Une question somme toute légitime, connaissant le bilan des précédentes législatures. Jusque-là, l'APN, composée majoritairement des partis au pouvoir, a toujours été considérée comme une «chambre d'enregistrement». Aussi, durant les précédents mandats (2002, 2007 et 2012), les parlementaires n'ont pas été une force de propositions ni de débats. Leur mission s'est limitée à adopter, systématiquement, les lois en provenance du gouvernement. Même les quelques amendements proposés pour certains projets n'ont pas été avalisés. Dans certains cas, les députés ont défendu d'autres intérêts. Utile de rappeler dans ce cadre qu'une initiative avait été menée pour lever l'interdiction de l'importation de la friperie. L'on se souvient aussi que Amar Saadani, alors qu'il était président de l'APN (entre 2004 et 2007), était impliqué dans l'affaire de détournement de fonds (450 millions de centimes) de la Générale des concessions agricoles (GCA) destinés à la valorisation des surfaces steppiques. Une affaire qui avait bloqué plusieurs projets de développement local dans les wilayas concernées. Sur un autre plan, les questions posées par les députés ne trouvent généralement pas de réponses. L'Assemblée, dans le cadre de ses prérogatives, qui peut instituer à tout moment des commissions d'enquête sur des affaires d'intérêt général, ne le fait pas, à l'exception de l'enquête des émeutes de l'huile et du sucre en 2012, dont les résultats n'ont pas été convaincants, allant dans le même sens que la conclusion du gouvernement. Cela pour résumer que les parlementaires qui se sont succédé à l'Assemblée n'ont pas vraiment joué leur rôle de contrôle de l'action du gouvernement qu'ils soutiennent largement. Ils n'ont pas également apporté de grands changements dans les circonscriptions qu'ils représentent. Préoccupations Les députés élus par une minorité d'Algériens, vu le fort taux d'abstention, apporteront-ils leur touche cette fois dans la mise en place des conditions de développement local et durable avec toutes les promesses tenues lors de la campagne électorale appuyée par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, lors de son périple à travers certaines wilayas ? Pour l'heure, l'appel est déjà lancé à cet effet du côté du gouvernement. «Nous appelons les nouveaux députés qui auront à siéger à l'APN à travailler avec responsabilité pour répondre aux préoccupations de la population, en appliquant les programmes présentés lors de la campagne électorale», a indiqué M. Bedoui, lors de la conférence de presse dédiée aux résultats préliminaires des élections législatives. Une manière de souligner l'implication des députés dans l'amélioration du quotidien des populations qu'ils représentent. Ceux qui vont laisser leurs places à leur successeurs de la septième législature se sont-ils réellement impliqués dans ce travail ? En réponse à cette question, ils n'ont pas manqué de se défendre. Bilan «Notre mission se limite à porter les préoccupations des populations au gouvernement. Chose que nous avons faite durant notre mandat, que ce soit dans les sessions plénières, les questions orales et écrites ou dans les commissions. Mais la prise en charge était partielle», reconnaît Torche Toufik, député du Front de libération nationale (FLN) de la wilaya d'Oum El Bouaghi. Ce que certifiera aussi son camarade de Médéa, Bedda Mahdjoub : «On a apporté une valeur ajoutée à notre wilaya. Je pense que nous avons joué pleinement notre rôle en matière de contribution au développement rural.» Il nous donnera comme exemple le dégel de certains projets dans l'éducation nationale, les acquis pour le secteur du logement, l'agriculture, la réalisation de nouveaux axes routiers, l'augmentation du taux d'alimentation en gaz dans une wilaya qui compte 64 communes. «Nous avons même contribué à promouvoir l'investissement local, puisque nous avons enregistré 400 actes. Nous avons une très bonne relation avec l'Exécutif. Ce qui nous a facilité la tâche», rappellera-t-il. Avant de poursuivre : «La situation financière du pays avec la chute des prix du pétrole ces dernières années n'a pas joué en notre faveur.» Mais cette excellente relation, ajoute notre interlocuteur, a plutôt permis au gouvernement de faire passer certaines lois en toute aisance sans opposition. C'est du moins ce que pensent d'autres députés. Smaïn Kouadria, du Parti des travailleurs (Guelma), abonde dans ce sens. «L'Assemblée sortante n'a pas joué son rôle. Tous les amendements ont été rejetés et les lois votées par les partis au pouvoir, le FLN et le RND. C'est une APN qui était aux services de l'oligarchie, même si pour ce qui nous concerne, nous avons arraché de nombreux acquis pour notre région», constatera-t-il. Lakhdar Benkhelaf, élu à Constantine pour un autre mandat à l'APN pour le compte d'El Adala, énumérera pour sa part les questions orales (45) et écrites (450) posées aux membres du gouvernement et les correspondances (2200) envoyées aux différentes administrations. «Globalement, ces doléances ont été satisfaites», précisera-t-il. Ce que notera également Mme Ourida Kessal député du Rassemblement national démocratique (RND) à Tizi Ouzou. «Notre travail a été pleinement assuré au profit du développement local.» Mme Kessal citera les grands travaux d'équipements publics (barrages, autoroutes…), le raccordement au gaz naturel (98%) et l'électrification rurale (80%). Sans commentaire. Cependant, relèvera-t-elle : «Beaucoup reste à faire.» Pour cela : «Il y a lieu d'adopter une nouvelle politique, avoir d'autres et travailler sur les spécificités régionales.» Mme Kessal regrettera d'ailleurs le fait de ne pas avoir réussi à arracher un fonds spécial pour les zones montagneuses, comme c'est le cas pour le Sud et les Hauts-Plateaux. «C'est ce que nous avons demandé, mais la crise nous a bloqués. J'espère que le dossier sera remis sur le