A l'origine de la discorde, une stèle érigée à la mémoire des 28 chouhadas de la commune. Le maire, M. Belkhiati, aurait cédé le montage financier de ce monument à la SARL Armal, alors que sa réalisation a été faite par le matériel et la main-d'œuvre de l'APC. Des jeunes de la localité ont protesté et dénoncé cette “malversation”. Aucune autorité ne leur a prêté d'oreille attentive. Beaucoup d'autres accusations sont portées contre M. Belkhiati. Il s'en est défendu et accuse à sont tour un citoyen d'être à l'origine de la zizanie… C'est le jour où un “commando” de huit de ses jeunes a débarqué à Alger pour une “opération kamikaze” que Naïma, une commune de la wilaya de Tiaret, a fait parler d'elle. Opération kamikaze ? Une grève de la faim que ces jeunes Naïmis ont observée à la maison de la presse Tahar-Djaout pour protester contre la mauvaise gestion des affaires de leur “cité”. Ils étaient huit à braver les affres de la faim trois jours durant, du dimanche 15 août au mercredi 18 août, avant d'être rejoints, mardi, par quatre autres Naïmis. Ils l'ont suspendue, mercredi, après avoir arraché une ferme promesse de Dahou Ould Kablia, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur chargé des collectivités locales, d'envoyer une commission d'enquête ministérielle dans leur localité dans une quinzaine de jours. Cette grève est, certes, assez courte mais bien suffisante pour mettre sous les feux de la rampe leur localité jusque-là anonyme. Et d'étaler sur la place publique ses problèmes domestiques qui se résument essentiellement à la mauvaise gestion de l'APC et à de “supposées” dilapidations de deniers publics dont se serait rendu coupable leur maire. Ce qui les exaspère davantage, c'est le fait que la majorité des Naïmis vivent dans le dénuement, alors que leur commune nage dans l'opulence en engrangeant, selon eux, des rentrées annuelles avoisinant les 20 milliards de centimes. Qu'en est-il de ces accusations ? Déplacement sur les lieux. Un village plutôt qu'un chef-lieu communal Pour rejoindre cette contrée reculée, il faut parcourir une trentaine de kilomètres en prenant la route menant à Aïn D'heb de laquelle elle dépend administrativement. De vastes plaines toutes dorées s'offrent à la vue. À quelques encablures de Naïma, un camp : celui des Russes qui ont réalisé le pipeline. Il faut bifurquer à droite pour faire rentrer dans la “ville”. L'abord, ayant fait l'objet de travaux d'embellissement, est assez attrayant. À quelques mètres de l'embranchement, à gauche, s'élève une stèle, dédiée à la mémoire des 28 chouhada de la localité. De l'autre côté de la route, un chantier en pleine activité. Un projet d'une quinzaine de locaux commerciaux, dont la première pierre a été déposée par le président de la République à l'occasion de sa visite à Tiaret. Jusqu'au siège de l'APC, la “ville” se pare d'une façade quelque peu soignée mais sans attraits. C'est assez propre et le ruban de terre découpant la route en deux est planté d'arbres. Devant le siège de la poste où un seul fonctionnaire exerce est érigée une petite stèle témoin de l'inauguration par le président de la République du projet de gaz de ville. Entre la poste et le siège de l'APC qui lui fait face un grand espace. Au-delà, plus de cachet urbain. La ville redevient le village qu'elle a toujours été. Les poules sont lâchées dans les rues, picorant par-ci par-là. Certaines ruelles sont en terre battue. Les maisons sont des bâtisses à un seul niveau, peintes presque toutes en jaune. Elevé au rang de chef-lieu de commune en 1985, cet ancien village agricole de 10 000 habitants ne s'est toujours pas “urbanisé”. Il a grossi certainement. Sans se départir toutefois de sa mine désolante et franchement fruste des villages de l'intérieur du pays. Ni maison des jeunes, ni café, ni hammam, ni taxiphone… C'est un bourg fantôme. Et les poncifs répandus çà et là sur la “belle” Naïma — on l'a présentée comme la commune la plus cossue de Tiaret — volent en éclats. C'est à l'improviste qu'on a débarqué à Naïma. Pas une seule connaissance dans le coin. Le premier jeune approché pour nous indiquer la demeure d'un des jeunes