Malgré le relogement des sinistrés, la page du séisme de 2003 qui a secoué la wilaya de Boumerdès et ses environs n'est pas encore tournée. Quatorze ans après cette catastrophe naturelle qui a fait 1391 morts et 3444 blessés, des milliers de chalets (10 757 exactement) sont encore visibles dans les quatre coins de la région. Annoncée à maintes reprises, l'éradication de ces habitations en préfabriqué n'est pas pour demain. «On a perdu espoir. On ne sait plus où et quand on va être relogés», fulmine Makhlouf Terouazi (46 ans), habitant au site de Oued El Besbes, dans la commune de Bordj Menaïel. Une commune qui compte encore 1336 chalets disséminés sur six sites s'étendant sur 34 ha de terres agricoles. Chômeur de son état, Makhlouf est père de 6 enfants. Il vit depuis 14 ans dans un chalet de 36 m2. «Pas la peine de vous raconter. Je me plains à Dieu, pas aux hommes. Une chose est sûre, personne ne se soucie de nous et de nos conditions de vie», marmonne-t-il. Son voisin, Belhout Ali (40 ans), lui, résume le calvaire qu'il endure dans les chalets en quelques mots. «La durée de vie de ces chalets est dépassée. Le mien est devenu inhabitable. Les eaux de pluie rentrent de partout. La plateforme s'est affaissée. En été, il devient comme un four et en hiver on dirait qu'on est dans un frigo», relate-t-il. Ici, celui qui n'a pas contracté l'asthme est devenu diabétique à cause du stress et de la malvie, dit-il. Une bombe à retardement L'histoire des chalets remonte aux premiers mois précédant le séisme. Juste après cette catastrophe et afin d'éviter aux sinistrés de passer l'hiver dans des tentes, l'Etat a réalisé 14 917 chalets à travers 95 sites s'étendant sur des surfaces qui devaient recevoir des projets d'équipements publics et touristiques. Après le relogement des sinistrés dans des appartements en dur, les chalets ont été réaffectés pour des cas sociaux. Mais ces opérations de distribution ont été entachées d'énormes irrégularités. Les chalets ont fait l'objet d'un vaste trafic impliquant des élus et des cadres de l'administration. Aujourd'hui, il est difficile de distinguer les vrais des faux bénéficiares. Agissant chacun selon sa propre stratégie, les walis qui se sont succédé à la tête de la wilaya ont brillé par une gestion catastrophique du dossier. Le manque de vision des uns conjuguée au laxisme des autres ont fini par créer une bombe à retardement. Les chalets ne sont plus ceux de 2003. Les sites les abritant n'ont rien à envier aux bidonvilles et où se côtoient tous les maux de la société. Attendues avec impatience, les opérations de démantèlement menées jusque-là ont fait beaucoup de mécontents. Le directeur de l'OPGI, Omar Moualhi, fait état de 4160 chalets (28%) qui ont été démantelés. «Depuis le 26 décembre dernier, nous avons mené 10 opération de relogement. Celles-ci ont profité à 1823 familles dont 1278 occupaient des chalets. Aujourd'hui, dimanche, nous allons reloger 500 familles à Bordj Menaïel», a-t-il indiqué. Les opérations de démantèlement des chalets ont touché 50 sites, mais seuls six ont été éradiqués dans leur totalité. Les 44 autres sites offrent un décor apocalyptique avec des carcasses de chalets démolis, des routes dégradées, des fuites d'eau usées et des amas de détritus ça et là. C'est le cas à Naciria, Ouled Haddadj, ou encore au niveau des localités de Sahel, Sablière et Figuier, dans la commune de Boumerdès, etc. Pas d'argent, pas de logements Cette dernière commune compte 1783 chalets répartis sur 13 sites dont la plupart devait recevoir des projets touristiques. Les pouvoirs publics y ont éradiqué 688 chalets depuis 2013, alors que 47 ont été endommagés et saccagés. A Boudouaou, seuls 239 chalets ont été démantelés sur les 1038 qui y ont été réalisés au lendemain du séisme. A Zemmouri, une localité durement touchée par la catastrophe naturelle, on compte encore 1645 habitations en préfabriqué qui rappellent les tristes souvenirs d'une période très douloureuse. Les programmes d'habitat destinés pour le relogement des occupants de ces lieux de cache-misère avancent très lentement à cause du manque de crédits de payement. Le nouveau wali, Madani Fouatih, a fait de la question de l'éradication de ces habitations son cheval de bataille. Il a promis que pas un seul chalet ne subsistera à travers la wilaya à la fin 2017. Mais la chute des prix du pétrole aura tout chamboulé, incitant le gouvernement à geler un projet de 8000 logements promis en 2012 au profit de la wilaya. Ainsi, sur les 12 000 logements prévus à cet effet, seuls 4000 sont en cours de réalisation dont 1500 à Bordj Menaïel, 1000 à Boudouaou, 1000 à Boumerdès et 500 à Dellys. Pis, on a appris que les entreprises engagées n'ont pas été payées depuis janvier dernier. L'Etat doit à la seule entreprise chinoise Cedy 2700 millions de dinars. «Le ministre a déclaré à maintes reprises que les projets d'habitat ne sont pas touchés par le gel ; maintenant, soit il a menti, soit la question dépasse ses prérogatives», déduit Bachir, un père de famille habitant au site Vachy, à la sortie sud de la ville de Bordj Menaïel. Un site qui se bidonvillise de jour en jour à cause de la prolifération des bâtisses illicites, la propagation de fléaux sociaux, la détérioration du cadre de vie et l'absence d'infrastructures de base. De nouvelles cités sans équipements Outre la bétonisation accélérée des terres agricoles, de nombreuses cités d'habitation livrées après le séisme de 2013 ne sont pas dotées de structures de base. Cela a été constaté à travers de nombreuses communes de la wilaya. De nouveaux pôles urbains ont pris forme dans les communes de Bordj Menaïel, Boudouaou, Boumerdès, Khemis El Khechna, mais on n'y a réalisé aucune structure publique. Les conséquences de cette urbanisation anarchique due au non-respect des plans d'occupation du sol seront très difficiles à gérer à l'avenir. Généralement, on attend souvent à ce qu'il y ait des actions de protestation des résidants pour penser à les doter en structures nécessaires, telles que les écoles primaires, la salle de soins, l'aire de jeux, les annexes d'état civil, etc. Selon nos sources, la wilaya connaît un déficit de 424 classes dans les trois paliers. Selon les prévisions du PATW, l'Etat doit y construire 147 nouvelles écoles primaires, 46 CEM et 21 lycées d'ici 2030. Cependant, l'urgence est de remplacer les classes en préfabriqué dont le nombre avoisine les 800 à travers la wilaya. Le directeur de l'OPGI parle de plus de 8300 logements qui seront distribués avant la fin de l'année, dont 1200 à Bordj Menaïel, 1000 à Boudouaou, 1000 à Boumerdès, 500 à Dellys, 400 à Corso, etc. Ces programmes ne sont pas destinés exclusivement aux occupants des chalets, mais aux cas sociaux et seront distribués selon l'ordre de mérite. Cependant, aucune infrastructure n'est en cours de réalisation sur les sites abritant ces projets. Pis encore, certains programmes sont achevés depuis plusieurs mois, mais leur distribution a été ajournée en raison des retards mis par la direction de l'urbanisme pour effectuer les aménagements extérieurs et les raccorder aux réseaux de voirie, d'assainissement, d'eau et d'électricité.