Le logement constitue la seconde priorité des citoyens après l'emploi. Dans notre contexte, le problème de l'accès à l'éducation et aux soins se pose avec moins d'acuité. Nous ne parlons pas de qualité mais d'un simple droit à ces services publics. Le problème de l'emploi reste la préoccupation n°1, car un bon poste de travail va faciliter l'obtention de tous les autres services, même si ce serait de moindre qualité. Le logement demeure un problème singulier pour de nombreuses raisons liées aux aspirations des citoyens sur cette question. Gérer un pays ou un secteur d'activité c'est également et surtout gérer les anticipations des citoyens. Parfois, on y prête peu attention à cette question lors de la conception de politiques économiques, mais elle demeure centrale à la réussite ou aux échecs de plans d'actions. Nous allons en fournir quelques détails en relation avec la problématique du logement. Depuis le milieu des années soixante-dix, lorsque l'Etat avait démarré la construction et la distribution de logements –surtout sociaux- on s'attendait à chaque décennie à arriver à une situation d'équilibre. Les citoyens ont toujours espoir que l'effort gouvernemental va porter ses fruits et que la pénurie serait derrière nous. Il faut souligner que l'Etat a fait d'énormes efforts pour satisfaire les citoyens. L'analyse du budget de l'Etat montre que nous nous situons parmi les tout premiers pays qui orientent le plus de ressources vers ce secteur. Mais depuis de nombreuses années, il y a eu comme un effet d'éviction. Les ressources allouées par le secteur privé étaient nettement insuffisantes, eu égard à l'immensité des besoins. Il faut souligner qu'au cours des vingt dernières années, la croissance de l'activité privée dans ce domaine fut remarquable. Mais malgré l'embellie des dernières années et des efforts plus conséquents du secteur privé, le problème demeure épineux. Il n'y a pas de simple problème, surtout lorsqu'on aborde les politiques sectorielles de cette ampleur. Mais il y a des pistes à explorer, des expériences à analyser et toujours des correctifs à apporter. N'oublions pas l'offre et la demande Lorsqu'on analyse la dynamique d'un secteur d'activité, on enseigne toujours aux étudiants qu'il faut commencer par l'évolution de l'offre et de la demande. Cet outil simple permet souvent de rectifier bien des analyses fallacieuses. De surcroît, on n'a pas besoin d'être économiste pour faire ce genre d'analyses. Du bon sens suffit pour en tirer profit. Qu'on analyse les politiques agricoles, industrielles ou des secteurs ou sous-secteurs d'activités (textile, blé, etc.) l'évolution de l'offre et de la demande éclaire toujours sur l'ampleur des défis et les moyens à mobiliser pour arriver à un équilibre. Tentons cette analyse pour la problématique du logement dans notre économie. Certes, il n'est pas aisé de quantifier ces paramètres, mais pour le logement, on arrive quand même à avoir des données approximatives. L'offre, c'est-à-dire le potentiel de construction de logement, varie selon les estimations d'experts de 120 000 à 180 000 logements par an (toutes constructions confondues). Soyons optimistes et prenons les meilleures données, ce qui n'est pas évident, surtout par ces temps de rareté des ressources financières. Mais quelle est l'évolution de la demande par an, à supposer que le pays ajoute 180 000 unités additionnelles ? Ce nombre est-il suffisant pour absorber les anciennes demandes, tout en satisfaisant les nouvelles ? Nous savons qu'en Algérie nous commençons à avoir plus de 350 000 mariages par an; dont plus de 90% constituent des besoins nouveaux. Nous avons donc au moins 315 000 nouveaux besoins de logements. De plus, sur les plus de 7 millions de logements disponibles, le coefficient normatif de vétusté de 5% est largement dépassé dans notre pays, vu la structure de la pyramide des âges des constructions. Le vieux bâti dépasse largement les taux dans les pays qui appliquent ce taux. Malheureusement, la vaste majorité des anciens logements se trouve dans des zones séismiques, ce qui complique le problème. Mais un coefficient de 5% donne un minimum de 150 000 autres logements qu'il faille remplacer par an. Par ailleurs, pour disposer des 4000 000 logements (minimum) qui manquent pour loger tout le monde sur 20 ans, nous aurons besoin de construire 200 000 logements par an sur vingt ans. Additionnons tout cela pour trouver 665 000 logements par an à construire sur vingt ans pour régler le problème. L'ampleur du défi Cette analyse simple de l'offre et la demande situe l'ampleur du problème. Ceci explique pourquoi malgré les énormes ressources déployées et toutes les bonnes volontés le problème se complique plutôt que de se résoudre. Il est tout à fait possible, avec beaucoup d'efforts et d'ingéniosité, d'éradiquer le problème des bidonvilles mais pas celui du logement. Les citoyens posent surtout le problème de l'équité dans la distribution. Il serait le responsable n°1 des déséquilibres actuels. Bien qu'elle soit un sérieux problème, la méthode de distribution de logement serait loin d'être la cause n°1 du problème dans ce secteur. L'offre et la demande expliquent cette situation. Mais elles sont le fruit d'une politique du logement qui a déresponsabilisé le citoyen sur la construction de son habitat et a mis tout le fardeau sur les épaules de l'Eat. Tout un ouvrage ne suffirait pas à décrire comment la politique du logement social a détruit les motivations au travail, a suscité des remous sociaux, a déstructuré le marché du crédit et de la construction et enfin de compte a rendu peu probable la résolution de ce problème. Nous avons deux scénarios probables : continuer sur le même schéma ou entrevoir de nouvelles politiques plus rationnelles et plus innovantes. Les experts de l'habitat se trompent lorsqu'ils font ce genre de raisonnement : on a autour de 12 millions de personnes mal logés, le coefficient d'habitation est de 6,5 personnes par logements donc, en divisant, il nous faut vers 1 840 000 logements pour régler le problème. Cette analyse est statique et irréaliste. La plupart des besoins actuels proviennent de familles atomiques. Dans les nouveaux logements, ils ne vont pas habiter à deux ou trois familles comme actuellement. La solution nécessite une approche pluridisciplinaire et plurisectorielle. Nous avons besoin de conquérir de nouveaux espaces, de rendre l'habitat social beaucoup moins cher à construire et beaucoup moins attractif pour être un repoussoir pour les classes moyennes, d'encourager l'offre, la création de nouvelles entreprises, d'avoir des produits financiers plus adaptés, etc. Les experts dans le domaine et les décideurs doivent travailler ensemble pour produire une nouvelle vision qui inclut un horizon d'équilibre pour solutionner le gros du problème. A défaut, nous allons continuer d'espérer que l'arithmétique de l'offre et de la demande n'est pas réelle.