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«Le modèle actuel de subventions crée des distorsions préjudiciables pour notre économie» Yassine Benadda. Economiste et président du cabinet de consulting A. M. Experts Djazaïr
- Sous le coup de la crise, le ministère des Finances serait enfin sur un projet de réforme des subventions, auquel n'ont cessé d'appeler le FMI et la Banque mondiale. Connaissant le caractère sensible de la question, quelle serait la refonte idoine capable de marier les impératifs d'assainissement budgétaire aux exigences de protection des populations pauvres ? Dans les pays développés, les systèmes de subventions permettent après redistribution aux populations les plus aisés d'avoir un revenu disponible inférieur à leur revenu primaire, alors que pour les plus modestes c'est l'inverse. A titre d'exemple, la France qui est dans la moyenne de l'OCDE, des pays les plus égalitaires au système qui permet, selon Insee, de réduire de 45% après redistribution, l'écart de revenu entre 20% des personnes les plus aisées et 20% des plus modestes. Malheureusement, dans notre pays l'ensemble des ménages profite de la redistribution ; pis encore, la plupart des subventions profitent davantage aux plus riches qu'aux plus pauvres et particulièrement en ce qui concerne l'énergie. Il faut donc réformer notre système afin d'avoir un pouvoir redistributif qui réduit les écarts de niveaux de vie entre les plus aisés et les plus modestes et ceci en réduisant progressivement le coût des subventions qui pèsent pour environ 14% dans notre PIB. A mon sens, l'un des mécanismes serait de mettre en œuvre progressivement un système de redistribution basé sur la solidarité nationale, au travers la redistribution monétaire via le système socialo-fiscal comme dans nombre de pays de l'OCDE. Cela se traduirait par la mise en œuvre de mécanismes de prestations sociales selon la situation familiale ou sociale (minima sociaux, allocation logement, allocations familiales, etc.). Ces mécanismes auraient des conséquences pour les revenus les plus élevés en matière de cotisations, de contributions sociales et d'impôts. L'objectif serait à terme de financer ces prestations et de réduire sensiblement le coût des subventions dans le budget de l'Etat. - Entre autres arbitrages politiques auxquels sera confronté le gouvernement, il y a celui impliquant les ampleurs du chômage et de l'inflation. Ne pas baisser les subventions implique plus de chômage ; baisser les subventions implique de l'inflation. Comment peut-on concilier les deux en cette période de crise ? Fondamentalement, le modèle actuel de subventions généralisées crée des distorsions qui sont déjà préjudiciables pour notre économie, à savoir : primo, la progression de la consommation d'énergie avec des conséquences sur la baisse des exportations de pétrole et de gaz, ce qui provoque une diminution des recettes budgétaires. Seconde distorsion : l'aggravation de la pollution qui induit des coûts en matière de santé publique et d'environnement. Quant à la troisième, elle est liée à l'encouragement de la contrebande vers les pays voisins. La refonte vers un modèle socialo-fiscal permettrait de baisser la part des subventions dans le PIB et de diminuer les coûts cachés dans les dépenses publiques. La conjonction de ces deux facteurs permettrait au gouvernement de créer des marges de manœuvres budgétaires supplémentaires qui pourraient être consacrées davantage aux dépenses d'infrastructures, à l'éducation, à l'innovation, au développement des industries et à la santé, ce qui pourrait stimuler la croissance et l'emploi. En ce qui concerne l'inflation, il est certain que la baisse des subventions va créer une inflation significative. Toutefois, celle-ci devrait rester mesurée pour les classes modestes et une grande partie de la classe moyenne grâce à la mise en œuvre de subventions ciblées. En effet, une réforme bien équilibrée permettrait de gommer pour ces populations les effets des augmentations des prix grâce à l'augmentation de revenus liés aux ciblages des subventions. En l'état actuel des perspectives moroses de l'Algérie, nous ne pouvons pas faire l'économie de réformes difficiles, mais inévitables pour sauver la situation économique. - Au chapitre des subventions implicites, c'est-à-dire non incluses dans le budget de l'Etat, figurent les subventions aux entreprises sous forme de soutien financier et fiscal. Pensez-vous que l'Etat serait tenté d'aller au bout de sa réforme en levant le pied sur ses entreprises ? Cette mesure n'aggraverait-elle pas le coût social de la crise, surtout lorsque l'on sait que bon nombre d'entreprises font déjà face à d'énormes difficultés de trésorerie ? Aujourd'hui, les dispositifs d'aides aux entreprises, à l'emploi, de réduction ou d'exonération fiscale constituent l'un des premiers budgets d'intervention de l'Etat de façon direct ou implicite. Compte tenu des résultats obtenus en matière d'emploi, du nombre de PME/PMI ou de création industrielle, ces dispositions sont coûteuses et peu efficaces. Ces aides, bien que nombreuses, mériteraient d'être réadaptées et personnalisées en fonction des impératifs de développement, des secteurs d'activité, de l'environnement régional et des entreprises concernées. L'évaluation par l'Etat de l'efficacité des moyens financiers ainsi mobilisés face à la persistance d'un niveau élevé de chômage revêt donc une grande importance pour les finances publiques. Toutefois, au vu du contexte économique actuel, il faut absolument que les pouvoirs publics les refondent de façon graduelle en auditent au préalable l'efficacité des aides en matière de création de valeur et les conséquences sociales d'une éventuelle réduction ou suppression de ces aides pour les activités non stratégiques ou dont la valeur ajoutée est faible pour l'économie. Dans l'attente d'une remise à plat du système d'aides, les pouvoirs publics peuvent réduire les dépenses de fonctionnement liées à ces subventions en mettant en œuvre une plateforme d'accès centralisé «guichet unique», ce qui permettrait de fusionner les agences ou organismes en charge de ces missions. Les économies de fonctionnement pourraient permettre à l'Etat de soutenir enfin l'innovation à travers des aides financières pour les entreprises qui engagent des projets de R&D. - Pour ce qui est du soutien aux produits énergétiques qui, selon les statistiques officielles, capte plus de la moitié de la valeur des subventions, faut-il, selon vous, aller vers un nouveau système de tarification ? Malgré une hausse sensible des produits énergétiques, les subventions à l'énergie restent encore un gouffre financier dans les dépenses publiques. Les produits énergétiques en Algérie figurent toujours parmi les moins chers au monde. Le mécanisme de subventions actuel crée une forte disparité entre les Algériens. En effet, selon le FMI, les Algériens les plus riches consomment six fois plus de carburant que les plus modestes. Aujourd'hui, il est nécessaire de rationaliser non seulement la dépense publique mais également de mieux préserver nos réserves énergétiques. Face à la croissance substantielle de la consommation nationale en produits énergétiques et la régression des exportations des hydrocarbures à moyen terme, nous n'avons d'autre choix que de revoir la politique des prix de l'énergie en supprimant progressivement la totalité des subventions. Cette augmentation des prix doit avant tout se focaliser sur les secteurs les plus consommateurs d'énergie et qui ont un impact significatif sur la demande interne d'énergie, à savoir les ménages et les transports qui représentent à eux seuls 80% de la consommation interne, selon le bilan énergétique national. En parallèle, il est nécessaire de mettre en œuvre des mécanismes afin de ne pas pénaliser les classes modestes et moyennes. A ce titre, la mise en place d'un chèque énergie pour les revenus modestes (sous certaines conditions de ressources) pourra être utilisé pour régler les factures d'énergie (électricité, gaz, fioul…).