Comment l'ascension de Hafedh Caïd Essebsi est-elle vécue au sein de Nidaa Tounes ? Et de la population ? L'ascension de Hafedh Caïd Essebssi est réellement vécue comme une rupture au sein de Nidaa Tounes, car elle n'est pas légitime pour beaucoup. Ceux que j'ai rencontrés, qui ont démissionné dès le Congrès de Sousse en 2016 – c'est ce congrès qui a donné lieu à la mise au pouvoir d'Essebsi junior – admettent volontiers que la crise de leadership que connaît le parti depuis les élections participe à l'implosion progressive du parti. Après, certains ont créé de nouveaux partis qui ont le vent en poupe, comme Machrou Tounes, de Mohsen Marzouk, l'un des démissionnaires. D'autres, issus de la gauche intellectuelle, ont pris du recul mais vont certainement revenir sur scène dans d'autres partis, d'ici les législatives. Il est très difficile de savoir comment Nidaa Tounes est perçu par la population, tout comme son leader, car les sondages d'opinion ne sont pas très fiables en Tunisie et les partis eux-mêmes communiquent peu sur leur rapport avec l'électorat. Globalement, et aussi à cause de la saison estivale, il y a un certain désintérêt pour la chose politique et pour les partis en Tunisie, mais cela peut changer d'ici la rentrée. Le Premier ministre Youssef Chahed, issu de Nidaa Tounes, est assez populaire par exemple au sein de l'opinion grâce à sa lutte sur la corruption. Les médias tunisiens parlent déjà de la présidentielle de 2019. Cela signifie-t-il que les municipales ne sont pas un enjeu ? Les municipales sont un enjeu, mais avec les démissions à l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), le renouvellement de ses membres à l'assemblée qui vient tout juste de se faire, et l'inscription sur les listes électorales, l'information sur les municipales semble présenter moins d'attrait que les jeux de pouvoir autour d'un futur présidentiable. Il ne faut pas oublier que si les médias sont très regardés, lus et écoutés en Tunisie, surtout à la télévision, peu sont indépendants face aux partis politiques ou aux hommes d'affaires qui possèdent d'ailleurs plusieurs médias. Donc c'est plutôt l'agenda politique qui se cale actuellement sur l'agenda médiatique. Et étant donné que les partis n'aiment pas trop se focaliser sur les municipales, souhaitent le report de la date des élections, et ne sont pas tous pour la décentralisation, on préfère remettre le débat sur les présidentielles et raviver le culte de la personne plutôt que du parti. Quel rôle peuvent jouer les anciens du régime de Ben Ali dans les élections ? C'est très difficile à prédire, car ils étaient déjà nombreux à avoir réintégré la vie politique dans les élections de 2014, en s'en sortant plutôt bien, notamment à travers le parti de Nidaa Tounes. D'autres qui étaient vraiment constitués de partisans de l'ancien régime comme l'Initiative de Kamel Morjane, n'ont pas non plus fait un score très élevé. Je pense que l'enjeu est plutôt dans le retour des hommes d'affaires, et quel sera le dénouement de la lutte anticorruption de Youssef Chahed. Si des têtes tombent réellement, dans le cadre de vrais procès, ce sera plus compliqué pour certains hommes d'affaires véreux de continuer à financer des partis politiques ou de faire du lobbying dans les décisions de l'assemblée. Mais encore faut-il que la lutte de Youssef Chahed concerne tous les corrompus et pas seulement ceux qui l'arrangent. Beaucoup l'accusent de ne pas s'en être pris à tous les têtes et d'avoir aussi réglé certains comptes politiques par la même occasion. Et si les lois de réconciliation économique et administrative sont également votées dans les deux ans à venir, cela peut aussi laisser des opportunités aux anciens pour revenir. Pour ce qui est des figures politiques de l'ancien régime, si pour l'instant la mode est plutôt à la multiplication de jeunes partis comme celui de Mehdi Ben Jomaa, ancien Premier ministre, ou celui de Ridha Belhaj, ancien de Nidaa Tounes, je pense que leur retour sera encore moins accepté qu'en 2014 car malgré le processus de justice transitionnelle, le travail de mémoire n'a pas été encore fait. D'autant que les deux partis majoritaires Nidaa et Ennahdha mettent l'emphase sur la non exclusion politique. Donc qui sait à qui cela peut ouvrir les portes ?