes sphères de l'Etat, qui ont craint que ces deux youtubers n'arrivent à convaincre les Algériens de boycotter les législatives. La série d'attaques à laquelle ces podscatsers ont fait face depuis une semaine a été même appuyée par les médias connus par leur allégeance au pouvoir. Parodie «Je ne me suis attaqué ni au prophète ni même à ses compagnons. Erissala n'est qu'un film comme tous les autres avec un scénario, un metteur en scène et des acteurs. D'ailleurs, son contenu est discutable. Et puis, si je l'ai pris comme exemple, c'est parce qu'il parle de l'époque païenne (Koreich), ce qui est actuellement le cas, selon moi, en Algérie», rétorque Anes Tina. Et d'ajouter : «Pourquoi notre ministre n'a-t-il pas réagi aux propos du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui a pris les sourates du Coran pour de la poésie et au ministre du Commerce de l'époque, Amara Benyounes, quant à la vente d'alcool ? Mohamed Aïssa n'a vu que Anes Tina quand il s'est exprimé sur les législatives ?» Parodie du film Erissala, le scénario traité par Anes Tina dans son podcast Lettre aux parlementaires raconte en réalité l'histoire de deux villages en conflit, celui du peuple et celui des parlementaires. Le message que voulait passer le jeune podcaster de 27 ans était clair : «Boycotter les législatives.» «Ce n'est pas une vidéo qui appelle au boycott mais elle parle de ceux qui veulent boycotter et j'en fais partie. Personnellement, je ne fais pas confiance aux politiques. Ils ne font que mentir. Ils ne se rappellent de nous qu'à l'approche des élections. Quant aux députés, ils ne connaissent que le OUI et votent toujours des lois qui vont à l'encontre des intérêts du peuple. Ils nous ont habitués par leurs mensonges. C'est à eux de changer et pas nous», s'emporte Anes Tina. L'autre podacster visé par le ministre est Chemsou Dz Joker. Celui qui est derrière la fameuse phrase qui fait encore ravage et que tous les Algériens connaissent «Chkoun Hna ?, qui sommes-nous ?» est revenu cette fois-ci avec Mansotich qui a créé le buzz depuis quelques jours sur les réseaux sociaux. Mansotich Habitué des succès sur Youtube, Dz Djoker fait encore parler de lui. Sa vidéo a même fait le tour des médias du monde, notamment les chaînes de télévision arabes. Sur un fond de musique de James Horner tirée du film Braveheart de Mel Gibson qui raconte l'histoire du légendaire écossais William Wallace, le texte de Mansotich était plus un slam qu'autre chose. Les mots qu'a utilisés le comédien pour argumenter sa position de boycott des législatives, ont été d'une force de verbe inouïe. Il a parlé notamment des problèmes qu'endurent, entre autres, les handicapés, les étudiants en pharmacie, les harraga ou les pères de famille qui vivent dans le désarroi après le plan d'austérité décrété par l'Etat etc. Chemsou Dz Joker a réussi à séduire encore une fois les Algériens. Il est devenu pour certains, le nouveau «héros» de sa génération. «Pourquoi vous ne voulez entendre ma voix qu'à l'approche des élections ? Vous voulez réellement entendre la mienne ? Alors mansotich (….) Au lieu de nous construire un hôpital, vous (le pouvoir décisionnel) nous avez construit une mosquée de 2 milliards, pourtant nous avons tous des tapis de prière à la maison. C'est pourquoi, qu'à chaque fois que le propriétaire de la maison (Bouteflika) tombe malade, il part à l'aéroport (…) Mansotich, et qualifiez- moi d'ignorant si vous voulez, car vous ne m'avez pas éduqué. Il est vrai que les études sont gratuites mais le niveau est bas. Raison pour laquelle, leurs enfants font tous des études là-bas (étranger). Mansotich, je suis pharmacien. Je ne fais que demander mes droits. Pourquoi me tabassiez-vous ? Mansotich, je suis père de famille et ma paie ne suffit pas. Mansotich», raconte Chemsou Dz Joker dans sa vidéo Mansotich. Youtube Pour comprendre pourquoi ces deux podcasters ont été fortement critiqués par le ministre et les médias pro-pouvoir, il suffit juste de revenir aux chiffres des personnes qui les suivent sur les réseaux sociaux, la cote de leur popularité, la force des messages qu'ils portent mais surtout le nombre de lecture que leurs vidéos réalisent sur Youtube. En quelques mots, ces deux podcasters, faiseurs d'opinion, arrivent eux aussi à mobiliser à travers leurs vidéos. Leurs appels au boycott des législatives risquent bien d'être entendus par le peuple, notamment les jeunes. Avec ses 1,2 million d'abonnés sur sa page Facebook, 850 000 sur Youtube et 88 millions de vues sur le même canal, Anes Tina, ce jeune youtuber originaire de Kouba, est considéré par les observateurs comme l'un des podcasters les plus influents et les plus regardés en Algérie. De la société à la politique, Anes a réussi surtout à casser les tabous qui gangrènent la société algérienne. On se souvient de sa vidéo réalisée à Tizi Ouzou où il s'est fait passer pour un «Kabyle raciste» afin de montrer aux gens que cette image collée à la Kabylie est fausse. Son égal dans ce domaine, Chemsou Dz Joker est lui aussi devenu incontournable sur la scène DZ du podcast. Avec sa chaîne Youtube qui cumule près de 900 000 abonnés et près de 60 millions de vues, Dz Djoker est suivi par 1,6 million de personnes sur Facebook. Ce jeune Algérois de Bab El Oued, devenu une star en quelque temps notamment avec «Chkoun Hna ?», a même inspiré Pepsi qui a lancé une publicité où l'on a vu Ryadh Mahrez scander le même slogan. Mais la défaite des Verts à la dernière Coupe d'Afrique, organisée au Gabon, a donné des idées au podcaster qui a repris le concept dans un scénario très critique envers l'ancien président de la FAF Mohamed Raouraoua et le gouvernement, notamment sur la cherté de la vie et la loi de finances 2017. «Chkoun Hna ?» qui a été vue 3,5 millions de fois a fait le buzz mais Mansotich reste jusque-là, le chef-d'œuvre de l'artiste. Son succès et surtout le contenu politisé de sa vidéo a fait réagir même la tête de liste à Alger et cadre du RND, Seddik Chihab. Lors de son passage chez Khaled Drareni sur Echourouk TV, Seddik Chihab a qualifié le jeune comédien de «Bobo». Il nous a été malheureusement impossible de joindre Chemsou Dz Joker, mais Anes Tina semble déterminé et carré sur le boycott des législatives. Quant à leurs vidéos, elles continuent à faire le tour des réseaux sociaux et à être partagées par des milliers. Le Hashtag «Mansotich» a été même créé sur Twitter. Son écho a, désormais, dépassé les frontières.