On ne peut, bien sûr, ignorer la longue présence romaine en Algérie, visible aujourd'hui encore à travers des sites archéologiques exceptionnels. Ce patrimoine d'une richesse mondialement reconnue est sans doute le premier lien culturel avec ce pays. Mais ce ne sont pas que les pierres qui l'établissent. La littérature également a accompagné cette antique interaction. Saint Augustin, bien sûr, demeure une icône de l'écriture latine et de la pensée universelle. Mais il faut compter aussi avec Apulée, auteur du premier roman algérien et probablement du monde : L'Ane d'or ou les métamorphoses. Ce natif de Madaure (aujourd'hui M'daourouch, authentique numide, étudia à Carthage et Athènes, voyagea jusqu'en Egypte, en Syrie et aux confins de l'Asie, s'installa à Rome en tant qu'avocat, avant de revenir définitivement au pays. Philosophe, littérateur, il est considéré en Italie comme une référence de cette période. Autre personnage de l'époque représentatif de cette interculturalité : Juba II, petit-fils de Massinissa, qui s'efforça de compenser la domination romaine sur son royaume par une production intellectuelle inouïe. Il effectua des recherches sur la culture locale et étudia à cet effet le libyque et le punique avant de rédiger le Libuca, présenté comme une véritable encyclopédie de la Numidie. Passionné de géographie, il commanda des missions d'étude à la recherche des sources du Nil et dans l'Archipel des Canaries ! Ses nombreux ouvrages sur l'histoire, la peinture, le théâtre, la médecine, la pharmacologie, l'Arabie ou la civilisation assyrienne ont tous disparu mais sont abondamment utilisés et cités par les auteurs romains qui le considéraient comme une référence intellectuelle et scientifique de premier plan. Ainsi, Pline l'Ancien affirmait qu'« il était plus connu par son savoir que par son règne ». De nombreux autres personnages de cette époque pourraient illustrer encore la richesse et la complexité des liens anciens entre les deux pays. Mais sautons les époques pour arriver vers un certain Léonard de Pise, dit Fibonacci, que son père, commerçant à Béjaïa, fit venir près de lui pour apprendre les mathématiques. C'est lui qui fit passer en Italie puis en Occident la numération de position arabo-indoue avec son livre, le Liber Abaci (1200). Aujourd'hui encore, il est reconnu comme un des plus grands mathématiciens de tous les temps et sans la fameuse « suite de Fibonacci », les ordinateurs ne fonctionneraient peut-être pas. Plus proche encore, le cinéma, qui a enregistré de belles collaborations entre les deux pays. Il y a d'abord l'incontournable La Bataille d'Alger (1965), fruit d'une coproduction entre Casbah Films, de Yacef Saâdi, et une société italienne. Ce qu'on sait moins, c'est que le succès de ce film avait fait germer l'idée chez les producteurs italiens de produire leurs films en Algérie du fait de la gamme diversifiée de ses paysages (désertique, neigeux, balnéaire…) et des coûts de production plus avantageux, ce qui est d'ailleurs toujours le cas. C'est ainsi que fut tourné en Algérie Brancaleone s'en va aux croisades (1970) de Mario Monicelli avec le grand comédien Vittorio Gassman et la sémillante Stéfania Sandrelli. Une satire comique des croisades qui mériterait d'être reprogrammée dans la conjoncture actuelle. De même, l'adaptation de L'Etranger de Camus fut tournée en Algérie en 1967 avec une équipe de rêve : Luchino Visconti à la réalisation, Dino de Laurentiis pour la production (avec encore Casbah Films) et, à l'écran, Marcello Mastroianni, Anna Karina, Bruno Cremer, etc. Les Italiens ayant entre-temps lancé les westerns dits spaghettis, enlevant aux Américains l'exclusivité du genre, les producteurs de Cinecitta se mirent à prospecter l'Algérie. Bou Saâda attira encore leurs faveurs et l'on construisit même une petite ville du far west à quelques encablures de la maison de Dinet ! Un premier western y fut tourné, Trois pistolets contre César (1967) de Enzo Pezzi et… Moussa Haddad ! Mais cette veine ne fut pas poursuivie, le cinéma italien connaissant des crises et l'Algérie n'ayant pas développé cette opportunité ainsi que le Maroc le fait avec succès depuis plusieurs années. Durant cette même période, les films de la comédie à l'italienne connaissaient des succès inimaginables dans les salles algériennes. Ce genre du cinéma italien, de même que l'école antérieure du réalisme, a influencé profondément les réalisateurs algériens et quand Omar Gatlato de Merzak Allouache sortit en 1976, l'ensemble des critiques élogieuses soulignèrent cette source d'inspiration cinématographique. Depuis quelques années, la littérature algérienne, empruntant les voies du succès énorme du raï en Italie, s'impose comme la nouvelle passerelle culturelle entre les deux pays. Quelques auteurs algériens, établis dans la péninsule, se