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Chréa : un bol d'air dans la fournaise
Plus de 80 incendies recensés depuis le début de l'été dans le massif blidéen
Publié dans El Watan le 10 - 08 - 2017

Dimanche 6 août. Nous quittons Alger tôt le matin. Direction : Chréa. Nous laissons derrière nous une ville transpirant par tous ses pores et ses portes, suffoquant sous une chape de brume.
La température est plutôt clémente dans les piémonts de l'Atlas blidéen en cette moite matinée augustine. Nul besoin de mettre la clim'. Nous empruntons la RN37 qui relie la ville des Roses au chef-lieu de la commune de Chréa. La station climatique est située à 19 km de Blida ; elle est perchée à 1500 m d'altitude. A mesure que nous gagnons en hauteur en avalant la bande de bitume sinueuse, l'air se fait agréable et doux.
Un bon 25°C. Autant dire une climatisation naturelle grâce, notamment, à la magnifique forêt de cèdre qui nous protège du cagnard tout au long du trajet. Contrairement à d'autres sites, la route est propre. Des agents de la DTP de Blida en combinaison orange s'emploient à arracher de la broussaille sur le bas-côté de la voie carrossable.
Au bout d'une heure de trajet ponctuée de petites haltes revigorantes, nous voici au cœur de Chréa. Hormis quelques clients attablés à l'ombre d'une terrasse de café, le village est désert. Normal diriez-vous. Pourtant, à en juger par la beauté du site et l'air frais qui nous ramone les poumons, il y a de quoi s'offrir de bonnes virées estivales par ici.
11h. La place de la mairie s'anime. Une délégation débarque au milieu d'une grande agitation. Des véhicules de la Protection civile investissent la place, suivis bientôt par des 4x4 de la Gendarmerie nationale et du Parc national de Chréa, auxquels s'ajoutent des minibus transportant des jeunes en chasuble orange floquée du sigle de la DJS : la direction de la jeunesse et des sports de Blida.
Celle-ci a pris la louable initiative d'organiser un stage au profit d'une cinquantaine de moniteurs de colonies de vacances. Le stage portait sur une double opération de sensibilisation, à la fois contre les incendies de forêt et contre les accidents de la circulation, avec, à la clé, des notions de secourisme prodigués par des éléments de la Protection civile.
84 foyers d'incendie enregistrés depuis juin
Ce fut, pour nous, une bonne opportunité pour faire le point avec le représentant de la Protection civile, le lieutenant-colonel Toufik Bouldi, au sujet des derniers feux de forêt qui ont touché la région. M. Bouldi dirige l'unité de la Protection civile de la daïra de Ouled Yaïche. «Chréa est mon secteur», dit-il. Selon le bilan fourni par M. Bouldi, 84 incendies ont été enregistrés depuis le début de l'été, et ce, jusqu'au 5 août dernier, sur l'ensemble de la wilaya de Blida.
Au mois de juin, le bilan fait état de 18 incendies qui ont ravagé notamment 10 hectares de récoltes, 160 arbres fruitiers et quelque 1000 bottes de foin. En juillet, il a été enregistré 62 incendies qui ont dévoré 22 hectares de forêt, 42 hectares de maquis, 10 hectares de broussaille, 13 hectares de récoltes, 220 arbres fruitiers et 1500 bottes de foin.
Pour ce qui est du mois d'août, la Protection civile a procédé à 4 interventions anti-incendie, jusqu'au 5 du mois en cours. Il est à signaler que ces incendies n'ont fait aucune victime, souligne notre officier. Pour ce qui est des dégâts matériels, le secrétaire général de la wilaya de Blida, Rabah Aït Ahcen, rencontré sur place, nous a affirmé que l'indemnisation des sinistrés se fera «après des enquêtes approfondies».
S'agissant du cœur de la station d'hiver, Toufik Bouldi assure que celle-ci a été épargnée par les flammes. «Il y a une surveillance permanente des risques incendie au niveau de la wilaya de Blida. Nous avons des moyens d'intervention rapide. Ici, à Chréa même, il n'y a eu aucun départ de feu.
Nous avons une colonne mobile basée à Beni Ali. On a les unités proches qui font les premières interventions, après, si nous avons affaire à un incendie de grande ampleur, on fait appel à la colonne mobile pour renforcer le dispositif», rassure-t-il. L'officier ajoute que «la colonne mobile compte 52 éléments».
