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L'économie algérienne est-elle désormais sous le contrôle du FMI ?
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Publié dans El Watan le 10 - 06 - 2017


Par Ali Mebroukine
Professeur des Universités, fondateur du Think Tank «Cercle d'études et de réflexion sur l'insertion de l'Algérie dans la globalisation»
UN CONTEXTE ECONOMIQUE ET FINANCIER DEFAVORABLE
On ne reviendra pas, ici, sur les causes qui ont bouleversé les équilibres macro-économiques de notre pays à partir de 2013, c'est-à-dire quelque six mois avant le contre-choc pétrolier de juin 2014. Le ratio balance des paiements/PIB affichait un solde négatif (-0,1%), mais le ratio solde de la balance courante/PIB demeurait positif (0,4%). C'est en 2014 que les voyants passent au rouge avec un solde négatif de la balance des paiements/PIB (-2,8%) et un solde également négatif de la balance courante/PIB (-4,3%).
Le gouvernement avait érigé en loi d'airain le non-recours à l'endettement à partir de 2006 (grâce au remboursement anticipé de la dette extérieure), alors que le pays aurait pu emprunter, à des taux attractifs, sur les marchés internationaux, eu égard à sa bonne notation par les agences d'évaluation. Aussi bien la quasi-totalité des équipements collectifs et des infrastructures publiques ont dû être financés sur concours définitifs et/ou temporaires du budget de l'Etat. C'est cette option qui, à la longue, a fini par affecter sérieusement nos équilibres financiers et budgétaires.
En ce milieu de l'année 2017, la situation n'est pas encore dramatique et notre pays n'est pas passé sous les fourches caudines du FMI. Le montant de la dette extérieure est raisonnable (quelque 4 milliards de dollars) et celui des réserves de change de 114 milliards de dollars (fin 2016). C'est au titre de l'article IV de ses statuts (qui porte sur les «obligations relatives au régime des changes») que le conseil d'administration de cette vénérable institution a dressé, le 26 mai 2017, une partie de l'état des lieux de l'économie algérienne. Les six principales recommandations qu'il formule sont relatives à : a)- l'accélération des privatisations ; b)- la mise à plat du système des subventions ; c)- l'accompagnement du secteur privé ; d)- la réduction de dépenses publiques ; e)- la flexibilité du taux de change ; f)- le respect par les banques primaires des règles prudentielles posées par la Banque d'Algérie (ci-après BA). Nous allons passer brièvement en revue ces préconisations et essayer de les évaluer à chaud.
LES PRECONISATIONS DU FMI
1. Accélérer les privatisations. Il est temps aujourd'hui que dans le domaine bancaire, au moins une banque publique soit privatisée et le capital social de deux autres ouvert à des investisseurs étrangers. L'amélioration de la qualité de l'intermédiation financière est à ce prix. La dominance par six banques publiques du marché monétaire engendre de plus en plus d'effets pervers, d'autant que les banques et autres établissements financiers étrangers ont tendance à limiter leurs risques à la demande insistante de leur maison-mère (à l'exception toutefois de la Société générale). S'agissant des entreprises du secteur économique (à l'exclusion des entreprises stratégiques et celles exerçant une mission de service public), les privatisations supposent des repreneurs sérieux et que la situation économique et sociale des privatisables préalablement assainie. En 2017, le Trésor public supporte seul le fardeau des créances que détiennent les banques publiques sur le secteur marchand de l'Etat. Ceci dit, eu égard au fait que la dette publique brute avoisine les 20% du PIB, la privatisation doit être également regardée comme un moyen pour l'Etat de se désendetter, à condition que le prix de cession des privatisables ne soit pas bradé.
2. Mettre à plat le système des subventions. Ce sera une tâche très délicate pour au moins deux raisons. La première est qu'il n'existe pas, dans notre pays, une connaissance suffisante de la formation des revenus, cependant que le marché informel emploie aujourd'hui quelque 4,5 à 5 millions d'actifs dont un nombre non négligeable exerce, en sus, une activité salariée dans le secteur institutionnel. Comment mettre en place, dans de telles conditions, une politique de redistribution sociale qui soit perçue comme équitable ? Il faudra ensuite,— c'est la deuxième raison —, avoir égard au sort des classes moyennes et méditer, ce faisant, l'exemple iranien de 2010 où les subventions sociales avaient été accordées exclusivement aux catégories modestes et à celles sans revenus fixes. Il en est résulté une paupérisation des couches inférieures et intermédiaires de la classe moyenne. Quant à l'exemple brésilien, il n'est pas pertinent pour l'Algérie, car la grande pauvreté n'existe heureusement pas chez nous.
