Le lancement de la campagne anticorruption a été déclenché le 23 mai dernier en Tunisie alors que le gouvernement traversait une période difficile marquée par des sit-in prolongés de jeunes chômeurs au Sud (Al Kamour_Tataouine, Kebilli et Tozeur), entraînant le ralentissement de la production de gaz et de pétrole. L'attention de l'opinion publique est passée des sit-in à la chasse aux barons de la contrebande et le chef du gouvernement, Youssef Chahed, est plébiscité. Les observateurs voyaient dans cette manœuvre bien ficelée la main du président Béji Caïd Essebsi. Le gouvernement en est ressorti plus fort et Youssef Chahed dépasse la barre des 80% de satisfaction populaire. Du jamais vu après un an d'exercice. Les islamistes d'Ennahdha sont frustrés. Leur leader Ghannouchi «conseille» début août à Chahed de ne pas se présenter aux échéances électorales de 2019. Un débat sur la question commençait à s'installer sur les plateaux télévisés et les réseaux sociaux.
Rouleau compresseur Youssef Chahed n'a pas officiellement répondu au «conseil» de Rached Ghannouchi, malgré le fait que le conseil de la choura d'Ennahdha (plus haute autorité entre deux congrès) ait emboîté le pas le week-end suivant (6 août) à son leader. Plus encore, un autre coup de «baguette magique» a détourné l'opinion publique de cette question vers celle de l'égalité dans la succession et le mariage de la Tunisienne avec un non-musulman. Débat lancé par le président Caïd Essebsi lors de son discours pour la Fête des femmes, correspondant en Tunisie à la commémoration de la proclamation du code de statut personnel (13 août 1957), qui avait mis fin à la polygamie en Tunisie. La question fait déjà polémique et suscite un grand débat sur les choix sociétaux de la Tunisie moderniste. Béji Caïd Essebsi se place, comme en 2014, du bon côté, moderniste, avant-gardiste et combattant contre la corruption. Les islamistes d'Ennahdha sont déroutés. Ils ne savent pas sur quel pied danser. Leurs députés avaient été entraînés, le 26 juillet dernier, à voter une loi moderniste sur la condamnation des violences contre les femmes. Mais, ils ne savaient pas que c'était un entraînement vers un débat plus profond sur les questions égalitaires. Béji Caïd Essebsi continue à avancer dans la reconquête de son électorat, déçu de son rapprochement avec Ennahdha. Le 25 avril dernier, c'était la présidence de la République qui était à l'origine de l'amendement de la loi 52 sur la consommation de la drogue. Le 23 mai, c'est le chef du gouvernement, un protégé du locataire de Carthage, qui a lancé l'opération «coup de poing» contre la corruption. Le 13 août, véritable coup de tonnerre avec ces débats sur l'égalité successorale et le mariage avec un non-musulman. Il est clair que le président trouve que le moment est opportun pour changer les règles du jeu avec les islamistes, exploitant leurs difficultés à l'échelle internationale. Consternation chez les islamistes Alors que la nouvelle offensive du palais de Carthage est bien préparée, comme le laisse entendre le communiqué diffusé par le mufti et saluant les décisions présidentielles, il est clair que les islamistes d'Ennahdha sont pris à contre-pied. Ainsi, leur position n'est pas uniforme. Le bureau de Ghannouchi s'est limité à balbutier quelques généralités promettant une position ultérieurement. Le leader d'Ennahdha était absent pour la première fois lors de la cérémonie du 13 août, quand les propositions ont été faites. Rien n'écarte le fait qu'il soit prévenu. Il est clair que, du côté d'Ennahdha, on est sur la prudence, le vice-président du mouvement, premier vice-président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), Me Abdelfattah Mourou, a estimé que si le principe est louable lorsque la question est soulevée sous l'angle de la parité, il faudrait néanmoins qu'elle soit étudiée dans le cadre d'une vision plus globale où des sociologues, économistes et autres experts puissent prendre part au dialogue. A. Mourou a valorisé le fait que le chef de l'Etat n'a pas appelé directement à promulguer des lois, mais s'est limité à la création d'une commission pour mieux cerner la question. Trop général de la part du maître absolu de la diplomatie chez les islamistes tunisiens. Mais, une chose est certaine, il semble que le président Béji caïd Essebsi a mis les islamistes dans un coin et leur a soumis un choix difficile : être un véritable parti civil et une place au soleil à l'échelle internationale ou un véritable retour à la case départ. L'absence de Ghannouchi à la cérémonie signifie qu'Ennahdha n'a pas encore de réponse.