grévistes donne la mesure de l'aversion, ou peut-être de la peur, toute algérienne pour la chose politique. “Moi je ne fais pas de politique”, nous a-t-il rétorqué quelque peu effrayé, pour s'éloigner subrepticement. Un autre, un jeune commerçant, s'est montré plus communicatif. Il s'est avéré par la suite être un ami du maire. “Il n'y a aucun problème ici à Naïma. Ceux qui étaient à Alger font dans l'agitation”, fera-t-il remarquer. Et de nous suggérer de se rendre à la mairie pour voir son premier responsable. sur notre insistance de voir d'abord ces jeunes, il nous a orientés vers une autre personne qui a eu l'amabilité de nous montrer la maison d'un de ces jeunes. Quelque temps après, il arrive. “On est au courant de votre venue. Les autres vont arriver d'un moment à l'autre”, lance-t-il. Un petit tour dans le douar et des échanges de propos anodins. “Je suis revenu d'Alger très malade. Je suis resté trois jours au lit”, confie-t-il. Père de deux enfants, il est au chômage. C'est chez lui qu'on a été rejoints par ses camarades, entre autres, Saâd N. et… son père. Tout est passé en revue : les abus d'autorité et les dilapidations des deniers publics dont se serait rendu coupable le maire, le chômage qui toucherait nombre de jeunes Naïmis, etc. “À notre retour d'Alger, le maire nous a approchés pour nous dire : avez-vous obtenu quelque chose ? Rien. Si vous êtes des hommes courageux, il ne vous reste qu'une seule voie : la montagne”, s'est indigné Saâd, qui assume ouvertement son opposition au maire. Mais pourquoi une grève de la faim et à Alger ? “On a frappé à toutes les portes mais personne n'a voulu nous écouter. Plus d'une trentaine de demandes d'audience ont été envoyées au wali. Quelque 367 lettres ouvertes sont adressées aux différentes autorités civiles et militaires (présidence de la République, ministères de l'Intérieur, de la Justice…). C'est le silence radio. Seul Dahou Ould Kablia nous a assurés, le 29 avril 2004, que le dossier est chez le wali. Mais depuis on n'a rien vu venir. C'est pourquoi nous avons décidé de recourir à cette action extrême et au cœur de la capitale. C'est le seul moyen d'attirer l'attention des responsables de ce pays et les inciter à prendre en charge nos doléances”, répond le “rebelle” de Naïma. Comme doléances, l'envoi d'une commission d'enquête ministérielle à Naïma pour éplucher la gestion de l'actuel maire, un élu FNA, qui a rejoint avec armes et bagages le parti d'Ahmed Ouyahia, qu'ils chargent de nombre d'accusations. La stèle, cette pomme de discorde Cette levée de boucliers contre le maire remonte à une année à peu près. C'est-à-dire le jour où les Naïmis ont su que le montage financier de la stèle a été empoché par un entrepreneur privé, alors que la réalisation des travaux est assurée par l'APC et… des citoyens bénévoles. “Comment on a découvert le pot aux roses ? En me levant le matin, j'ai trouvé la facture sous la porte. C'est alors qu'on a su la vérité.” La plaque en marbre où sont gravés les noms des chouhada a coûté 12,6 millions. En gros la stèle a été réalisée avec la coquette somme de… 970 807, 84 DA. Un membre de l'exécutif communal, ayant refusé de signer la délibération le jour où ce dossier a été soumis à ses pairs, juge ce coût astronomique. “Son prix réel ne doit pas dépasser 400 000 DA. Il y a anguille sous roche.” Les contestataires s'accrochent à cette affaire comme un naufragé à une bouée de sauvetage. “C'est la seule affaire où on a une preuve. Mais nous savons que si une commission d'enquête est envoyée beaucoup de choses seront découvertes”, affirme un adversaire du maire. Tous les gens approchés ont attesté que la réalisation de cette stèle s'est faite avec les moyens de l'APC. Chose que ne nie pas son président. Sec et expéditif, il a lâché : “Nous avons une tutelle et il y a les services techniques. Nous n'avons pas de compte à rendre à ces gens-là. Ils n'ont pas à interférer dans la gestion des affaires de l'APC.” Et d'expliquer : “Les travaux ont été entamés en décembre 2002 et notre objectif était de les finaliser avant le 24 février. Comme il a neigé cet hiver-là, on a loué deux engins à