Le film égyptien Mawlana tord le cou avec courage aux idées religieuses extrémistes. «Mawlana» (Notre maître), de l'Egyptien Magdi Ahmed Ali, est un film frappé d'interdit dans la plupart des pays arabes. Adapté d'un roman à succès d'Ibrahim Issa, paru en 2012, le long métrage, présenté jeudi soir en projection spéciale au 10e Festival international d'Oran du film arabe, aborde de front la thématique du renouvellement du discours religieux, du fanatisme, de la politisation du culte et des manipulations sécuritaires de la pratique religieuse. Des sujets explosifs qui sont intolérables, tant pour les autorités politiques que religieuses dans la région arabe. Saddek Es Sabah, le distributeur libanais du film, n'arrive pas à placer le long métrage dans les pays du Golfe et au Moyen-Orient. Au Liban, une autorité religieuse a exigé la suppression d'une partie du film qui traite du chiisme. «Mon message est clair : je suis contre la pensée extrémiste salafiste qui est influencée par le wahhabisme. Nous voulons tous nous débarasser de ces idées qui enchaînent la volonté des peuples arabes et qui les empêchent de se développer. Nous ne pouvons pas faire un pas en avant, tirés vers l'arrière par ces idées qui dénaturent le vrai islam», a expliqué Magdi Ahmed Ali, présent à Oran. Le film suit l'évolution d'un jeune prédicateur, Hatem Chenaoui (Amr Saâd), qui intervient à travers la télévision pour expliquer les vrais précepts de l'islam, essayer de combattre les idées reçues et dévitaliser les croyances radicales. A chaque passage sur le petit écran, son audience augmente auprès de la population. Il est sollicité partout pour assister aux fêtes de mariage et aux cérémonies. Il défend le soufisme, évoque les Mo'tazila, revient sur la vie du Prophète Mohamed, plaide pour la modernisation de l'islam et prend la défense de Cheikh Mokhtar (Ramzi Al Adl), un imam qui prône un islam modéré et qui lutte contre le fanatisme. Hatem Chenaoui devient un homme fortuné et influent. Son discours est suivi de près par les autorités. Un jour, il est sollicité par le fils du Président pour régler «un problème familial», celui du jeune Hassan (Ahmed Magdi), converti au christianisme, après un voyage à l'étranger. Le fils du Président, qui rappelle vaguement Djamel Moubarek, a peur que sa succession soit compromise par ce «problème » de changement de culte. L'imam Hatem va essayer de trouver une solution, mais la situation se complique. Et c'est là que le jeu de la manipulation politique apparaît jusqu'au drame. «La peur n'arrête pas la mort. La peur empêche de vivre», a lâché l'imam Hatem à un officier. Le film aborde aussi avec audace la question épineuse des hadiths faibles ou ceux attribués faussement au Prophète Mohamed. «Vous vous intéressez à El Boukhari et vous oubliez Allah», a lancé l'imam. El Boukhari est parmi ceux qui ont retranscrit les paroles dites par le Messager de l'islam. «Un seul islam» Ibrahim Issa a veillé à écrire lui même les dialogues du film pour bien mettre en valeur les idées qu'il défendait dans le roman sur l'islam et ses enseignements. Un islam modéré qui accepte l'autre et qui plaide pour le vivre-ensemble et pour la compréhension apaisée du message divin et l'actualisation de la pensée. Le film est dense et rythmé. Chaque minute est précieuse et chaque mot a de la valeur. Le metteur en scène, malgré le caractère très sensible du sujet, a su bien mener le récit, ponctué parfois par des moments d'humour. La force du long métrage vient du scénario, mais également du courage du cinéaste à aborder la question religieuse et le rapport du politique et du sécuritaire à la religion. L'imam Hatem défend par exemple le chiisme d'une manière claire. «Il n'y a ni sunnisme ni chiisme, il y a un seul islam», a-t-il dit. La phrase a provoqué des applaudissements à la salle Maghreb, à Oran. L'imam a rappelé, lors de la même émission de télévision, les cinq règles cardinales de l'islam, dont la croyance en Allah et son Prophète, partagée par tous. Sorti depuis quatorze semaines en Egypte, le film rencontre un grand succès populaire, alors que les producteurs s'attendaient à ce que le sujet n'emballe pas les foules. «J'ai constaté la présence en nombre des jeunes. Certains ont revu le film deux à trois fois. Il y a eu aussi un retour du public adulte. Certains m'ont dit que cela fait presque vingt ans qu'ils n'ont pas mis les pieds dans une salle de cinéma. Les gens ont ri, pleuré et applaudi dans les salles. Cela m'a fait beaucoup plaisir. Je suis surpris. Mais, en tant qu'intellectuels, il faut reconnaître qu'on ne sait pas comprendre la population. On se trompe en pensant que le public veut uniquement des films d'action ou des comédies. Lorsqu'on propose des films sérieux, le public paye le billet et vient voir le film», a souligné Magdi Ahmed Ali. Le cinéaste insiste pour que Mawlana soit vu dans les pays arabes. «Le but est de contribuer à créer une opinion publique qui puisse aider à l'émergence d'une nouveau climat pour renouveler le discours religieux», a-t-il expliqué. Magdi Ahmed Ali a relevé que l'histoire de l'islam est très riche. «Mais il nous est empêché de l'évoquer. Un homme de religion m'a dit qu'il ne faut pas parler des compagnons et les partisans du Prophète (Souhaba et Tabi'ine). Je lui ai dit qu'il sont des centaines de milliers. Des siècles après, ‘‘La grande fitna'' (l'assassinat du calife Othmane Ibn Affane) est toujours un sujet tabou. L'histoire de l'islam doit être débattue ouvertement et librement. Nous ne devons rien craindre. Nous sommes de grandes civilisations. Nous n'avons pas peur des effondrements», a souligné le cinéaste égyptien, qui a précisé que les chouyoukh d'El Azhar ont apprécié le film.