La nuit infernale du 31 juillet
C'est surtout l'incendie qui a embrasé le massif blidéen dans la nuit du 31 juillet qui a semé le plus d'effroi au sein de la population locale. L'incendie en question s'est déclaré sur les hauteurs de la commune de Bouarfa, dans la banlieue sud de Blida. Selon M. Bouldi, le feu a ravagé ce soir-là 20 hectares de forêt, 25 hectares de maquis et 40 hectares de broussailles. Un autre départ de feu s'était produit ce 31 juillet du côté de Chiffa, précisément à hauteur de Hamdania. L'incendie a détruit 6 hectares de broussaille, 150 arbres fruitiers et 80 ruches d'abeilles.
«Cette nuit-là, il faisait une chaleur épouvantable, je transpirais à grosses gouttes. J'ai dû essorer mon tricot, ce qui ne m'est jamais arrivé. Les personnes asthmatiques n'arrivaient plus à respirer», témoigne Ammi Mustapha, 66 ans, habitant de la localité de Trab Lahmar, dans la commune de Bouarfa, avant de lancer : «Ce n'est pas normal qu'on n'ait pas de moyens pour affronter des feux de cette ampleur. Il aurait fallu une intervention aérienne.» M. Bouldi relativise à ce propos l'impact des Canadair et estime que «l'efficacité avec les moyens terrestres est meilleure».
Dans le massif montagneux surplombant Bouarfa, un peu plus haut que le parc de Sidi Salem, nous avons débusqué de larges auréoles de maquis calcinés. Là où nous avons pu nous rendre, il n'y avait pas d'habitation alentour. Toutefois, on peut comprendre qu'avec le vent rugissant qui souffle sur les braises, la crainte était grande que les bourrasques rougeoyantes ne portent les flammes jusqu'aux hameaux les plus proches. «Les sinistrés n'habitent pas dans la montagne.
Durant le terrorisme, la plupart ont abandonné leurs douars et se sont installés dans les piémonts, et même quand ça s'est calmé, ils ne sont pas retournés dans leurs chaumières. Mais ils ont toujours leurs vergers et ce sont surtout leurs récoltes et leurs jardins qui ont été touchés», explique Ammi Mustapha.
«Ce sont des incendies criminels !»
Amar Beskra, maire de la commune de Chréa, nous livre d'emblée le fond de sa pensée : pour lui, il s'agit bien souvent d'incendies criminels. S'il touche du «bois» du fait que sa circonscription soit épargnée par les flammes, il se montre prudent : «Cela fait quatre ou cinq ans que les feux se déclenchent toujours chez nous à la fin de l'été. L'an dernier, on a passé une saison tranquille et en plein mois de novembre, nous avons eu un grand incendie. La plupart du temps, ce sont des incendies criminels.
On a beaucoup de gens qui font des barbecues, ils fument de la chicha et ils laissent tout comme ça. Quand un incendie se déclare en pleine nuit, ce n'est pas normal. Il y a même des cas flagrants», argue-t-il.
La commune se trouve au cœur du Parc national de Chréa. Ce dernier s'étale sur une superficie globale de 26 587 hectares. Il compte 1152 espèces de flore (dont 22 espèces menacées et 32 protégées) et 658 de faune. On y trouve notamment du cèdre, du chêne vert, du chêne-liège, du thuya et du pin d'Alep… Le couvert végétal comprend aussi quelque 200 plantes médicinales.
En 2002, le Parc national de Chréa a été classé réserve de la biosphère par l'Unesco. Dès lors, cet écosystème fragile jouit d'une protection particulière. «La cédraie est protégée par une ceinture (naturelle) contre les feux de forêt, ce sont des arbres rares», dit le maire. «Nous avons un poste avancé de la Protection civile qui est basé à Beni Ali.
On a mis à la disposition des pompiers un ancien dispensaire pour ériger un poste permanent là-bas. Avant le terrorisme, on avait un poste permanent. Après, ils ont dû partir. Maintenant, il est prévu qu'ils reviennent de façon définitive. L'assiette est là, elle fait plus de 3000 mètres carrés. On a démoli le bâtiment (de l'ancien dispensaire), mais avec la politique d'austérité, le projet est en attente», indique l'élu RND. Et de faire remarquer : «Le Parc national de Chréa et les Forêts (la Conservation des Forêts, ndlr), n'ont pas les moyens adéquats pour intervenir en cas d'incendie. Pourtant, ce sont les premiers à être confrontés aux feux de forêt. Ils devraient être dotés de moyens d'intervention conséquents pour pouvoir agir en attendant l'arrivée des pompiers.»