l'entrepreneur tout en affectant dans ce chantier des travailleurs de la régie communale. Ils ont travaillé 2 à 3 jours seulement.” Chose que confirme le chef de daïra qui assène : “Je les ai déjà reçus et on parlé de la stèle, du chômage, etc. Je défie quiconque d'apporter une quelconque preuve. Le dossier est au niveau de la justice. Il y a deux mois cette stèle a fait l'objet d'une enquête au niveau de la wilaya. Je suis prêt à recevoir n'importe quelle commission.” Avant de déclarer sentencieusement : “Je veille sur la gestion de cette commune.” Ceci dit, un procès-verbal de participation de l'APC à la réalisation de cette stèle, daté du 17 février 2003, nous a été remis. Il est signé par trois parties : le président de l'APC, le gérant de l'entreprise Armal et la Such. Cette participation, en matériel et en main-d'œuvre, est estimée à 53 000 DA. D'autres accusations mais… pas de preuves D'autres accusations sont portées contre le maire. La liste est assez longue : achat d'un malaxeur avec la rondelette somme de 300 millions de centimes qui serait tombé en panne à sa première utilisation — ce qui n'est pas le cas —, la location d'une tente à 33 millions de centimes le jour de la visite de Bouteflika dans la localité, un don de 500 millions à la JSMT et d'autres à la commune de Tiaret, la location de 13 000 ha de terres mises en défends d'une superficie de 30 000 ha, etc. Des preuves ? Aucune. Et les pourfendeurs du maire ne le cachent pas. “Nous n'avons pas de preuves. La seule qui est en notre possession est celle ayant trait au coût de la stèle. C'est pourquoi nous demandons une commission d'enquête. Beaucoup de choses seront mises au jour.” Sur la question de la location de la tente, le maire refuse même qu'on lui pose la question. “C'était la visite du président, vous n'avez rien à voir”, nous coupera-t-il sèchement. Pour ce qui est des dons, il les a mis sur le compte de “la solidarité intercommunale”. Concernant la location des 15 000 ha de terres steppiques mises en défends, une personne du secteur de l'agriculture accuse : “C'est vrai qu'officiellement seuls 13 ha sont loués aux fellahs. Mais en réalité 4 000 ha ne sont pas cédés. Que fait le maire ? Outre la surface louée officiellement à un éleveur, une autre est cédée à ce dernier en contrepartie d'une commission.” Là aussi pas une seule preuve. Pour leur part, le maire et le chef de daïra ont soutenu que la décision de ne louer que la moitié a été prise sur proposition des services de l'agriculture et par arrêté du wali. “C'est à titre préventif qu'on a procédé ainsi. L'autre moitié sera louée en octobre”, explique le chef de daïra. Ceci dit l'APC a engrangé de cette opération quelque 1,4 milliard de centimes. En tout et pour tout, les rentrées annuelles de l'APC ne dépassent pas les 5 milliards, assure le maire. Et les recettes annuelles de 20 milliards de centimes alors ? Une supercherie, selon les responsables de l'APC. Chômage ou pas chômage ? Il y a aussi le chômage. Les jeunes rencontrés — certains sont des pères de famille — se sont plaints de ne pas avoir de travail. “J'ai 5 frères et personne ne travaille. Un entrepreneur a bien voulu engager mon frère. Ayant subi une opération, ce dernier lui a proposé de m'enrôler à sa place. Quoique l'entrepreneur ait été d'accord en m'inscrivant sur la liste des recrues, le maire a usé de son influence pour rayer mon nom”, accuse-t-il. “Il dit avoir enrayé le chômage. C'est vrai, mais en poussant les jeunes à quitter la localité pour aller chercher du travailler à Sougueur, Tiaret, Oran…”, ironise Saâd. Pour sa part le maire reproche à ces jeunes de ne pas vouloir travailler. “J'ai éradiqué le chômage à 90%. On a créé quelque 300 emplois dont 80 dans la régie communale. Ils veulent tous travailler comme gardiens à la base de Sonatrach ou chez les Russes”, soutient le maire. “C'est une commune qui a pratiquement absorbé le chômage. Bien plus, nous avons une pénurie de maçons et de manœuvres”, surenchérit le chef de daïra. Et pourquoi alors toute cette contestation ? Du côté des autorités on pointe un doigt accusateur vers Saâd N. et, surtout, vers son père. Ce