3. Accompagner le secteur privé. Toute la question est de savoir s'il est possible de mettre à niveau, en quelques années, des centaines de PME pour leur permettre non pas seulement d'accéder à la commande publique qui ira decrescendo d'ci 2022, mais surtout de créer de la valeur afin de satisfaire une demande intérieure solvable, de plus en plus exigeante, car accoutumée à consommer des produits importés. Sauf à exiger des banques qu'elles s'intéressent davantage aux PME/PMI et aussi aux start-up créées par de jeunes ingénieurs, mais toutes affligées d'un capital social négligeable, le secteur privé algérien ne pourra pas créer beaucoup d'emplois, alors que chaque année quelque 150 000 jeunes se présentent, pour la première fois, sur le marché du travail.
4. Réduire les dépenses publiques. Le gouvernement devrait commencer par diminuer le train de vie de l'Etat qui insulte par trop à la misère des temps. Ensuite, la dissolution de dizaines d'établissements publics dont l'objet social fait double emploi avec celui d'entités créées dans les années 1980 et 1990, s'impose de plus en plus. L'ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, avait parlé, en 2015, de centaines d'établissements publics, mais le projet est resté dans les limbes. Pour pouvoir réduire des dépenses de l'Etat, sans dégrader la qualité du service public, il est également nécessaire d'augmenter le rendement de la fiscalité ordinaire et d'en optimiser la réaffectation. Or, le débat est quasiment impossible sur ce sujet, tant les chiffres donnés par le ministère des Finances sont controversés.
En 2016, la fiscalité ordinaire aurait rapporté, selon la Direction générale des impôts(DGI), quelque 3000 milliards de dinars, soit l'équivalent de 25% du PIB, ce qui constitue une avancée remarquable par rapport à l'année 2015 (+6%) et les années précédentes. Pour 2019, les prévisions sont encore plus optimistes, puisqu'aussi bien le montant de la fiscalité pétrolière devrait être inférieur à 3900 milliards de dinars, tandis que celui de la fiscalité ordinaire enregistrerait une majoration importante. A ce compte-là, la fiscalité ordinaire rapporterait plus que la fiscalité pétrolière à l'horizon 2020.
Dans cette hypothèse se pose la question de savoir à partir de quelles sources de financement les entreprises algériennes vont-elles pouvoir faire tourner l'appareil de production, en conséquence avoir une croissance en hausse qui générerait des rentrées fiscales suffisantes pour abonder une partie des recettes budgétaires de l'Etat. Même en «économie vaudou», la diminution de la fiscalité pétrolière ne saurait demeurer sans impact négatif sur le volume des recettes fiscales. Pour de nombreuses années encore, la création de richesses en Algérie restera fortement corrélée à des facteurs de production exogènes que la diminution des recettes fiscales pétrolières rendra de plus en plus difficilement accessibles.
Ceci dit, il serait grave de nier l'ampleur de l'évasion fiscale, mais il est certain, contrairement à une idée reçue, que les taux d'imposition nominaux sont excessifs et expliquent en partie, sans la justifier, la tentation d'échapper à l'impôt. Un élargissement de l'assiette et une diminution des taux (ceux de la TAP et de l'IBS notamment) aurait deux vertus : encourager les agents économiques à établir des déclarations sincères, convaincre les entrepreneurs, sans registre de commerce, de quitter progressivement le marché de l'informel, ce qui est du reste le vœu d'une majorité de ceux qui ont été interrogés.
