- Tout le monde tire la sonnette d'alarme quant à ce qui nous attend avec la baisse des cours du pétrole. Peut-on relativiser ce scénario catastrophe ? Cela fait déjà très longtemps qu'on attire l'attention et de façon récurrente sur les dangers liés à la très forte dépendance de notre économie aux hydrocarbures et sur l'urgence d'une stratégie de diversification. La conjoncture actuelle de baisse des cours du pétrole met à nouveau à nu cette vulnérabilité structurelle de l'économie algérienne et confirme par là même que, finalement, au-delà des effets d'annonce, rien de sérieux n'a été entrepris pour diversifier l'économie et réduire ainsi cette dépendance. «Gouverner, c'est anticiper et ne pas anticiper, c'est déjà gémir», disait Léonard de Vinci et le moins que l'on puisse dire est que le gouvernement a péché par absence d'anticipation. Les craintes sont donc fondées et justifiées. Ceci dit, il existe en effet des moyens qui permettront d'atténuer, à court terme, l'impact de cette contraction de ressources sur l'économie. Il y a les réserves de change du pays qui représentent un matelas de sécurité important (près de 200 milliards de dollars) pouvant assurer, le cas échéant, 3 à 4 ans d'importations ainsi que le Fonds de régulation des recettes moins important en termes de dotations, et qui a déjà été mis à contribution pour éponger une partie des déficits budgétaires enregistrés ces dernières années et qui peut être fortement mobilisé dans ce contexte particulier. Par ailleurs et plus fondamentalement, une politique de rigueur budgétaire peut être mise en œuvre pour mettre un terme au laxisme budgétaire et dégager ainsi des économies. Sinon, le salut ne peut venir que d'une nouvelle stratégie économique visant la relance des secteurs productifs hors hydrocarbures afin de diversifier et d'élargir les sources de revenus et créer des emplois en quantité et en qualité. - Selon vous, quelles devront être les priorités du gouvernement à très court terme ? Le gouvernement doit amorcer sans tarder ni tergiverser une sortie de ce schéma rentier par la réorientation de la politique économique et sociale à travers des mesures et actions concrètes. Il s'agit ainsi de mettre en œuvre une politique de rationalisation des dépenses publiques qui implique inévitablement la réforme du système des subventions actuel qui est trop coûteux (25 à 30% du PIB) et surtout injuste et inefficace. En effet, la subvention de plusieurs produits alimentaires (qui coûte 3 à 4 milliards de dollars par an) ainsi que l'énergie est foncièrement injuste dans la mesure où elle ne profite pas uniquement aux catégories sociales démunies, mais également aux autres catégories qui n'ont pas besoin d'aides, ce qui est synonyme de gaspillage de ressources. Ce système de subventions profite également aux réseaux de contrebande et aux habitants des pays limitrophes à travers le détournement des produits subventionnés (carburant, produits alimentaires). Enfin, ce système est inefficace d'un point de vue économique dans la mesure où il perturbe le bon fonctionnement de l'économie (prix faussés, taux d'inflation comprimé...). Le maintien de ce système favorise le développement d'un cercle vicieux qui empêche l'émergence d'une économie productive et moderne : les importations massives et croissantes de produits alimentaires dont la plupart sont subventionnés (blé, lait, sucre...) découragent fortement les investissements dans les filières agricoles concernées et donc la production nationale, ce qui rend systématique et croissant le recours aux importations. Il y a donc urgence à mettre un terme à cette politique absurde et suicidaire en concevant, d'une part, un système de subventions ciblé, basé sur des aides directes au profit des seules catégories sociales nécessiteuses et clairement identifiées, et d'autre part un autre système de subventions en amont au profit des filières agricoles afin d'encourager la production locale et réduire ainsi la dépendance alimentaire du pays. Par ailleurs, le rétablissement des prix réels des produits subventionnés appellera à plus de discipline en contraignant les consommateurs et les usagers à la rationalisation en évitant ainsi les gaspillages et les détournements. Enfin, ce nouveau système permettra de dégager des économies appréciables qu'on pourrait investir dans les secteurs productifs, créateurs de richesses pérennes et d'emplois durables. Il y a lieu aussi d'améliorer le management des projets publics qui mobilisent des sommes faramineuses afin de réduire les retards de réalisation et les surcoûts (qui s'élèvent parfois à 20-30% pour certains projets) à travers une meilleure maturation des projets, l'amélioration de leur gestion et le renforcement des contrôles pour prévenir la corruption. La diversification de l'économie passe nécessairement par un renforcement de la politique de soutien aux entreprises à travers l'assouplissement du cadre réglementaire et institutionnel relatif à la création et au fonctionnement des entreprises, la simplification de la fiscalité pour favoriser la production au détriment de l'importation. Notons au passage que la loi de finances pour 2015 en instituant un taux unique de l'IBS (23%) pour les entreprises de production et les entreprises d'importation, en réduisant ainsi le taux auquel étaient soumis les importateurs (25%) et en augmentant celui des producteurs (19%), favorise clairement l'activité d'importation au détriment de l'activité de production. Par ailleurs, l'Etat est tenu de réhabiliter la fiscalité interne en œuvrant à l'amélioration du recouvrement de l'impôt et l'élargissement de la base fiscale par, d'une part, des mesures incitatives en direction du secteur informel pour favoriser la formalisation des micro-entreprises et, d'autre part, par des mesures coercitives en direction de l'économie souterraine qui abrite les grosses fortunes et les opérateurs frauduleux. - Quels sont les pièges dans lesquels il ne faudra pas tomber au nom de l'austérité en tentant de juguler les crises économiques et sociales à venir ? Quelques mesures d'austérité ont déjà été arrêtées et annoncées par le gouvernement, comme le gel des recrutements dans la Fonction publique et la rationalisation des importations qui reste à préciser. En l'absence d'une remontée significative des cours du pétrole, il est évident que le gouvernement sera contraint à prendre d'autres mesures et à arrêter un plan d'austérité pour mettre un terme au laxisme budgétaire observé jusqu'ici. En tout état de cause, une politique de rigueur budgétaire est impérative pour revenir à une gestion saine, efficace et responsable de l'économie. Cette politique passe par une rationalisation des dépenses publiques et une baisse des importations (non stratégiques). Comme je l'ai mentionné précédemment, la rationalisation des dépenses publiques devrait concerner principalement la politique sociale de l'Etat et en particulier le système des subventions qui absorbe des ressources importantes (50 à 60 milliards de dollars) et qui est économiquement inefficace et socialement injuste. Cette rationalisation devrait également toucher les dépenses d'équipement de l'Etat inscrites dans le cadre des programmes quinquennaux de développement, surtout quand on sait que les restes à réaliser de ces programmes avoisinent parfois les 50% et que les surcoûts sont excessivement élevés. Ce qu'il faut à mon avis éviter, c'est la hausse de la fiscalité qui pénaliserait l'investissement productif et la production locale ainsi que la consommation des ménages et aussi le blocage des salaires dont le pouvoir d'achat qui, quoi qu'on en dise, reste faible.