dernier a été présenté comme le principal instigateur de cette agitation. “Les autres sont pour rien. Ce sont ces deux individus qui tirent les ficelles. La raison ? Parce qu'on ne lui a pas donné de projet. Les problèmes des citoyens sont le cadet de leurs soucis”, accuse le maire. “C'est un groupe de démolisseurs mené par le père de Saâd. Lors des élections locales, ce dernier a soutenu l'actuel maire. C'est en lui refusant tout droit de regard sur la gestion de l'APC et de lui confier un quelconque projet sans passer par la procédure habituelle, c'est-à-dire la soumission, qu'il a changé le fusil d'épaule”, ajoute un des vice-présidents. Pour un fonctionnaire qui n'est pas de Naïma, c'est un problème tribal. “Certaines tribus ont mal accepté le fait que le maire ait placé des membres de sa tribu à des postes importants”, précise un autre. Ceci dit on soutient que le groupe de contestataires s'effrite jour après jour. “De 70, ce groupe ne compte maintenant qu'une dizaine. D'ici quelques jours, il ne restera que ce meneur, Saâd, contre lequel on a intenté une action en justice”, déclare, sûr de lui, le PAPC. Ses pourfendeurs l'accusent d'avoir acheté le silence des jeunes en leur accordant des projets. Le père Nouadhria soutient avoir eu une discussion avec le chef de daïra et que ce dernier l'a prié de raisonner son fils en contrepartie d'une somme de 20 millions de centimes que ce dernier et ses pairs se partageront. Le maire aurait fait de même en lui envoyant des émissaires forts de la promesse de leur donner une coquette somme de 120 millions de centimes et un projet de 1,2 milliard de centimes. Ce que démentent catégoriquement les deux responsables incriminés. “Le plus grand projet dont nous avons bénéficié est celui du stade. Il est de 800 millions ; c'est un projet sectoriel, c'est-à-dire géré par la wilaya et confié à une entreprise. Seule la clôture sera construite par l'APC”, rétorque le maire. Un maire travailleur mais… Et les autres citoyens, que pensent-ils de la gestion de leur commune ? Beaucoup reconnaissent un certain mérite au locataire de l'APC. Cet ancien chef des Patriotes, est à son 3e mandat. “Ici on n'aime pas les gens qui travaillent. Auparavant, on avait pratiquement rien. Aujourd'hui nous avons le gaz et le téléphone. C'est plus de la jalousie qu'autre chose”, a soutenu une infirmière. Gratifiant son bilan, M. Belkhiati dit avoir lancé, en une période très courte, plusieurs projets : l'assainissement, une polyclinique, un stade communal dont les travaux ne sont pas encore lancés, l'ouverture de plusieurs pistes, le fonçage de plusieurs puits, la dotation d'une école primaire en gaz… “Grâce à la régie communal nous avons réalisé une cantine avec 300 millions, alors que l'enveloppe qui lui est allouée est de 700 millions”, s'est-il épanché fièrement. “C'est un homme d'action qui a beaucoup de relations. Depuis son arrivée à la tête de la commune beaucoup de projets ont vu le jour”, déclare un homme d'un certain âge, posé et instruit. Mais il trouve son comportement quelque peu impulsif, voire méprisant. “Il lui arrive de chasser de son bureau un administré en le chargeant d'insultes doublées d'une interdiction de mettre les pieds à l'intérieur de l'APC”, nous a-t-on confié. Mohamed, la cinquantaine, s'est plaint d'avoir été… frappé par ce maire. Le meneur du groupe des contestataires, Saâd, dit avoir été menacé de mort par le même maire. “Il est venu à trois reprises chez moi. La première fois il m'a frappé à l'épaule en me menaçant : "Je peux te tuer comme un chien". La 2e et la 3e fois, il ne m'a pas trouvé. J'ai déposé une plainte contre lui au commissariat. Elle n'a pas été enregistrée "faute de témoins", alors que j'en avais trois au moins.” Aussi le surnomme-t-on “pharoûn”. Tout le monde semble le craindre. “Pour faire impression sur les gens et leur faire accroire qu'il a le bras long, il fait défiler à Naïma toutes les autorités, civiles ou militaires. Chaque jeudi le wali est ici”, a fait remarquer un Naïmi. “Ici c'est la loi de la jungle, le plus fort mange le plus faible”, ajoute un pourfendeur du maire. Exagéré ? Peut-être… A. C.