La dissolution du Syndicat autonome des travailleurs de l'électricité et du gaz (Snateg) par le ministère du Travail a suscité l'émoi chez les travailleurs de l'entreprise. Si la décision reste «abusive» pour le syndicat, elle demeure, du moins selon des sources proches du dossier, une «manœuvre du syndicat de l'entreprise (FNTEG) affilié à l'UGTA décidée avec la complicité du ministère du Travail». «La décision de la dissolution de notre syndicat (Snateg) prise par le ministère du Travail est abusive. Ce dernier n'a aucunement le droit de le faire. Nous allons poursuivre le gouvernement algérien auprès du Bureau international du travail (BIT). Des organismes internationaux comme IndustriAll global union, la Confédération syndicale internationale (SCI) ou Public services international (PSI) sont déjà saisis», déclare Raouf Mellal, président du Syndicat autonome des travailleurs de l'électricité et du gaz (Snateg), dissous mardi dernier par le ministère du Travail. L'information est tombée tel un couperet sur les adhérents du Snateg qui représentent, selon les chiffres de ce dernier, près de la moitié des travailleurs de Sonelgaz. Créé le 30 décembre 2013, le Snateg n'a pas arrêté de gagner du terrain, constituant trois ans plus tard une vraie menace pour le syndicat de l'entreprise affilié à l'UGTA, la Fédération nationale des travailleurs de l'électricité et du gaz (Fnteg), présidé par Achour Telli, qui a vu son champ de manœuvre se réduire depuis la naissance de ce syndicat autonome. Ce qui est étonnant, c'est que ladite décision n'a même pas été notifiée aux concernés. Ces derniers l'ont découverte sur les réseaux sociaux où ledit document du ministère a été partagé par les internautes. Ce n'est pas tout, car selon la loi n°90-14 relative aux modalités d'exercice de l'activité syndicale, «la dissolution d'un syndicat peut être volontaire, à travers le congrès national, où prononcée par voie judiciaire sur enquête du ministère après constat de faille». Etat Or, ni le congrès national du Snateg n'a pris cette décision ni même la justice ne s'est prononcée pour sa dissolution. Seules les condamnations des deux présidents qu'à connues le Snateg ont été évoquées par le document du ministère. Or, même la condamnation de ces deux derniers ne constitue pas une décision de justice qui exprime sa dissolution. Cela s'apparente à une décision politique. Les travailleurs qui ont eu droit à une lecture du document hier et avant-hier par les directeurs de distribution de Sonelgaz dans les différentes wilayas en sont certains. A Bouira, pour ne citer que cette wilaya, le directeur de la Société de distribution de l'électricité et du gaz (SDA), en l'occurrence Khaled Nacer, a carrément «mis en garde son personnel» en le sommant «à se soumettre à la décision du ministère». Lors de sa rencontre avec les cadres de son entreprise, ses divisionnaires et ses travailleurs, le directeur de la SDA de Bouira a prévenu : «Attention ! Là, c'est l'Etat qui s'implique.» Mais l'Etat s'implique en quoi ? Et pourquoi ? Un proche du dossier n'a pas manqué de donner certaines détails qui renfonceraient l'analyse faite par Raouf Mellal et ses adhérents sur «ce fameux compromis UGTA-ministère du Travail». «C'est le président de la FNTEG, Achour Telli, qui est derrière cette décision. Ce dernier, très influent, a multiplié récemment les rencontres avec le ministre du Travail. Il lui a même remis plusieurs rapports sur le Snateg. Achour Telli a peur que le syndicat autonome ne récupère tous les travailleurs de la Sonelgaz. Le ministère du Travail, lui, a fini par céder en lui accordant la décision de la dissolution du Snateg», confie-t-il. Selon la même source, «Achour Telli a même réuni son staff mercredi pour le féliciter et lui donner les dernières directives afin de faire barrage aux mouvements de protestation dans quelques wilayas du pays suite à la décision de la dissolution du Snateg». Tracas Consternation chez les travailleurs affiliés au Snateg. Avant-hier, alors que la décision du ministère n'était pas encore confirmée, ces derniers, pris de panique, n'ont pas cessé de passer des coups de fil tout au long de la journée afin de confirmer ou d'infirmer l'information. Des appels qui sont même parvenus à notre rédaction. «Le ministère et l'UGTA pensent que nous allons quitter le Snateg après l'annonce. Ils ont complètement tort, car c'est ainsi que nous allons le renforcer encore davantage. Maintenant, même ceux qui avaient peur de le faire auront une bonne motivation d'adhérer au Snateg. Nous serons encore plus forts dans l'avenir, avec ou sans la reconnaissance du ministère. Achour Telli et son UGTA peuvent se préparer à faire leurs valises. Ils sont la source du mal des travailleurs de Sonelgaz et ne nous ont jamais défendus auprès du groupe», menace un syndicaliste sous le sceau de l'anonymat. Raouf Mellal est convaincu que vu la dimension qu'a prise son syndicat par rapport à celui de l'UGTA, c'est le mouvement de protestation qu'organise le Snateg depuis plusieurs semaines qui fait peur au gouvernement. D'ailleurs, le Bureau national de ce syndicat a même décidé, il y a quelques jours, d'entrer, du 