sont imposés dans les librairies italiennes comme Mohamed Magani. Ses livres ont gagné le cœur des lecteurs italiens et pour son roman Esthétique du boucher, la Fédération des bouchers d'Italie l'a même honoré d'un prix, « expérience hilarante et incroyable », selon l'auteur qui, écrivant à la fois en français et en anglais, rêve que la littérature algérienne dépasse l'alternative obligatoire entre Paris et Beyrouth, selon qu'elle soit francophone ou arabophone. Autre phénomène littéraire algérien en Italie, Amara Lakhous dont le deuxième roman Choc des civilisations pour un ascenseur à la place Vittorio a reçu un accueil enthousiaste de la critique italienne, pourtant difficile, avec deux prix littéraires prestigieux. Depuis sa sortie, le livre en est à sa sixième réédition ! Ecrivant des polars littéraires en arabe, Lakhous a traduit et adapté ses propres ouvrages en italien. La percée impressionnante de ces deux auteurs intervient dans un contexte littéraire marqué ces dernières années par la traduction en italien de nombreux auteurs algériens, des plus anciens aux plus récents. Environ une quinzaine de maisons d'éditions italiennes se sont attelées à cette découverte du potentiel littéraire algérien. On signalera aussi que le livre d'Assia Djebar, Loin de Médine, a été monté en opéra par une compagnie italienne. De leur côté, plusieurs artistes italiens expriment leur fascination pour notre pays. L'année dernière, la galerie Arts en Liberté d'Alger avait permis de découvrir le travail de création exceptionnel du peintre Giancarlo Podda qui, s'inspirant du Sahara algérien, a su composer des œuvres contemporaines dénuées de l'exotisme habituel. Les photographes ne sont pas en reste. Et, de l'autre côté, plusieurs peintres algériens installés en Italie s'imposent de manière originale (voir ci-après l'article de Nacéra Bénali à partir de Rome). Cette affirmation des échanges culturels entre les deux pays commence à forcer le passage obligé des langues et constitue une ouverture précieuse pour l'Algérie comme pour l'Italie. Ici, grâce aux efforts du Centre culturel italien et celui des institutions et associations culturelles algériennes, notamment la Bibliothèque nationale, de même que par les initiatives des créateurs italiens et algériens, l'Italie s'invite de plus en plus à Alger et inversement. En novembre de l'année dernière, la 2e édition de la saison culturelle italienne en Algérie avait été inaugurée au Musée national des beaux-arts du Hamma par une magnifique exposition sur les verres vénitiens. Cette année, la place a été cédée à la photographie, avec l'exposition de Silvia Massotti intitulée « Rome vision ouverte » qui s'est achevée hier à la Bibliothèque nationale du Hamma. Elle a permis de découvrir ce regard du cœur sur la ville éternelle, mettant en relief la lumière et les rapports entre les espaces. Le photographe compte d'ailleurs porter son regard sur Alger. Aussi, a-t-il assuré un stage de photographie et d'architecture au profit des étudiants de l'Ecole supérieure des beaux-arts, stage et exposition qui seront également organisés en décembre au département d'architecture de l'Université de Blida. Côté musique, le maestro Claudio Tuzzi, organologue de renom et restaurateur d'instruments musicaux anciens à claviers, s'est attelé à une action remarquable en restaurant l'un des rares, sinon l'unique clavecin existant en Algérie (propriété de l'IRFM). L'instrument est revenu à la vie et a permis d'organiser un stage pratique d'entretien de clavecin au profit d'accordeurs algériens. La semaine dernière, le maestro a également animé une conférence au palais de la culture Moufdi Zakaria. Toujours en musique, un concert pour clavecin avec Angela Picco a été organisé au même lieu, dont un morceau du maestro italien Antonio d'Antò, basé sur une mélodie du patrimoine musical algérien et composé spécialement pour cette occasion. Le 7 décembre prochain, le Palais de la culture accueillera un concert de jazz avec la chanteuse Maria Pia De Vito. La clôture, musicale aussi, est prévue pour le 21 décembre, avec un concert de musique de chambre du quatuor Bernini. Fondé à Rome, ce quatuor est considéré comme l'une des importantes formations de chambre européennes. Il interprétera des œuvres de Mozart, Sollima, Puccini, Morricone et Piazzolla. Pour les Algériens qui caressent tant de rêves de découverte du pays de la Renaissance, ces programmes peuvent répondre agréablement à leur engouement et leur curiosité. Ils sont une marque supplémentaire d'une dynamique culturelle qui s'est mise en place entre les deux pays et leurs créateurs et qui mérite, par ses vertus de diversité, d'être soutenue. Et comme en art, il n'est pas interdit de rêver, on peut imaginer un jour l'ouverture d'un Centre culturel algérien à Rome. Slimane Brada, Zineb Merzouk