Gérer les affaires des autochtones et celles des déplacés est une gymnastique à laquelle s'adonne le maire de Kaïs, bien imbriqué sur une solide pyramide tribale. Un maire à vocation « intercommunale », puisque les projets de sa commune vont déborder inéluctablement sur le territoire des localités voisines, appelées à vivre dans un parfait commensalisme. Voyage à Kaïs, terre bénie de la reine Kahina. Par une froide mais ensoleillée journée de novembre 2006, nous parcourons les derniers kilomètres qui nous séparent de la commune de Kaïs, wilaya de Khenchela. Il est 9 h du matin. La commune d'El Hamma que nous traversons pour rejoindre celle de Kaïs nous accueille d'emblée avec son imposant centre universitaire situé à l'entrée de la commune. L'air est vif et le paysage est moins hostile et moins rude qu'au niveau du tronçon de route situé entre Aïn Zitoun (wilaya d'Oum El Bouaghi) et la commune d'El Hamma. A l'entrée de Kaïs, (ex-Edgar Quinet) une ville construite en 1905 durant l'occupation française, se dresse sur une stèle un aigle symbolisant la vaillance des habitants de cette région des Aurès. Semblable, de prime abord, à bien d'autres villages de l'Algérie profonde, avec le centre-ville colonial et la rue principale le long de laquelle se côtoient des institutions publiques comme le tribunal, à l'entrée, la daïra et le siège de l'APC, la commune de Kaïs, située à 22 kilomètres de la wilaya de Khenchela ambitionne de devenir un grand pôle urbain, d'autant que cette commune à vocation agricole, est actuellement en pleine expansion urbanistique, se métamorphosant en un immense carrefour pour la population des localités environnantes. « Il est bon de vivre à Kaïs », ne cessait de répéter le maire de la ville, fier de faire les éloges de sa commune, de louer la tranquillité des lieux et le « boom » des chantiers, mais vivre aussi avec le statut de ville « attractive » n'augure pas toujours que de bonnes choses, surtout quand ce profil n'est pas nécessairement le résultat d'une révolution urbanistique grandeur nature, mais la conséquence d'un exode massif des populations avoisinantes durant les années de terrorisme. Partant de 27 000 habitants recensés dans les années 1990, sa population a augmenté considérablement, ces dernières années, pour atteindre pratiquement les 40 000 âmes actuellement. Une situation générée par l'exode des populations durant la décennie noire. « Notre commune draine des gens de partout. Parce qu'elle est, avant tout, calme et paisible, parce qu'elle dispose d'un important hôpital d'une capacité de 240 lits et aussi parce qu'elle a bénéficié, ces derniers mois, de projets d'envergure qui lui ont apporté une touche supplémentaire. Kaïs est devenue, ainsi, incontournable pour les habitants des communes voisines de même qu'elle l'est pour les automobilistes en direction de Tunisie ou du Maroc », nous confie M. Beleulmi, maire de cette commune d'obédience FLN. Pour certains habitants, la stabilité dont jouit l'Assemblée communale a contribué également à l'afflux des citoyens à Kaïs. Une stabilité largement attribuée au poids des archs, au nombre de quatre dans cette région des Aurès. « Chaque vice-président siégeant au conseil communal est issu d'un arch. Et cela contribue énormément à garantir la cohésion dans la gestion des affaires de la commune, d'autant que le poids des traditions est encore bien ancré à Kaïs », nous a précisé un sexagénaire interrogé à ce sujet, imputant, en partie, la « quiétude politique » de la commune à son maire. Le poids des archs Le P/APC en place avait, affirme-t-on, lui-même élaboré la liste des candidats FLN aux élections locales d'octobre 2002, « prenant soin d'assurer un bon dosage tribal de telle manière à impliquer toutes les grandes familles des archs dans la gestion de la ville ». Selon un enseignant dans un groupe scolaire, rencontré à proximité du siège de l'APC, « il n'y a pas de doute, Sid'Rayes (Monsieur le président de l'APC, ndlr) a bénéficié d'une véritable moubayaâ de la part des tribus de Kaïs ». Composée de 6 élus FLN, 4 RND et 1 Ennahda, l'APC de Kaïs est, en effet, la seule commune de la wilaya de Khenchela à ne pas avoir enregistré de motion de retrait de confiance au président en place. « Depuis que j'ai pris mes fonctions de maire en octobre 2002, je n'ai jamais rencontré d'opposition du reste des élus. Nous travaillons de concert dans la transparence et je défie quiconque m'accuserait moi ou un autre membre de l'assemblée de nous servir dans les caisses de l'APC. Ici, il n'y a pas de corruption », a déclaré M. Beleulmi. Un avis partagé par un cadre technique de l'hôtel de ville qui a estimé, à ce sujet, que « l'esprit d'équipe des municipaux a grandement favorisé un climat serein et permis une meilleure application des délibérations, à la grande satisfaction des administrés ». Quant à ses détracteurs qui lui reprochent une gestion « approximative », Beleulmi préfère répondre par le langage des chiffres et nous expose, à cet effet, les nombreuses réalisations et les projets en