21 mai au 25 mai prochain, dans une grève nationale de cinq jours en réaction à ce qu'il a qualifié «d'intimidations de Sonelgaz à l'encontre de ses adhérents». «Le ministère du Travail vise le mouvement de protestation que nous organisons depuis quelques semaines dans les 48 wilayas du pays. L'UGTA est finie. Même leurs délégués l'ont quittée pour devenir de simples adhérents chez nous. Cela est la preuve de l'existence d'un malaise au sein de l'entreprise et ses partenaires. La FNTEG ne représente plus les travailleurs. Ces derniers ont trouvé en nos revendications l'écho en adhérant massivement à notre syndicat qui porte réellement leurs revendications et qui n'a pas peur d'investir le terrain afin de les défendre», rappelle fièrement Raouf Mellal. Condamnation Depuis sa création en 2013, le Snateg ainsi que ses responsables n'ont cessé de subir «les foudres de la justice et les intimidations dans leur lieu de travail». Tout a commencé par le licenciement de son fondateur, Abdallah Boukhalfa, au lendemain de sa création. L'actuel président du syndicat, Raouf Mellal, lui, vit depuis sa nomination une véritable odyssée. Aujourd'hui, il comptabilise à lui tout seul 26 affaires en justice dont les plaintes ont été déposées, à son grand étonnement, par les différentes Directions de distribution des wilayas. Juriste au niveau de la direction de Guelma, Raouf Mellal, licencié en 2013 après quatre ans de service, passe désormais son temps à traîner d'un tribunal à un autre. Son ancienne direction a enrôlé, à elle seule, quatre affaires contre lui. Aujourd'hui, il encourt plusieurs condamnations dont celle de «prison ferme». C'est une véritable chasse à l'homme orchestrée contre ce jeune syndicaliste. Mais il n'y a pas que lui ; Raouf affirme que «92 travailleurs affiliés au Snateg ont été suspendus par Sonelgaz et 800 autres ont collecté des affaires en référé et au social». Mais les faits les plus graves, selon lui, sont ceux qui se sont déroulés au niveau de la wilaya de Bordj Bou Arréridj, où suite à une plainte déposée auprès du procureur par le Directeur de distribution de cette wilaya, six travailleurs grévistes ont été arrêtés et auditionnés par ce même procureur. Le Directeur de distribution de Tébessa, lui, a fait appel aux forces de la BRI pour chasser les grévistes de leur lieu de travail. A M'Chedallah, à l'est de Bouira, trois travailleurs, membres du Snateg, sont poursuivis pour leur affiliation au syndicat. Ils passeront devant le juge ce 21 mai et la liste est encore longue. «Je lance un appel aux syndicats autonomes qui défendent réellement les intérêts des travailleurs. Il faut s'unir et se battre ensemble si nous voulons continuer à exister, et ce, malgré toutes nos différences. L'Etat, à travers ce nouveau code du travail, veut nous anéantir. Il a déjà commencé par le Snateg. Les suivants seront tous ceux qui dérangent, mobilisent et investissent le terrain», s'inquiète Raouf Mellal. Tribunal Et d'ajouter : «Le nouveau code du travail est déjà appliqué avec la dissolution du Snateg. C'est le début d'un capitalisme sauvage qui ne croit plus aux partenaires sociaux. Le gouvernement a la majorité dans ce nouveau Parlement. Cette dernière (la majorité) votera certainement ce qui marquera le début de la fin de tous les partenaires sociaux autonomes et indépendants en Algérie». En réponse aux «suspensions et poursuites enclenchées par la SDA contre les travailleurs affiliés au Snateg», ce dernier affirme dans un communiqué rendu public mercredi qu'il compte «poursuivre en justice 31 directeurs de distribution des différentes wilayas, le responsable de la Fnteg Achour Telli et le PDG de la Société de distribution d'électricité et du gaz (SDC), Mourad Ladjal, dont dépend la gestion de la SDA aussi». Joint par téléphone, le PDG de la SDC, Mourad Ladjal a assuré qu'«il n'avait agi que sur décision de la justice et des textes de loi qui régissent son entreprise». «Nous n'attaquons personne. Nous avons mené notre enquête et nous avons trouvé que certaines personnes qui mènent ce mouvement ne sont plus dans notre entreprise. Nous avons jugé que les actions menées étaient illégitimes et nous avons poursuivi les travailleurs concernés, qui sont au nombre de 150 sur les 30 000 que compte la SDA, pour perturbations de travail. Nous l'avons fait dans l'intérêt d'assurer la continuité de notre service public.» Et d'ajouter : «Il est vrai qu'il y a certains travailleurs qui ont été licenciés, mais ces derniers, qui se comptent sur les doigts d'une seule main, ont enfreint la convention collective et le règlement intérieur de l'entreprise. Je ne connais pas de partenaire social au nom du Snateg. Quant à Raouf Mellal qui dit vouloir me poursuivre en justice, je n'ai qu'une chose à dire. Chaque citoyen a le droit de recourir à la justice s'il se voit bafoué dans ses droits.» Nous n'avons pas pu joindre Achour Telli pour qu'il réponde aux accusations du Snateg. Au moment où nous mettions sous presse, Raouf Mellal venait tout juste de sortir du tribunal de Guelma où il était encore jugé dans l'après-midi. Nous n'avons pas pu le joindre afin de connaître ce qui a été requis contre lui.