Après un arrêt brutal en juin 2016 pour une histoire d'«autorisation de tournage», «Nass Stah» est de retour ce Ramadhan sur Echorouk TV et Echorouk News. L'équipe a surmonté ses chocs et ses blessures pour offrir chaque soir une satire politique toujours fraîche et osée. Abdelkader Djeriou, metteur en scène et scénariste, revient sur les conditions de retour de l'émission, passée déjà par plusieurs diffuseurs. - «Nass Stah» est de retour au petit écran. Comment justement s'est fait ce retour ? «Nass Stah» de ce Ramadhan 2017 est dans la continuité des précédentes saisons. Nous avons déjà de bons échos. L'émission est classée parmi les dix programmes et feuilletons les plus regardés durant ce mois sacré. Mais, nous ne sommes jamais satisfaits. Cette année, nous subissons beaucoup de pressions. Nous sommes parfois tombés dans l'autocensure. Je n'aime pas l'autocensure. Traiter de sujets politiques, c'est devenu très sensible. Je sens que le climat s'est beaucoup dégradé par rapport à 2012 et 2013, années durant lesquelles nous avions plus de liberté. On sent que ça devient de plus en plus serré. Nous essayons de faire avec et être plus subtiles surtout que le journal Echorouk ne reçoit plus de publicité de l'ANEP. De quoi se mêle l'ANEP ? La publicité doit aller aux médias qui fonctionnent bien, les médias performants. Les programmes qui attirent l'audimat doivent aussi avoir de la pub. - Le journal Echorouk ne reçoit plus de la pub à cause de «Nass Stah» ? Oui, c'est ce qu'on dit. Donc, on se retient. Nous sommes toujours choqués par rapport à l'année passée avec KBC et avec la détention de Mehdi Benaissa et d'autres personnes. L'émission a été arrêtée. Nous sommes quelque peu fragilisés. Mais, nous restons concentrés sur notre émission. «Nass Stah» a changé trois fois de chaîne déjà (El Djazaïria, KBC et Echorouk), mais reste très vue avec la même ligne éditoriale. - Et pourquoi avoir changé de chaîne de télévision ? C'est une question de moyens. Nous avons été sollicités par une chaîne de télévision privée qui a une marge de liberté très étroite. La ligne éditoriale de «Nass Stah» ne pouvait pas s'adapter à cela. Là, on est diffusé par Echorouk Tv. - Une plainte est déposée contre vous par l'ancien producteur de l'émission. Qu'en est-il ? Ryad Rejdel, ancien producteur, a déposé une plainte contre Echorouk TV réclamant son droit de propriété sur «Nass Stah» (ex- «Jornane El Gosto») et demandant l'arrêt de la diffusion. Il a déposé le dossier au niveau de l'ONDA (Office national des droits d'auteur) alors qu'il ne peut pas le faire sans moi. J'écrivais les scénarii et assurait le contenu de l'émission aussi. - Est-il vrai que vous envisagez d'arrêter «Nass Stah» l'année prochaine ? Mon avis et celui de la troupe artistique est que «Nass Stah» doit s'arrêter, oui. C'est la dernière saison de «Nass Stah» ! Le programme a atteint ses limites objectives. Nous souhaitons qu'une autre équipe prenne le relais l'année prochaine. Un concept d'émission ne doit pas mourir. Je peux aider d'autres comédiens à se lancer dans la reprise de l'émission, ça sera une fierté pour moi. Je ne vais pas les attaquer en justice. Ces choses-là ne se font pas dans l'art. Ce n'est pas de la marchandise. L'ancien producteur a réclamé de l'argent. Il a demandé au directeur de la chaîne de télévision une partie du cachet des comédiens. Il estime qu'il doit être payé même si l'équipe de «Nass Stah» fait autre chose ! A ma connaissance, l'esclavage a été aboli. En 2016, lorsque la gendarmerie m'a interpellé, j'ai envoyé un texto à l'ancien producteur lui disant que les gendarmes cherchaient l'origine du concept de «Nass Stah». Sa réponse fut foudroyante : «Khatini.» (Je n'ai aucun rapport). Cette affaire de plainte en justice nous a un peu déstabilisés. Personnellement, je n'ai pas le temps pour m'en occuper. Le plus important est que le programme continue. Auparavant, nous avons travaillé sur l'effet surprise notamment en ce qui concerne les questions politiques. Les choses se sont banalisées quelque peu dans ce domaine. - La satire politique s'est désormais imposée dans le paysage audiovisuel algérien... C'est cela. Nous avons rendu la satire politique plus accessible aux autres. Avant nous, personne n'osait s'approcher de la politique. Là, quand je regarde la série Achour El Acher, je constate qu'on évoque la politique d'une manière claire. Tout cela grâce à l'ouverture de l'audiovisuel. Pour nous, il faut passer à d'autres défis après «Jornane El Gosto» et «Nass Stah». En tant qu'artiste metteur en scène, je réfléchis à un autre programme qui sera plus sérieux. Il s'agit d'un feuilleton qui reviendra sur les années 1990 en Algérie, une période peu présente au cinéma et à la télévision. Il s'agit d'un sujet tabou. L'Algérie a eu l'expérience de la montée des islamistes et du radicalisme. Il y a donc une grande matière à explorer. Nous sommes en contact avec deux journalistes qui étaient sur le terrain à l'époque pour l'écriture du scénario à partir de faits réels. C'est en fait l'histoire