cours. Véritable chantier à ciel ouvert, Kaïs est actuellement, il est vrai, en pleine « révolution urbanistique » que ce soit au centre-ville ou à sa périphérie grâce à une multitude de projets réceptionnés ou en phase de l'être et qui devraient donner, selon le maire, « un autre visage à la commune ». Le « boom » des chantiers A Kaïs, en effet, les projets sont nombreux d'autant que cette municipalité a bénéficié d'un budget global de 421 milliards de centimes tous secteurs confondus. De l'aménagement du centre-ville (chaussée et carrelage) pour un montant de 26 millions de dinars à la réalisation d'une salle omnisports, d'une piscine semi-olympique et d'un centre d'hémodialyse, les gestionnaires de la municipalité de Kaïs devraient également réceptionner, à la fin du mois de décembre 2006, un nouveau souk hebdomadaire s'étalant sur une superficie de 1,5 hectare. Lors de notre visite à Kaïs, le maître de l'ouvrage avait achevé la clôture et s'apprêtait à s'attaquer au bitume et à achever celui de la route du souk. Celle-ci contourne la commune et évitera ainsi aux citoyens de transiter par le centre-ville. « Les automobilistes qui empruntent la RN 88, menant de Khenchela à Batna, pourront désormais se rendre directement au souk en passant par cette route », nous a déclaré un proche collaborateur du maire, lors de notre visite sur les lieux, et à ce sujet, Beleulmi a affiché son ambition de voir le nouveau souk détrôner celui de Boulefrais, d'autant que Kaïs est située à un carrefour entre Chemora (commune de la wilaya de Batna) et Aïn Zitoun notamment. L'ancien site du souk devra quant à lui accueillir la future cité administrative de la commune avec un centre des finances, une bibliothèque communale et un nouveau siège de la daïra. Autres projets en cours de réalisation : un nouveau siège pour la commune, qui sera réceptionné normalement en 2007, soit à la fin du mandat de l'équipe en place, et la construction de 267 locaux commerciaux au profit des jeunes dont 104 ont été édifiés au niveau de l'ancien site des ex-Galeries algériennes. Or, avec plus de 2000 demandes enregistrées, l'APC de Kaïs aura du mal à satisfaire les postulants. C'est ce qu'affirme un jeune de 26 ans, chômeur, natif de Kaïs, rencontré dans le hall de l'APC : « Pour nous les jeunes, le quotidien n'est pas simple, comme partout ailleurs en Algérie. Ici, si on ne travaille pas la terre il faut s'occuper autrement sinon les journées sont mortellement longues et ennuyeuses. Certes, les choses bougent, mais beaucoup reste à faire, surtout en matière de structures de jeunesse ». Et si les enfants de Kaïs ne trouvent pas assez d'aires de jeux pour jouer, ils n'ont, cependant, pas à parcourir plusieurs kilomètres pour se rendre à l'école puisque la commune dispose de 3 lycées, 2 CEM et 16 groupements scolaires. Kaïs « phagocyte » ses voisines Qualifiant sa commune de « petit bijou », le maire de Kaïs nous a révélé, par ailleurs, que l'« attractivité » exercée par sa commune a accru le prix du foncier devenu, selon lui, plus cher qu'au niveau du chef-lieu de wilaya. Ainsi, dans ce petit havre de paix, la « tranquillité » d'un petit F3 - pas-de-porte - est, affirme le subdivisionnaire de l'urbanisme, cédée à 120 millions de centimes alors qu'un terrain de 120 m2 est vendu à 80 millions de centimes ! Or, avec les terres agricoles au nord, la commune de Kaïs a été contrainte de s'étendre, au fil des projets, au sud jusqu 'à saturation. En effet, les 558 logements du lotissement social et les 288 logements évolutifs déjà attribués, les 350 logements sociaux du programme quinquennal, qui seront achevés d'ici fin 2007, les 100 logements sociaux participatifs et les 100 logements locatifs actuellement en construction sont tous concentrés au sud de la localité. De même, concernant l'évitement de 6 kilomètres destiné aux 500 à 600 poids lourds qui transitent chaque jour par Kaïs, réalisé également au sud pour éviter à ces véhicules de transport de marchandises de traverser désormais la commune. Partant, la tension exercée sur cette localité dont les constructions ont atteint ses limites territoriales, a incité ses responsables à étudier, en collaboration avec ceux des communes de Tamza, Bouhmama, Chelia et Taouziet, la possibilité d'élaborer un PDAU intercommunal en faveur de l'extension de Kaïs. Ironie de l'histoire, la commune de Kaïs, qui a durant les années du terrorisme « hébergé » les ex-résidents des localités limitrophes avec de surcroît une prolifération des bidonvilles, engage à présent un vaste programme de réalisation de logements, entre autres, au profit de la population déplacée, en phagocytant carrément une partie des territoires de ces communes. Etant autrefois une localité rurale, force est de constater aujourd'hui que Kaïs s'est superbement mue en une ville urbaine allant jusqu'à s'offrir une crèche communale. Sans pour autant effacer les réflexes d'une ville conservatrice. Comme par exemple en consacrant au niveau de l'APC, une journée de réception pour les femmes et une autre pour les hommes…