Encore une fois de plus, le programme du nouveau gouvernement fait de la réforme administrative une priorité publique. On met le doigt sur une des lacunes qui a littéralement réduit à néant les efforts de développement du pays. Peu d'analystes mesurent les conséquences désastreuses d'une administration sous-gérée. On sous-estime toujours ses impacts sur l'efficacité de la dépense publique, et en fin de compte sur le rythme de développement d'un pays. Tous ceux qui ont approuvé les fameux plans de relance comprennent très peu les modes de fonctionnement administratifs et leurs répercussions fâcheuses sur l'économie. S'ils avaient saisi que plus de 70% des dépenses iraient en retards, malfaçons, restes à réaliser, surcoûts, corruptions, etc. ils auraient proposé de moderniser l'administration avant de lui fournir des sommes faramineuses à gérer. J'avais attiré l'attention sur cette question dans une interview à El Watan en septembre 2004 intitulée : «Il faut différer le plan de relance». L'idée était de moderniser les administrations et les entreprises avant de leur allouer des sommes énormes à dépenser. Cependant, le retour en arrière est impossible. Il faut alors bien comprendre qu'avec les modes de fonctionnement administratif actuels, aucune émergence et aucun développement n'est possible. Quel que soit le programme gouvernemental élaboré, il sera battu en brèche rapidement par une administration sous-qualifiée et sous-gérée. Beaucoup de pays ont compris cela et l'analyse des processus d'émergence et de développement montre que la modernisation administrative a toujours été une condition sine qua none. On donne toujours l'exemple du Brésil qui a érigé durant les années soixante-dix un ministère de la «dé-bureaucratisation» pour moderniser son administration. La tentative méthodiquement menée a été couronnée de succès. Quelques clarifications nécessaires Durant de nombreuses décennies, nous avons surtout brillé par la conception de programmes macroéconomiques : industries industrialisantes, restructuration, réformes économiques, plans de relances, etc. Nous avons toujours fait l'hypothèse irréaliste que nous avons un tissu d'institutions administratives (et d'entreprises) efficacement géré qui est capable de mener à bien les décisions prises au niveau central. A chaque fois, d'une manière sournoise, le mode de fonctionnement administratif bat en brèche les décisions macroéconomiques prises, même les plus pertinentes. Jusqu'à l'heure actuelle, on tente des programmes de diversification économiques, de refonte des subventions, d'exportations hors hydrocarbures, et le reste avec un mode de fonctionnement administratif qui en réalité a régressé depuis. Certes, certaines avancées symboliques eurent lieu : validité des passeports allongée, délai de délivrance de certains documents réduit, etc. Mais, dans l'ensemble, les processus administratifs demeurent incompatibles avec l'émergence, le développement ou même l'amélioration continue qui caractérise les économies bien gérées. Nous avons maintes fois expliqué que l'erreur n'incombe guère aux personnes. Peu recyclés, mal considérés, sous-payés, mal positionnés et travaillant dans un environnement peu organisé, ces administratifs ne peuvent que se comporter ainsi. Ceux qui les critiquent feraient absolument la même chose à leur place. C'est le modèle administratif tout entier qu'il faut reconsidérer. Globalement, nous avons deux types d'administrations dans le monde. Le premier est de type bureaucratique. Il repose sur l'affectation de tâches à réaliser avec peu de descriptions précises sur la manière de les réaliser. Il y a des lois qui devraient être respectées, mais aucune description de procédures n'est produite. Par exemple, les services de l'urbanisme doivent fournir des autorisations de construction selon la réglementation en vigueur. On aura un mode de fonctionnement anarchique puisqu'aucune règle de fonctionnement n'est élaborée. Le deuxième modèle serait une administration experte. Non seulement le service doit fournir des autorisations, mais il y a des procédures vérifiables à respecter qui sont sévèrement contrôlées : la réponse doit intervenir au maximum dans 15 jours, sinon un clignotant rouge s'allume dans les ordinateurs de nombreuses institutions (daïras, wilayas, services spécialisés, etc.). En cas de refus, il faut expliquer pourquoi, appeler les concernés et les conseiller sur les modifications à apporter. De surcroît, on utilise des indicateurs-clés pour mesurer la performance de ces services (durée moyenne d'une autorisation délivrée, taux de satisfaction des utilisateurs, etc.). Le processus est périodiquement audité par des instances indépendantes. Les associations des utilisateurs contrôlent également la bonne marche des dispositifs. Des systèmes de rémunération/pénalisation sont bâtis autour des résultats. Bref, on a une administration experte gérée par des indicateurs-clés, de la transparence, la responsabilisation et donc managée par les résultats. Un passage difficile Comment passer d'une administration bureaucratique à une administration experte ? Toute la problématique est là. La première détruit de la richesse, crée de la rancune envers l'Etat, s'aliène les citoyens et condamne le pays à la stagnation économique. La seconde mobilise les énergies des citoyens et les canalise pour créer de la richesse, des emplois et du bien-être pour tous. Le passage n'est pas facile. Toutes les bonnes choses sont compliquées. Il ne faut surtout pas demander à l'administration de s'auto-améliorer. Les circulaires et les injonctions seront vaines. Une administration bureaucratique est bien outillée pour faire déraper toute tentative peu rigoureuse pour la transformer. Elle doit être impliquée dans le changement, mais ne pas être le chef de projet. Le management du changement administratif nécessite une forte volonté politique et un fort appui technique. Il faut que l'Etat donne un signal fort montrant qu'il veut transformer en profondeur le système. Généralement, en créant une structure chargée de ces mutations qui soit placée sous une très haute instance responsable (présidence de la République ou Premier ministère). Mais cela n'est pas suffisant. C'est un changement radical de paradigme qu'il faut introduire. Les experts en management administratif mesurent l'ampleur du challenge. C'est un projet difficile, mais pas impossible. Il faut alors former (en masse et en qualité), communiquer (expliquer), mettre en place des dispositions pour rassurer, promouvoir ceux qui adhèrent, etc. Beaucoup de pays ont réussi à le faire, pourquoi pas nous ? Dès lors qu'il y a une forte volonté politique à mener un projet de la sorte, l'ordonnancement technique des opérations est connu. Lorsque la volonté politique est forte, on peut contrecarrer les quelques résistances de la part des personnes qui vont perdre dans le processus (corruption). Mais il y a un facteur que l'on néglige trop souvent dans notre pays et qui peut nuire fatalement à une telle opération. Nous avons une faiblesse manifeste dans le développement des industries du savoir : sociétés spécialisées en base de données, en redressement d'entreprises, en qualité, en exportation, etc. C'est ce qui explique en grande partie la faiblesse de notre compétitivité et de nos exportations hors hydrocarbures. Nous avons besoin de sociétés spécialisées en gestion administrative qui peuvent être sollicitées par l'Etat pour aider à faire fonctionner efficacement nos institutions publiques : wilaya, daïras, APC, hôpitaux, universités, différentes agences, etc. Il faut investir, les ériger et les utiliser. Il y a bien d'autres aspects à clarifier que nous développerons ultérieurement. Mais nous avons là l'essentiel des préoccupations à gérer dans le contexte d'un changement radical de paradigme au sein des instances administratives.