Le récent limogeage du ministre de l'Education, le dirigeant nidaiste Néji Jalloul, est un cadeau pour les islamistes d'Ennahdha et les syndicalistes de l'UGTT, associés avec Nidaa Tounes dans l'exercice du pouvoir en Tunisie, sous l'égide du gouvernement d'union nationale. Le paysage politique se complique davantage dans un environnement de crise socioéconomique. Les observateurs avérés ont compris, depuis février 2015, que le choix du dirigeant de Nidaa Tounes, Néji Jalloul, à la tête du ministère de l'Education n'était pas fortuit. C'est à cet historien islamologue issu de la gauche laïque, que Béji Caïd Essebsi a délégué la délicate tâche de diriger la réforme du système éducatif, chère aux libéraux. Les islamistes d'Ennahdha ne pouvaient refuser ouvertement un tel choix, eux qui ont perdu les élections du 26 octobre 2014. Mais, en bons manœuvriers, ils se sont alliés aux nationalistes arabes et ont exploité l'anarchisme de la gauche radicale, présente dans les syndicats de l'enseignement, pour mener la vie dure à Néji Jalloul et son projet de réforme. Après 27 mois d'exercice, sous trois gouvernements, Jalloul a fini par être limogé le week-end dernier par Youssef Chahed, son camarade à Nidaa Tounes, sous la pression de la forte centrale syndicale UGTT, élément essentiel pour la stabilité de l'accord de Carthage et du gouvernement d'union nationale. Les islamistes, eux, d'Ennahdha riaient sous cape. Nouveaux enjeux Depuis le premier gouvernement de Habib Essid, après les élections de 2014, il était clair que l'UGTT avait un droit de veto sur les nominations au sein du gouvernement, voire même la marge de manœuvre des ministres. Les islamistes d'Ennahdha n'avaient pas ce droit et se suffisaient à être représentés au sein du gouvernement, dirigé par l'indépendant Essid. Le deuxième gouvernement Essid (6 janvier 2016) a conforté la position d'Ennahdha, mieux représenté. Mais l'UGTT, tout comme Nidaa Tounes et Ennahdha, ne voyait plus d'un bon œil l'indépendance affichée de Habib Essid, poussé vers la sortie à travers un vote de retrait de confiance de l'ARP, le 30 juillet 2016. Le fameux accord de Carthage (13 juillet 2016), socle du gouvernement d'union nationale (GUN), avait déjà scellé le sort de Habib Essid. Le nidaiste Youssef Chahed a été désigné pour diriger le GUN, un gouvernement plus politique que les précédents. Toutefois, vu les nouvelles circonstances, marquées par l'affaiblissement de Nidaa Tounes suite à la sortie des députés d'Al Horra de Mohsen Marzouk, l'appétit de pouvoir d'Ennahdha s'aiguisait et les islamistes obtenaient presque le même nombre de départements que Nidaa Tounes. Pour sa part, l'UGTT continuait à imposer son veto. Le brillant ministre de la Santé, le nidaiste Saïd Aidi, n'a pas été reconduit à cause de sa rigueur dans la gestion du département, qui n'avait pas plu aux syndicalistes du secteur. Le même scénario a été appliqué le week-end dernier, lors du limogeage du ministre de l'Education par le chef du gouvernement. Ce sont les syndicats qui ont été à l'origine de cette décision. Les syndicalistes ne veulent pas de la rigueur introduite par ce ministre, ni de la teneur libérale de sa réforme. Contrepartie La présidence de la République vient de présenter devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) une nouvelle version de la loi de réconciliation économique. L'Etat a besoin de certaines recettes de ce projet de loi pour boucler le budget 2017. Mais, ce projet de loi suscite des réserves aussi bien chez les syndicalistes de l'UGTT que les aigles d'Ennahdha, qui ont laissé entendre, lors du conseil de la choura du week-end dernier, qu'ils sont contre le projet de loi dans sa version actuelle. Pour satisfaire l'UGTT, le ministre de l'Education, le nidaiste Néji Jalloul, a été limogé, la veille de la fête du 1er Mai. Le secrétaire général de la centrale syndicale, Noureddine Taboubi, a salué le «geste responsable du gouvernement». Concernant la loi sur la réconciliation nationale, Taboubi a juste demandé que les recettes soient orientées vers le développement régional, ce qui est déjà acquis dans le projet en cours de discussion. L'UGTT se sent déjà impliquée dans la logique de cette loi et continue à défendre l'accord de Carthage. Quant aux islamistes, ce qui n'a pas été ouvertement dit, c'est que ces aigles du conseil de la choura veulent une compensation pour les années de plomb sous Ben Ali. Le député Samir Dilou a régulièrement répété que les bénéfices de la loi de la compensation, votée pendant la gouvernance de la troïka, n'ont pas été encore distribués. Ces aigles veulent donc tirer un profit direct de cette loi. Pourtant, un rapport de la Banque mondiale a mentionné que la compensation a coûté 1,4 milliard de dinars (640 millions d'euros) au budget de l'Etat sous la troïka.