tapis», poursuivra-t-elle. Et ce, au même titre que d'autres questions susceptibles d'apporter un plus aux populations qu'elles soient dans les zones urbaines, rurales, sahariennes ou montagneuses. Car, théoriquement, les députés sont appelés à jouer leur rôle d'animateurs du développement local, même si les affaires locales concernent avant tout les collectivités locales. Et ce, en plus de leur rôle d'intercesseurs entre le pouvoir et les citoyens. Le député est en effet censé être l'interlocuteur privilégié et permanent des maires, des services de l'Etat, des milieux socioprofessionnels et des associations. Il a, en somme, l'obligation de faire du plaidoyer auprès des pouvoirs publics pour mener des actions de développement à travers la facilitation de l'implantation d'entreprises ou d'industries dans sa région pour créer des richesses, mais surtout de l'emploi, essentiellement en cette période de boom démographique et de risque de hausse du taux de chômage. Pouvoir réduit «Il dispose d'une marge de manœuvre plus grande, en termes de développement local, qu'un maire, pour la simple raison que les actions de développement d'un député ne sont soumises à aucun contrôle de la tutelle», notera un spécialiste. Ce qui n'est pas le cas sur le terrain. «Tout a été fait pour minimiser le pouvoir des deux Chambres, puisque les ordonnances présidentielles sont prises en intersessions et adoptées en séance plénière… sans débat. Force est de constater que les lois les plus sensibles et les plus controversées (lois de finances et celles complémentaires, loi sur les hydrocarbures, loi sur le code des investissements, celui de la famille…) ont été adoptées à travers la procédure de l'ordonnance et entérinées par les deux Chambres. Les propositions d'amendements des députés et sénateurs ne sont pas prises en compte par le gouvernement, qui reste le maître du jeu parlementaire, en flagrant délit du principe démocratique de séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire», résumera l'expert Mourad Goumiri, rejoint dans cette analyse par l'économiste Mohamed Achir, qui fera remarquer : «L'APN n'a jamais été autorisée à légiférer sur des questions, comme les formes d'organisation de l'Etat, les politiques économiques structurelles, le développement local, la fiscalité locale, etc. C'est le pouvoir exécutif qui propose pratiquement toutes les lois ou l'abrogation de celles existantes.» Et de poursuivre : «Les partis politiques qui remportent la majorité soutiennent inconditionnellement le programme de l'Exécutif et se retrouvent incapables de proposer des lois structurelles susceptibles d'orienter et de structurer une alternative économique, alors que les députés de l'opposition subissent la dictature. La majorité de leurs propositions de lois sont rejetées au niveau du bureau de l'APN.» De l'avis de notre interlocuteur, pour toutes ces raisons : «Il ne faut pas se faire d'illusions sur le rôle de l'APN dans le développement local. Dans le meilleur de cas, les députés vont plaider pour augmenter la cagnotte des Plans communaux de développement destinés aux collectivités locales.» Cap sur la décentralisation «Quid de la décentralisation ? Les partis politiques n'ont pas exposé de réels projets de décentralisation. C'est le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales qui va proposer une loi éventuellement sur la décentralisation et qui sera approuvée par les partis du pouvoir», répondra-t-il. A ce sujet, le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, a jugé lors de la dernière campagne électorale que la décentralisation était comme un «instrument probant» pour soutenir le développement local.«Il faut rendre la décentralisation effective», a-t-il plaidé, s'engageant à en faire un axe central de son activité au sein du nouveau Parlement. Pour Ouyahia, l'enjeu est de susciter la compétition inter-wilayas et l'exploitation pleine des potentialités locales et régionales dans l'intérêt général du pays. Un intérêt relevé également par le parti qui a remporté le plus de sièges, en l'occurrence le FLN, pour qui il y a à investir pour rebâtir les bases du développement local. Ce que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a souligné, mettant l'accent sur l'importance du principe de développement équilibré en termes d'aménagement du territoire et de croissance homogène. Or, c'est toujours l'attente à ce sujet, puisque le plan d'aménagement territorial peine à être mis en marche. De même pour les lois sur la commune et la wilaya, dont les changements prévus constituent les points sur lesquels se joueront les prochaines élections locales où l'enjeu sera encore celui de la participation. L'intérêt sera-t-il plus important ? Attendons pour voir. Mais il est clair que la nouvelle politique de développement local envisagée par le gouvernement ne peut se faire sans moyens adéquats. «Sans un effort financier conséquent par les collectivités locales et particulièrement les communes», expliquera le spécialiste en planification et statistiques, Ahmed Mokaddem. Pour ce dernier, l'urgence est d'aller vers une réforme globale des ressources financières et fiscales des collectivités locales. «Cette politique devrait reposer sur le principe que le citoyen demeure au cœur de toutes les stratégies et programmes de développement en tant qu'acteur fondamental», notera-t-il. Car jusqu'à présent, le développement local était l'affaire de l'administration centrale. «Le rôle des élus locaux se borne souvent à servir de relais à des projets ne correspondant pas forcément dans certains cas aux besoins réels des populations. C'est ainsi que les différents programmes de développement imposés et non concertés ont montré leurs limites», enchaînera-t-il, plaidant dans ce sillage pour le renforcement de la maîtrise de la planification et pour la mise en place d'une gestion participative des communes.