d'un journaliste qui a écrit un roman sur sa propre expérience. - Après l'arrêt brusque de 2016, qu'avez-vous changé ou gardé dans la nouvelle saison de «Nass Stah» ? Nous sommes revenus en portant le choc de l'année passée. Nous ne nous attendions pas à une réaction aussi brutale de la part des autorités. Trois personnes ont été mises en prison, ce n'est pas rien. Cette année, nous sommes plus prudents. Cela met plus de pression dans l'écriture du scénario. Je me dit qu'il faut éviter ceci ou cela aux fins de ne pas avoir d'ennuis. Les circonstances ont changé. Auparavant, je ne faisais pas attention à certaines choses. Peut être que c'est une maturité et une responsabilité. Autrement dit, essayer de travailler en éloignant l'idée de la liberté absolue et de l'idéalisme. L'équipe est là à me rappeler certaines choses et m'aide à modifier parfois le texte pour justement se prémunir des difficultés. - Aucune émission n'a été censurée jusqu'à maintenant ? Le passage d'un épisode a été reporté, pas censuré. Il passera plus tard. - Quels sujets avez-vous évité d'aborder cette année? En fait, c'est la manière d'aborder les sujets qui a changé. Le dosage est différent. Il n'y a pas de sujets tabous ou de personnalités à ne «pas toucher». Mais, dans le contenu nous faisons attention. Nous avons critiqué des ministres qui ont quitté le gouvernement après le dernier changement. Logiquement, nous ne pouvons pas évoquer de ministres qui viennent à peine de prendre leurs fonctions. - Vous critiquez tout le monde ? Ah oui, pouvoir et opposition. Nous ne faisons pas de différence. La force de «Nass Stah» est dans sa neutralité. Nous n'avons choisi ni camp ni parti. Nous avons évoqué Makri, Benflis, Hanoune, bref, tous les hommes et femmes politiques qui font l'actualité. Personnellement, je n'ai pas d'ambitions politiques. Mon statut d'artiste est plus important qu'un statut de ministre ou d'homme politique. - Les personnalités déjà évoquées dans «Nass Stah» n'ont-elles pas protesté ? Nous avons indirectement eu quelques réactions. Des ministres ont appelé nos amis pour exprimer leurs protestations. Et j'ai remarqué que les artistes protestent plus que les hommes politiques. Après sept saisons, je pense que les gens ont compris le principe de l'émission. Je dois dire qu'on ne fait pas la révolution avec l'art. L'art ouvre les esprits mais ne provoque pas de Révolution. Ce n'est pas Abdelkader Djeriou ou «Nass Stah» qui vont faire une révolution avec un programme satirique. C'est juste une bouffée d'oxygène qui peut même servir le pouvoir. «Nass Stah» est unique en son genre dans le monde arabe dans le sens qu'il critique directement les personnalités publiques. Ce constat a été même établi par les chaînes MBC et Al Arabiya qui ont consacré des reportages à notre émission - Vous êtes passés de «Jornane El Gosto» à «Nass Stah», pourquoi ce changement de titre ? Parce que l'esprit a un peu changé. «Jornane El Gosto» était un JT satirique. Avec «Nass Stah», c'est autre chose. Il y a une vie avec des personnalités. Bahlito (Nabil Asli) est devenu Che Guevera, Madli (Mourad Saouli) joue le personnage du Zefaf... Il y a un cadre vide dans les décors que tout le monde peut remplir à sa manière. Les personnages ne sont donc plus des présentateurs de JT. Chacun a son histoire sur une terrasse. La terrasse est très significative. Toutes les grandes religions ont été révélées dans des hauts lieux, comme les montagnes. Donc, les grandes décisions se prennent sur les terrasses. - Au début de ce mois de Ramadhan, «Nass Stah» ressemblait à une prison. Pourquoi ? Ce n'est pas la prison en tant qu'endroit qui m'intéresse, mais la prison mentale. Au début, lorsque j'avais proposé «Jornane El Gosto» comme une satire politique, certains ont essayé de me dissuader en me disant que les gens n'étaient pas prêts. Aujourd'hui, «Jornane El Gosto» est une référence. Je pense que certains devraient sortir de la prison qui est dans leur tête. Certains vivent dans la paranoïa et dans la peur. On fait beaucoup d'interprétation d'événements qui sont ordinaires. Et on fait dire parfois à des hommes politiques ce qu'ils n'ont pas dit ou fait. A la fin, les personnages de «Nass Stah» vont se rendre compte que la porte de la prison était ouverte dès le début mais ils avaient peur de sortir. L'expérience de 2016 m'a beaucoup servi. Nous nous sommes retrouvés seuls avec des amis en prison. Une partie du public nous a soutenu, une autre nous a attaquée. Certains rejettent le changement et se sentent à l'aise avec leur bourreau ! - Comment se prépare «Nass Stah» ? La matinée et l'après-midi, j'écris le scénario après avoir lu les journaux. De 15h à 16h, je valide le montage de l'émission qui passera le soir. Des responsables d'Echorouk TV, comme Leila Bouzidi ou Larbi Zouak, valident aussi l'émission au montage. Car, je ne veux pas qu'il ait de censure lors du passage à l'antenne. Le plus souvent tout est gardé. De 16h à 19h, nous faisons les répétitions. Après le f'tour, on commence le tournage jusqu'à 3h du matin.