Le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, a-t-il définitivement remisé son projet de lutter contre l'expansionnisme des milieux d'affaires ? Il en avait fait l'axe majeur de son action gouvernementale dans l'objectif de restituer à l'Etat son autorité trop abîmée et de réduire l'influence grandissante des détenteurs de capitaux privés. Dès sa prise de fonction, il affiché la volonté de redéfinir les frontières entre les décideurs étatiques et les acteurs économiques privés et de fixer de nouvelles règles de jeu. Inverser l'équation qui, depuis quelques années, domine les rapports de force politiques et économiques. La prééminence déclinante de ceux qui disposent de la responsabilité publique face aux forces conquérantes détentrices du pouvoir sans la responsabilité inhérente. Ce faisant, le Premier ministre s'attaque en filigrane, consciemment ou inconsciemment, à un des principes structurants du pouvoir politique qui s'est mis en place sous le règne de Abdelaziz Bouteflika. Porté par une vague de l'opinion inédite, mais surtout par le souci de «remettre de l'ordre» dans la maison du régime pour «mieux aborder» les échéances politiques et économiques futures, Abdelmadjid Tebboune a rapidement bousculé l'ordre des alliances et touché à l'infrastructure du régime avec le risque de secouer sa superstructure. Il a ouvert, du moins entrouvert, la boîte de Pandore ; il s'est lancé sur un champ de mines — sans savoir combien il y en a — difficile à traverser. Un pari audacieux, cependant parsemé de risques. Le locataire du Palais du docteur Saadane a pu donner un air de vigueur à son gouvernement pourtant issu d'une élection frappée d'illégitimité. Il a gagné en autorité, mais surtout en popularité en l'espace de quelques jours et moyennant quelques faits. Ce qui lui a conféré un positionnement dominant. Le n°2 de l'Exécutif — sous le feu de tous les projecteurs — dispute le magistère au palais d'El Mouradia. Un crime de lèse-majesté. Sa montée en puissance n'a pas manqué de provoquer des soupçons et des inquiétudes. La confiance qui le lie à la présidence de la République n'est garantie qu'à moitié. Le chef de l'Etat et son entourage n'autorisent pas celui qui est chargé de mettre en application leur «programme» de prendre de l'ascension au risque de voir les rapports de force s'inverser. Surtout ne pas lui laisser la possibilité d'engranger les bénéfices politiques. L'autre «risque» que le pouvoir politique ne puisse s'autoriser était de voir la brèche ouverte par le gouvernement Tebboune s'élargir et devenir une vague impossible à maîtriser. Non soutenu par les partis de la coalition gouvernementale et moins appuyé par une opposition visiblement échaudée par les expériences passées, Abdelmadjid Tebboune est politiquement isolé. Le seul et fragile pouvoir auquel il est adossé et que lui confère la Constitution peut lui être retiré à tout propos. La récente séquence d'El Alia signe avec un certain fracas et une évidente éloquence toute la marge que s'est adjugée le pouvoir informel, et dont il pourrait faire usage, au besoin, pour se défendre ou attaquer. C'est toute l'impasse qui frappe le régime de l'intérieur avec toutes les conséquences fâcheuses qu'elle charrie pour le pays.