- Le gouvernement nouvellement installé présentera son plan d'action devant les députés le 18 juin. Quelles sont les priorités à prendre en charge ? En attendant de voir plus clair avec le plan d'action «plus détaillé» que le Premier ministre s'est engagé à exposer incessamment, devant les élus de la nation, on peut toutefois considérer, si on s'en tient aux déclarations faites par le nouveau Premier ministre, que les priorités du nouveau gouvernement, si on doit utiliser ce terme, ne changeront guère de nature puisqu'elles sont fixées sur le programme du Président et poursuivies par Abdelmalek Sellal. Pour reprendre les termes des déclarations du nouveau Premier ministre, il s'agit de continuer la mission commencée par M. Sellal et avec les mêmes priorités qu'a fixées le président de la République, qui sont l'éradication totale de la crise du logement, des bidonvilles, l'achèvement du programme de logements, l'éducation et la santé. Le nouveau Premier ministre parle aussi de donner la priorité à «une reconversion économique “nécessaire” et “urgente” pour réduire la dépendance de l'Algérie vis-à-vis des hydrocarbures» ou encore, il s'agit, «de construire une économie “plus saine et plus équilibrée”, dans laquelle le secteur privé aura “toute sa place, peut-être même une place prioritaire…» Les priorités énoncées dans leurs grandes lignes s'inscrivent donc dans la continuité des chantiers déjà ouverts par le précédent gouvernement. Les priorités du nouveau gouvernement sont donc des génériques, la réduction du chômage, la réalisation de logements, la justice sociale, la préservation des couches défavorisées et l'encouragement des projets d'investissement… Le problème est de savoir comment le nouveau gouvernement va procéder pour réaliser ces objectifs dans un contexte contraint par la raréfaction des ressources. Pour cela, on annonce qu'un plan d'action «plus détaillé sera exposé incessamment, dès qu'il sera achevé, devant les élus de la nation». C'est la déclaration du nouveau Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune. Première interrogation : comment peut-on élaborer un plan d'action efficace en un temps record, avec quels experts et avec quels bureaux d'études ? Deuxième interrogation : ce plan qui, se fondant certainement sur le souci de la rationalisation des choix budgétaires, va-t-il s'appuyer sur des évaluations et tous les indicateurs qui lui sont liés en termes de moyens, d'activité et de résultats à court et long termes qui recouvrent les notions de ressources, réalisations, résultats et impacts ? On peut d'ores et déjà s'interroger sur le contenu de ce programme d'action qui sera exposé prochainement au Parlement nouvellement élu. Espérons qu'on n'aura pas droit à un chapelet de mesures tenant lieu de priorités du gouvernement, sans plus. C'est ce qui nous rend quelque peu sceptiques sur le changement de cap et de politique. Pour cela, les priorités du nouveau gouvernement dirigé par Abdelmadjid Tebboune seraient tout autres si vraiment l'ambition affichée par le nouveau Premier ministre était de soustraire l'économie algérienne de la dépendance envers les hydrocarbures, plutôt que de continuer cette fuite en avant en affirmant réaliser le programme du président Abdelaziz Bouteflika. Beaucoup de propositions ont été faites, notamment par les nombreux experts nationaux et internationaux réunis par le CNES en septembre 2015. Sans revenir sur tout ce qui été avancé, nous pouvons juste rappeler celles faisant consensus (elles ont été acceptées et non rejetées par le pouvoir, si on se réfère aux discours du Premier ministre, Abdelmalek Sellal). Il s'agit globalement de : * La réforme de la gouvernance des actifs de l'Etat et de la gestion de son patrimoine ; * De la révision des subventions indues, les niches fiscales et autres transferts inefficaces aux entreprises publiques privées et publiques * De la levée des entraves majeures à l'investissement productif (bureaucratie, foncier, financement) * De la reprise corrigée du programme de mise à niveau des structures productives publiques et privées. On ne peut continuer à différer ce que tous les experts recommandent - Quelles sont les leçons à tirer du gouvernement Sellal ? Rappelons pour commencer qu'aucun bilan n'a été établi de l'action du gouvernement de Abdelmalek Sellal. On n'a pas présenté de diagnostic sur les actions et les engagements passés, ce qui aurait permis de cerner les contraintes et les formes de blocage, expliquer et présenter les causes des échecs consommés en matière de croissance économique, d'emploi et de valeur ajoutée. En l'absence de bilan, on ne peut qu'exprimer des appréciations. Ce qu'on peut retenir pour notre part, c'est l'empirisme qui a gouverné l'action du gouvernement. Beaucoup de discours souvent étayés par des chiffres fantaisistes, mais aucun plan rationnellement concerté et méthodiquement appliqué et évalué. Ce mode d'action génère toujours des incohérences et des contradictions entre les différents départements ministériels et les exemples illustratifs sont nombreux. Ce qu'illustre aussi le grand décalage entre les intentions et les réalisations : la croissance