Elles n'arrivent plus à régler régulièrement leurs salariés, à payer leurs fournisseurs qui ne les approvisionnent plus, ni même à s'acquitter de leurs impôts, ce qui leur vaut de lourdes pénalités. Leurs bilans comptables se déstructurent progressivement pour les mener fatalement à la faillite. Ce sont en effet entre 45 000 et 50 000 petites et moyennes entreprises de BTPH qui se trouvent en situation de détresse en raison d'une accumulation sans précédent d'impayés provoquée par la rupture de crédits de paiement qui affecte essentiellement les collectivités locales (wilayas et communes) pour le compte desquelles elles réalisent des logements, des équipements et des routes. Les entreprises du secteur du bâtiment, des travaux publics et de l'hydraulique (BTPH) sont les premières à subir les conséquences des restrictions budgétaires récemment décidées par le gouvernement. Elles sont déjà très nombreuses à se plaindre de ne plus être en mesure de recouvrer les créances qu'elles détiennent auprès du Trésor et des receveurs des contributions diverses, mais plus grave encore, à obtenir de nouvelles commandes. Une situation qui rappelle celle des années 1990, période durant laquelle l'accumulation des créances avait valu aux entreprises de construction des milliers de fermetures et plus de 500 000 mises au chômage, uniquement pour les entreprises publiques. «Les prémices d'un net ralentissement d'activité dans le secteur névralgique du BTPH sont là et il faut être aveugle pour ne pas les voir», nous apprenait, il y a quelques mois déjà, un patron d'entreprise nationale, qui avait pleinement vécu la période en question. «La casse sera inévitable pour la plupart d'entre nous et le gouvernement n'a pas l'air d'en être conscient», ajoute-t-il, désabusé. Corroborés par les propos d'autres chefs d'entreprise et syndicats qui ont eu à s'exprimer ces derniers jours dans la presse, il y a effectivement unanimité sur l'imminence d'un danger qui emporterait, si rien n'est fait, tout le tissu de l'industrie du bâtiment qui commençait à peine à se relever de la crise des années 1990. Les signes avant-coureurs de l'inéluctable effondrement vers lequel ils s'acheminent sont en effet déjà en place et il faudrait être aveugles pour ne pas les voir : baisse vertigineuse de leurs avoirs en banque, hausse démesurée de leurs dettes, retards de paiement de salaires et avertissements fiscaux et sociaux. Faute d'argent, ces entreprises ne sont généralement plus en mesure de tenir leurs engagements contractuels que l'Etat, feignant de ne pas voir les problèmes qu'il leur a lui-même créés, continue à exiger d'elles en leur infligeant des avertissements souvent suivis de pénalités de retard.
Faillites en cascade Des refus de livraison de marchandises par leurs fournisseurs attitrés sont déjà signalés et il est à craindre que les difficultés financières des entreprises de réalisation causent des fermetures en cascade d'entreprises de matériaux de construction et de matériel de BTP qui vivent de leur commerce avec les entreprises de construction. Face aux difficultés de recouvrement de leurs créances que les trésoriers des wilayas et les receveurs des communes gèlent avec encore plus de zèle que par le passé, l'espérance de vie des entreprises du BTPH, qui ne bénéficieront pas d'un soutien rapide et durable, sera à l'évidence très courte. Ce sont, bien entendu, les sociétés privées réellement soumises à l'obligation de résultats qui en feront les frais, puisque les entreprises nationales et les grosses sociétés privées sont assurées d'obtenir les découverts bancaires, les facilités de crédit et de nouveaux marchés qui leur permettront d'échapper à cette tourmente qui affectera surtout «les petits» qui sont malheureusement les plus nombreux. Mais en réalité, le malaise est perceptible, aussi bien chez les opérateurs publics que chez les privés, qui constatent tous que, non seulement, les effets précurseurs d'un effondrement du secteur sont bel et bien présents, mais qu'ils arrivent en même temps que des faits particulièrement aggravants que sont la dérive du dinar, l'envolée des prix des matériaux de construction (à plus de 60% importés), la chute de la rentabilité du travail et l'omniprésence d'une bureaucratie étouffante et de plus en plus corrompue. Quand autant de conditions défavorables sont réunies, la faillite des entreprises du bâtiment, et plus largement celle de l'industrie de la construction toute entière, devient une «fatalité structurelle», pour reprendre le propos plein de sagesse d'un patron de bureau d'études d'architecture. 7% de la richesse nationale Et pour preuve, la contribution de ce secteur au produit intérieur brut (PIB) aurait, selon l'Office national des statistiques (ONS), périclité d'au minimum 2 points de 2013 à ce jour et il ne représente plus qu'environ 7% de la richesse nationale. Mais que reste-t-il donc à faire pour éviter la débâcle à ce secteur pourvoyeur de richesses et sur lequel repose la réponse aux deux plus épineux problèmes de l'Algérie, à savoir l'emploi et le logement ? La question ne se pose évidemment pas comme au temps de la crise économique de 1990, à l'époque où tout dépendait du budget de l'Etat et des entreprises publiques, le privé n'existant pratiquement pas. Avec l'avènement de l'entrepreneuriat privé, les choses ont évidemment beaucoup changé et la présence d'importants capitaux privés pourrait être mise à contribution pour la prise en charge d'une part non négligeable de la construction de logements et équipements sociaux, autrefois réservée uniquement à l'Etat. La construction de logements de divers segments (social, promotionnels, luxueux, etc.) pourrait à titre d'exemple être réservée aux promoteurs privés, à charge pour l'Etat de fixer les conditions de leur intervention, mais aussi et surtout de leur céder à des prix mutuellement négociés les terrains à bâtir. Il y aura à l'évidence péril en la demeure si l'Etat régulateur ne réagit pas aussi rapidement que possible face à l'orage qui s'annonce. Sa réaction consistant à dégager des crédits de paiement pour solder une infime partie des créances peut certes soulager les entrepreneurs les plus exposés à la faillite, mais cela ne peut en aucun cas constituer la solution idoine, ne serait-ce que du fait de la situation de provisoire qu'elle crée. L'inconfort du provisoire n'est en effet pas de nature à encourager la poursuite de l'activité et encore moins à prendre le risque d'investir. Autant de causes mortelles pour les entreprises, notamment les plus fragiles d'entre elles que sont celles du BTP. De ce fait, il est à craindre que les 35 000 entreprises de construction qui emploient, bon an, mal an, 1 100 000 à 120 000 travailleurs emplois disparaissent progressivement, avec tout le cortège de misère et d'instabilité sociale que cela pourrait impliquer. Le secteur du BTPH étant le plus important client de l'industrie, il est fortement à craindre de voir les usines de matériaux de construction, de quincaillerie, de matériel électrique, de plomberie, de peinture, de vitrerie et autres produits sollicités par les chantiers, sombrer progressivement dans des problèmes de méventes consécutifs à une chute de la demande. Qui ne se souvient des 1500 entreprises publiques fermées et des dizaines de milliers travailleurs licenciés au milieu des années 1990, suite aux ajustements structurels imposés par le FMI ? Revivre dans peu d'années la même situation est à craindre si rien de concret n'est dès à présent fait pour l'éviter.