Selon les estimations des autorités, reprises par le FMI, les subventions ont coûté 13,6% du PIB en 2015, alors qu'en 2016 les subventions prévues étaient de 27,7 milliards de dollars en valeur, dont 15,3 milliards de dollars étaient injectés dans le soutien des produits énergétiques. Outre leur coût budgétaire, les subventions sont pour la plupart régressives, selon le FMI. Quelle lecture pouvez-vous en faire ? C'est un constat qui est partagé par l'ensemble des experts et des responsables publics. Le coût des subventions grève fortement le budget de fonctionnement, tant du côté des dépenses — subventions explicites aux ménages et subventions d'équilibre pour les entreprises d'électricité, d'eau et de gaz mais aussi pour les hôpitaux dont les «recettes» constituées par les versements des caisses de Sécurité sociale ne couvrent qu'une fraction des coûts — que du côté des recettes — subventions implicites qui équivalent à un important manque à gagner fiscal ou en termes plus techniques à des dépenses fiscales. Sans parler du secteur du logement social, qui est entièrement subventionné, et du logement promotionnel, qui a lui aussi été subventionné en grande partie au cours des 15 dernières années. Le caractère régressif des subventions est évident puisque tout le monde en profite, ceux qui sont dans le besoin et ceux qui pourraient s'en passer, et pour lesquels cela constitue un effet d'aubaine car ils consommeraient autant si on augmentait les prix. L'élasticité prix-consommation est d'autant plus faible que le revenu du consommateur est important. Néanmoins, il y a une logique de progressivité sociale dans la facturation par tranche de revenu et par catégorie d'utilisateur qui existe pour les produits énergétiques et pour l'eau. C'est cette logique qu'il faudrait aujourd'hui accentuer, dans l'esprit de ce qui a été initié en 2015-2016. Pour les autres subventions, qui ciblent le logement ou la santé par exemple, elles ont une véritable utilité sociale. Néanmoins, il faudrait là aussi remettre à plat le système et aller vers une plus grande différentiation des prestations et des tarifs en fonction de la capacité contributive de chacun. Il faudrait pour cela encourager l'émergence de la couverture santé complémentaire et sur-complémentaire. Enfin, il y a des subventions qui corsètent certains secteurs économiques dans un cadre rigide et qui découragent l'initiative privée. C'est le cas des prix administrés sur le lait par exemple, qui ne couvrent pas les coûts d'exploitation. L'Etat se retrouve à devoir subventionner à la fois les consommateurs et les producteurs. Pour un résultat qui est contre-productif. Selon vous, quel serait le mécanisme susceptible de garantir un transfert monétaire bien ciblé en faveur des populations pauvres ? On peut s'inspirer de beaucoup d'expériences étrangères en la matière, que ce soit le système de la Bolsa familia mis en place au Brésil ou le système d'un salaire complémentaire comme cela a été expérimenté récemment au Nigeria. Mais ce sont des politiques qui ciblent les couches les plus défavorisées. En Algérie, il s'agit plutôt de réformer un Etat providence qui est démesurément dispendieux par rapport à l'impact social. Je préconise, pour ma part, la mise en place d'un système de chèques ou cartes de produits et services universels comme il en existe dans les pays européens. La gestion du système elle-même pourrait être confiée à des partenaires privés. Cela générait un écosystème nouveau, ce que l'on appelle l'économie sociale et solidaire qui permet de décharger l'Etat de la gestion directe de ces prestations, tout en maîtrisant davantage leur coût pour la collectivité. Quid des subventions implicites en faveur des entreprises publiques ? L'Etat va-t-il abandonner le soutien à ses entreprises si la crise venait à se complexifier davantage ? C'est une question à la fois très importante et très sensible. Les subventions en l'occurrence ne sont pas implicites mais explicites et elles résultent des subventions implicites accordées aux ménages. Des sociétés comme Sonelgaz ne peuvent pas être à l'équilibre dans les conditions tarifaires actuelles pour le gaz et l'électricité et cela empêche également le développement des énergies renouvelables par exemple. Tout est lié. Les consommateurs devront s'habituer à payer le juste prix pour ces services et produits. Encore une fois, il faut faire cette réforme en conservant le caractère progressif de la tarification, et en poussant davantage la politique d'efficacité énergétique en subventionnant non pas la consommation mais l'économie d'énergie. Cela doit devenir une priorité nationale ainsi que le clame depuis longtemps le professeur Chitour.