«Le tourisme ne nous rapporte rien»
Paradoxe saisissant : alors que la commune de Chréa demeure une destination touristique extrêmement prisée, elle ne tire aucun bénéfice de ces flux de visiteurs. «Le tourisme ne nous rapporte rien», tranche le maire. M. Beskra distingue entre les visiteurs journaliers et ceux qui viennent en villégiature, généralement propriétaires d'un chalet ou locataires. Selon Toufik Rekik, adjoint du maire, la commune comptait officiellement 783 résidents permanents au RGPH 2008, tandis que sur le fichier électoral sont comptabilisés environ 3000 votants potentiels.
M. Rekik souligne par ailleurs le poids de l'exode des populations rurales durant les années de terrorisme, et qui a vidé pas moins de 14 douars de leurs habitants. «Les fellahs viennent seulement le jour pour leurs travaux agricoles et repartent dans les zones urbaines où ils se sont établis», dit-il.
Le maire nous apprend que bien avant d'être érigée en APC, la station d'hiver de Chréa était gérée par l'ONAT. Elle fut ensuite rattachée à la ville de Blida avant d'être promue au rang de municipalité à part entière en 1984. «La commune a hérité alors de 500 à 550 chalets. Elle avait également des colonies de vacances et deux hôtels. Après la promulgation de la loi portant cession des biens de l'Etat, ce fut le coup fatal pour la commune de Chréa. La majorité des chalets ont été vendus et on ne dispose plus que de 33 chalets.» Encore que le bail de location de ces chalets était dérisoire au possible.
En 2016, le loyer a été augmenté pour être fixé à… 10 000 DA par mois ! M. Beskra ajoute que la commune ne dispose pas de terrains pour réaliser la moindre infrastructure. «C'est parce que les terrains, ici, relèvent du domaine forestier. Nous ne pouvons même pas aménager des parkings payants», regrette le P/APC. M. Beskra déplore dans la foulée le fait de ne pas toucher le moindre centime sur le ticket du téléphérique, «même pas au titre de la TVA».
«Le téléphérique est géré par l'Entreprise du métro d'Alger», explique-t-il. De son point de vue, il devrait y avoir une petite ristourne pour la commune dont le territoire est largement traversé par les télécabines. Au final, la mairie ne gagne sur aucun tableau, et en croire son premier magistrat, le peu d'établissements hôteliers et de restauration qui exercent sur place ne rapportent pas grand-chose sur le plan fiscal. «Le budget de la commune ne suffit plus. Nous percevons chaque année une subvention de la wilaya de l'ordre de 30 millions de dinars», glisse-t-il.
Des chalets chics pour une commune pauvre
La vocation touristique du site fait que même en été Chréa est censée recevoir du monde. Il faut savoir que plusieurs colonies de vacances avaient élu domicile au milieu de ces forêts ombragées en pleine saison estivale. Elles étaient à l'origine exploitées par des entreprises. «C'étaient essentiellement des banques», précise l'édile (BNA, BCA, CAAT, CNMA…). Elles ont été, elles aussi, abandonnées pendant des années à cause de la situation sécuritaire. La CNMA, par exemple, n'a pu récupérer ses locaux que cet été. Ils étaient réquisitionnés par les services de sécurité. Il convient de noter que la présence militaire est encore fortement visible sur le site. On apprend que même le vaccin contre les piqûres de scorpion qui sont assez fréquentes dans la région est fourni par l'armée.
On comprend, dès lors, pourquoi le visage de Chréa n'a pas tellement changé, si ce n'est dans le sens de la bétonisation des anciens chalets. «Et avec tout ça, les touristes résidents demandent beaucoup», fulmine Amar Beskri. «On a un problème d'eau chronique à Chréa. Certains sont habitués à avoir la piscine chez eux, dans la ville. Ils prennent la douche deux fois par jour, lavent leur voiture à volonté, et ils veulent avoir le même train de vie ici.
Mais tu es à la campagne ! Ils ne veulent pas changer de mentalité. Beaucoup d'entre eux ont modifié les chalets, ils les ont transformés en villas. Ils ont ramené le rythme de la ville ici. Ils mettent la pression sur la commune alors que nos moyens sont limités», s'agace le maire. En somme, Chréa, c'est des chalets chics, des paysages féeriques, pour une commune
pauvre…


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