5. Sur le taux de change du DA. Il serait dangereux de laisser le DA poursuivre sa dérive. Celle-ci alimente les tensions inflationnistes qui frappent de plein fouet le pouvoir d'achat des actifs titulaires de revenus fixes, des chômeurs, des retraités. La conversion en DA sous-évalués de dollars provenant de l'exportation des hydrocarbures procède d'un artifice comptable qui gonfle les recettes de l'Etat en valeur absolue, mais n'a aucun impact sur la vie économique réelle. Une dévaluation, comme celle qui est aujourd'hui conduite, ne peut davantage stimuler les exportations par les entreprises algériennes pour la simple raison que celles-ci acquièrent l'essentiel de leurs inputs de l'étranger. Ceci dit, la mission fondamentale de la BA est la stabilisation des prix, ce qui veut dire qu'une gestion flexible du taux de change, comme le recommande le FMI, qui se traduirait invariablement par un glissement du DA, ne mérite pas l'approbation. Le flottement administré du DA reste la solution la plus appropriée, dans la mesure où la BA peut contrôler les fluctuations de change et diminuer également les risques de changes pour les entreprises.
6. Le respect par les banques primaires des règles prudentielles. Parce qu'une clientèle privée de plus en plus importante parvient à obtenir des banques publiques des méga-crédits sans fournir de sûretés réelles et sans même être tenue par l'obligation de les rembourser se pose immanquablement la question de savoir si les banques commerciales publiques respectent les ratios prudentiels édictés par la BA. Le conseil d'administration du FMI se félicite du niveau atteint pas les fonds propres des banques de la place, mais le secret de leur recapitalisation récurrente par la BA n'a pas encore été éventé.
Outre l'effet d'éviction qu'elle induit sur une clientèle solvable et porteuse de projets économiques viables, cette situation met en péril des ressources financières non pérennes et place l'Algérie en porte-à-faux par rapport à son engagement de faire respecter les règles de Bale II et aussi celles de Bale III adoptées en 2010. La commission bancaire, rouage essentiel de la BA et dont tous les membres sont nommés par le président de la République, dispose-t-elle des moyens de s'assurer que les ratios de liquidité standard, le risque de marché, le risque opérationnel, les grands risques et demain le risque de levier (ne fait pas encore partie de l'activité de nos banques qui ne travaillent pas sur les produits dérivés), sont maîtrisés par les banques commerciales ? En revanche, sur la question du réescompte, le conseil d'administration du FMI indique la voie à suivre : l'élimination par la BA des opérations de réescompte qui étaient devenues systématiques, nonobstant le règlement 15-01 du 19 février 2015 de la BA, modifié et complété, qui les encadre strictement. Et ce faisant, la BA responsabiliserait davantage les banques commerciales qui seront tenues de gérer plus efficacement leurs liquidités, mais cette réforme ne sera pas facile à mettre en œuvre.
CONCLUSION
1. Les responsables algériens n'ont sans doute pas besoin de revues périodiques du FMI pour prendre la mesure des périls qui nous menacent ; les rappels à l'ordre de la Banque mondiale paraissent également superfétatoires. S'agissant du nouveau modèle de croissance qui duplique des thérapies d'un classicisme éprouvé conçu pour les Etats en développement susceptibles de traverser une crise d'« illiquidités», il ne prend pas suffisamment en compte les réalités du pays, bonnes et mauvaises.
2. L'Algérie a impérativement besoin d'accomplir des réformes de structure car le statu quo est intenable. Toutefois, le succès de ces réformes passe par la réduction des inégalités, la lutte contre la corruption (il s'agit de la contenir, pas de l'éradiquer), la taxation des signes extérieurs de richesse, et la sauvegarde du statut social des classes moyennes.
3. Une autre condition qui ne dépend pas des responsables algériens doit également être remplie : pour réussir sa transition énergétique, l'Algérie a besoin de mobiliser des ressources financières importantes. Seul un prix du baril qui refléterait réellement la loi de l'offre et de la demande nous en donnera les moyens (80/90 dollars à l'horizon 2018-2019). C'est la vocation de la BM et du FMI d'essayer de convaincre les plus grands producteurs d'énergie fossile de l'urgence d'une régulation des approvisionnements dans le sens de leur réduction. L'Algérie devra trouver quelque 100 à 120 milliards de dollars d'ici 2030 afin que les EnR puissent représenter 27% du mix énergétique total à cette échéance. Avec un baril oscillant entre 50 et 55 dollars, cet objectif sera hors d'atteinte.


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