Un Premier ministre «trop populaire», le fils du Président en embuscade, un leader islamiste imprévisible… La scène politique tunisienne commence à s'agiter en prévision de la présidentielle de 2019. C'est Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahdha, le premier parti islamiste du pays, qui a officiellement lancé les hostilités cette semaine en déclarant sur la chaîne de télé privée Nessma que Youssef Chahed (le Premier ministre) ne devrait pas se présenter. En Tunisie, les coups et les alliances politiques ont commencé en prévision de l'élection présidentielle de 2019. Sur qui les regards sont-ils braqués pour le moment ?
Youssef Chahed, le Premier ministre qui fait peur La campagne présentée comme une «opération mains propres» par le Premier ministre, lancée le 22 mai par cette célèbre phrase «C'est soit la corruption, soit la Tunisie», qui a déjà conduit à une quinzaine d'arrestations de personnalités connues, dont l'homme d'affaires Chafik Jerraya, rend Youssef Chahed, très populaire. Fin mai, selon un sondage, 81% des Tunisiens jugeaient que les choses allaient «dans le mauvais sens». Un mois plus tard, ils ne sont plus que 52,1%. Quant à la popularité de Youssef Chahed, elle est passée de 54,6% en mai à 80,2 % en juillet. Et cela ne plaît ni à Nidaa Tounes, ni à Ennahdha. La preuve : une «vieille» histoire vient de resurgir. En septembre 2015, une plainte avait été déposée contre Chahed, alors qu'il était secrétaire d'Etat à la Pêche, par Géomatix, une entreprise d'instruments de navigation, l'accusant d'avoir résilié un contrat sans raison valable et de l'avoir finalement attribué à une autre société. Cette affaire a été divulguée par des proches de Chafik Jarraya, laissant deviner l'inquiétude que suscite la popularité du Premier ministre. Des rumeurs de remaniement circulent depuis plusieurs semaines, mais rien ne s'est encore passé. Pour l'instant, l'intéressé, réputé discret, s'est contenté de dire qu'à 41 ans, il avait «tout le temps devant [lui]» . Hafedh Caïd Essebsi, le fils de… Selon certains militants du parti Nidaa Tounes, du parti moderniste qui avait réussi à rallier des militants de tous les bords (gauche sociale démocrate, indépendants, destouriens…) en 2014 en faveur du «vote utile» (contre Ennahdha), il ne resterait plus grand-chose. Et l'homme qui, selon eux, précipiterait Nidaa Tounes vers le précipice s'appelle Hafedh Caïd Essebsi, leader non élu du parti – il en est le directeur exécutif. Le fils du Président (Béji Caïd Essebsi) a tout de suite dévoilé ses cartes, lorsqu'en mars dernier, il a parlé de Youssef Chahed en des termes qui n'ont pas manqué de créer la polémique : «Lorsqu'on a placé Chahed à la tête du gouvernement, le but était qu'il compose avec nous et non qu'il nous tourne le dos.» Son parachutage dans le parti a en tout cas été interprété dès le début comme une volonté de Béji Caïd Essebsi (qui aura 91 ans fin 2017) de placer son fils en prévision de 2019. Dans un entretien accordé en août au magazine Leaders, le président tunisien a déclaré : «D'abord, qui vous dit que je serai en vie ? »
L'alliance Nidaa Tounes-Ennahdha Nidaa Tounes et Ennahdha, qui depuis 2014, se sont alliés dans le gouvernement, ont uni leurs blocs parlementaires au mois de juin et parlent désormais «presque» d'une seule voix, au point d'envisager des listes communes aux élections municipales de décembre 2017. Ennahdha, qui s'était opposé à la loi de réconciliation (loi d'amnistie pour les fonctionnaires du régime de Ben Ali en échange d'un remboursement), est finalement revenu sur sa position. L'objectif avancé par les défenseurs de la loi : lever la menace de poursuites judiciaires encouragera la venue d'investisseurs dans l'économie tunisienne à court d'argent. Rached Ghannouchi a même donné son soutien à la loi de réconciliation «une fois amendée». Ce rapprochement, qui n'est pas du goût de certains cadres des partis, ni même d'une partie de leur base, tiendra-t-il jusqu'en 2019 ? Il est encore trop tôt pour le dire.