La situation inhumaine des migrants subsahariens en Algérie continue d'alimenter les forums et les discussions sur les réseaux sociaux et suscite des réactions majoritairement de compassion et de solidarité. Mais c'est incontestablement la déclaration du secrétaire général du RND (Rassemblement national pour la démocratie) et directeur de cabinet de la Présidence, Ahmed Ouyahia, qui a le plus choqué. Intervenant samedi dernier sur une chaîne de télévision privée, dont l'enregistrement a été diffusé hier sur le site du parti, Ouyahia affirme : «D'abord, ces gens sont venus de manière illégale. De plus, la loi algérienne ne permet pas de recourir à la main-d'œuvre étrangère. Nous avons des sociétés chinoises qui exercent en Algérie, qui ramènent leur propre main-d'œuvre mais avec des contrats de travail renouvelables. Au sein de cette communauté installée de manière illégale dans notre pays, il y a les crimes, de la drogue et beaucoup de graves fléaux. Nous ne demandons pas à l'Etat de les jeter en mer ou au-delà des frontières du Sahara. Mais leur présence en Algérie doit se faire dans le cadre de la loi. Nous ne pouvons pas laisser le peuple algérien vivre dans l'anarchie. Ceux qui nous parlent des droits de l'homme, je leur dis que nous sommes souverains chez nous. Il y a de grands pays qui parlent de la construction de mur avec un de leurs voisins, et l'Europe veut transformer l'Algérie et l'Afrique du Nord en campements pour stopper les Africains.» Pour beaucoup, Ahmed Ouyahia a manqué de tact. Il a suscité l'indignation. La réaction d'Amnesty International, une ONG militant pour le respect des droits de l'homme, ne s'est pas fait attendre. Dans un communiqué rendu public hier, l'organisation juge les déclarations de l'ancien chef de gouvernement et secrétaire général du RND de «choquants et scandaleux !» Pour elle, «de tels propos alimentent le racisme et favorisent la discrimination et le rejet de ces personnes», et de ce fait, elle rappelle à Ahmed Ouyahia que «ces personnes ont fui les guerres, la violence et la pauvreté. Elles sont venues en Algérie chercher la paix et la sécurité. Il est de la responsabilité du pays de les accueillir, conformément aux textes internationaux signés et ratifiés par l'Algérie». La déclaration du directeur de cabinet de la Présidence tranche totalement avec celle du Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, faite devant les députés de l'Assemblée nationale il y a quelques jours seulement, en réponse aux accusations de «racisme» portées contre l'Etat algérien, en raison des conditions inhumaines dans lesquelles vivent les migrants africains. «Il y a des parties qui veulent ternir l'image de l'Algérie et lui coller l'étiquette de pays raciste. Nous ne sommes pas des racistes, nous sommes des Africains, des Maghrébins et Méditerranéens. L'Afrique et le monde arabe sont le prolongement naturel de l'Algérie et l'espace dans lequel elle évolue et se développe (...). Le devoir moral et humain nous impose de prêter assistance à nos frères contraints de fuir leurs terres en raison de la pauvreté et des affres de la guerre», avait souligné Tebboune, en précisant toutefois que «la présence de nos frères africains dans notre pays sera réglementée et le ministère de l'Intérieur procède actuellement à travers les services de police et de gendarmerie au recensement de tous les déplacés (…), une carte sera attribuée à tout déplacé dont la présence en Algérie a été approuvée et lui donnera accès aux opportunités de travail. Pour les autres, des discussions seront engagées avec leurs pays d'origine en vue de leur rapatriement, comme cela avait été fait avec le Mali et le Niger. Il ne faut pas tourner le dos aujourd'hui à ceux qui nous ont aidés hier». Le Premier ministre a reconnu l'existence «de difficultés objectives» au niveau des wilayas frontalières qui, selon lui, «sont néanmoins traitées à travers les divers organes de sécurité et les instances nationales d'aide et de secours, en coordination diplomatique avec les pays d'origine en vue d'encadrer l'opération de rapatriement de leurs ressortissants sur la base de conventions bilatérales». Mieux encore, Tebboune s'est montré menaçant contre «aussi bien toute association ou citoyen qui porterait atteinte à la réputation de l'Algérie en prétendant que l'Algérie africaine maltraite les Africains». Le Premier ministre est allé jusqu'à appeler «à éviter de faire prévaloir les sentiments sur le côté sécuritaire dans le traitement du dossier des déplacés africains». Mais c'est ce qu'a fait le patron du RND, samedi dernier, en stigmatisant les migrants africains accusés de tous les maux sociaux. Le faux pas d'Ahmed Ouyahia, connu pourtant comme «un fin politicien», nuit à l'image du pays, qui de tout temps a traité ce dossier sous l'angle humanitaire. En effet, depuis des années, le Croissant-Rouge algérien assure la prise en charge sanitaire et scolaire des migrants, notamment ceux installés dans les centres d'accueil répartis à travers les wilayas frontalières du sud du pays et «sans aucune discrimination», souligne Saïda Benhabylès, présidente du CRA.