économique très en deçà de ce qu'elle devrait être, la productivité globale des facteurs est toujours très faible, l'investissement productif insignifiant, et cela malgré les engagements des pouvoirs publics, des employeurs et des syndicats (plutôt de la seule UGTA) à réaliser des objectifs dans le cadre du pacte de croissance antérieurement adopté. Ce qui traduit la médiocrité de la capacité managériale de nos gouvernants et l'absence de stratégie pluriannuelle, avec des objectifs de réformes graduelles et d'avancement chiffrés. Il aurait fallu pour cela créer un grand ministère de l'Economie ou un ministère de la Planification (qui n'est pas une idéologie mais une science servant à préparer les scénarios décisionnels sur la base des données socio-économiques objectives pour réduire les incertitudes, assurer la cohérence sectorielle…comme cela se pratique dans de nombreux pays, à l'exemple de la Turquie). Il aurait fallu pour cela institutionnaliser l'évaluation des politiques publiques (du local au national), à l'instar des pays développés et émergents, qui tentent de traiter avec beaucoup d'efforts et de moyens (consacrés notamment à la formation, à l'expertise et à la recherche), pour rationaliser l'action publique et améliorer l'efficacité et l'efficience de la dépense publique et être en parfaite alliance et symbiose avec les citoyens que les gouvernants sont censés servir au mieux. Ainsi, malgré l'importance qui lui est reconnue dans les discours, l'évaluation des politiques publiques du local au national est quasiment ignorée dans notre pays, sans doute parce que son institution bousculerait notre système politique et administratif, et remettrait en cause bien des privilèges et des fortunes mal acquises. Sous le gouvernement de Abdelmalek Sellal, les réformes de gouvernance ont été assez timides pour ne pas dire inopérantes concrètement. Tous les classements de l'Algérie à l'échelle internationale (climat des affaires traduit par l'indice «Doing Business», corruption, traduit par l'indice IPC de Transparency International, compétitivité, traduit par l'indice de Davos …) demeurent au rouge, traduisant le peu d'engagement de l' Exécutif, bridés sans doute par l'absence d'une réelle volonté politique de changement institutionnel. - Comment concilier rigueur budgétaire et politique sociale en cette période de préparation de la loi de finances 2018 ? Comme nous l'avons déjà souligné dans d'autres contributions, en période de crise, on recourt plus que d'ordinaire à la rationalisation des choix budgétaires. Si on veut éviter (ce qui a été le cas jusqu'à présent), de s'engager dans des politiques d'austérité, coûteuses socialement, qui ont partout échoué, il faudrait, selon notre humble avis, comme nous l'avons déjà exprimé à la suite de nombreux observateurs attentifs de l'économie algérienne, engager aujourd'hui et pas demain deux grandes réformes : celle de l'impôt et celle du régime des subventions. La révision de l'impôt permettra de remettre en cause les rentes de situation (antinomiques au fonctionnement d'une économie de marché) et serait d'un gain considérable pour le Trésor public. Il faut impérativement réformer sans tarder le régime de subventions généralisé, pour introduire des subventions intelligentes, ciblant ceux qui en ont le plus besoin et venant en complément des filets de protection sociale existants. Le budget de l'Etat serait allégé du poids lourd des subventions non ciblées. La révision du régime des subventions peut produire des gains économiques et sociaux substantiels, les subventions encourageant la consommation et le gaspillage. Il faudrait aussi réduire sérieusement aussi le train de vie de l'Etat, non seulement pour réduire l'énorme gaspillage financier, mais aussi pour un effet de démonstration qui sera positivement apprécié par la population appelée à changer de comportement et accepter des réformes. Mais il faudrait aussi éviter l'improvisation et convenir collectivement d'ouvrir les grands chantiers de réformes sur la base d'un diagnostic sans complaisance du fonctionnement de l'économie algérienne (les éléments de ce diagnostic sont au demeurant assez connus). La période d'incubation des réformes peut être plus ou moins longue, mais le changement se réalisera. Il s'agit par conséquent de s'engager résolument dans des réformes permettant à terme d'asseoir les ressorts des équilibres macro-financiers hors fiscalité pétrolière. Et c'est la seule voie permettant de pérenniser les acquis sociaux. En définitive, comme nous n'avons cessé de le souligner, de l'affirmer et de l'étayer à la suite de nombreux chercheurs et observateurs avertis de l'économie algérienne, le problème en Algérie ne relève certainement pas de la simple conjoncture qu'il faut traiter avec les leviers traditionnels des politiques de rigueur budgétaires. Le problème, tout le problème réside dans la dépendance quasi-totale vis-à-vis de la rente des hydrocarbures, capital non reproductible. Il s'agit par conséquent de trouver d'autres sources de richesses pour assurer le financement des services publics (éducation et santé, notamment) indispensables à la collectivité nationale.