Alors qu'on commémore les vingt ans des massacres terroristes des années 90 dans des villages algériens (lire dans El Watan les reportages parus les 27 et 28 août derniers), Djamel Kerkar nous propose un regard saisissant avec son premier documentaire : Atlal (ruines). Plus qu'une simple actualité de ces dernières années, le cinéaste avait une intention plus large. Il nous confie : « cela correspondait pour moi au désir de vouloir filmer autour de la Mitidja. La région m'intéresse car elle est à mi-chemin entre plusieurs strates historiques. De la guerre de libération jusqu'à l'Algérie contemporaine avec ce qu'elle porte aujourd'hui. J'ai prospecté dans la région et j'ai découvert ce village d'Ouled Allal dans lequel je trouvais ce que j'avais envie de filmer, en une zone maîtrisable à pied ». Voila pour le propos initial avec dès les premiers instants du film des images tournées par un habitant du coin dans les années 1990 lors des années noires, puis un plan filmé des années après sur des vergers qu'on doit détruire parce que n'ayant pas résisté, non pas aux balles assassines, mais à l'abandon. Des champs de pommes, d'oranges, plantés avant que la menace et les tueries fassent fuir les habitants. Les stigmates sont là, douloureuses encore. Les hommes parlent, disent ce qu'ils ont traversé et on reste silencieux, accompagnant la lenteur du film qui ne lâche plus le spectateur. Djame Kerkar nous explique comment les gens (uniquement des hommes car faire parler les femmes aurait été un autre film) ont accepté de parler, souvent avec poésie, toujours avec recul et justesse : « Il suffit juste de passer du temps. Il y en a qui veulent faire partie du film, d'autres non. Les personnes que je filme sont des gens avec qui j'ai passé beaucoup de temps et que j'estime et respecte. J'ai voulu rendre honneur à leur parole ». DU RAP CHALOUPE OU DU SLAM DECHIRANT, A FLEUR DE PEAU Dans le film, sans aucun commentaire off, plusieurs générations s'expriment : celles qui ont vécu la guerre d'Algérie et l'indépendance, celles qui ont vécu les horreurs du terrorisme, et les jeunes qui sont nés avec. Ce sont d'ailleurs les témoignages des plus jeunes qui reflètent non seulement cette région souffrante d'Algérie mais le pays tout entier avec ses envies et ses frustrations. Le réalisateur précise qu'il n'avait pas trop écrit le film au départ : « J'avais simplement une carte de navigation, celle de me tenir en extérieur, face aux ruines et aux constructions pour faire sortir d'un lieu l'épaisseur historique qu'il contient. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que je faisais un film sur trois générations d'hommes qui n'ont rien transmis entre elles. Du coup le film glisse d'une génération à l'autre de manière assez inconsciente, non écrite mais que je trouvais très belle. Une façon de dire comment la vie avance en ce lieu ». La vie et aussi, et peut-être surtout, la non-vie quand on écoute les jeunes qui s'accrochent à leurs rêves, avec une parole sensible et porteuse de revendications. Notamment avec la chanson et des textes très forts. Surtout du rap chaloupé ou du slam déchirant, à fleur de peau écorchée ! Pour Djamel Kerkar, c'est qu'on peut difficilement parler de vie sans son corolaire : la non-vie ou bien, ajoute-t-il, « parler de l'idée de présence sans évoquer l'absence. Tout le film est construit sur des dualités, sur des paradoxes qui s'affrontent et se cognent. C'est comme ça en fait que j'aime faire du cinéma ».On se laisse glisser devant l'écran pendant 1h50, temps inhabituel pour un documentaire : « Je pense que le spectateur tient l'écriture du film et je lui laisse le temps et la possibilité de sentir, de questionner les images et les sons pour faire sa propre idée ». Au générique de fin, on en reste bouche bée et le silence se digère longtemps après avoir fini de regarder ce film. Walid Mebarek * Le film a été projeté en août dernier aux Etats généraux du documentaire de Lussas (Ardèche) un des plus renommés festival du genre au monde. Il avait obtenu un prix en juillet 2016 au Festival international de cinéma (FID de Marseille).
Les hommes parlent, disent ce qu'ils ont traversé et on reste silencieux, accompagnant la lenteur du film qui ne lâche plus le spectateur. Djame Kerkar nous explique comment les gens (uniquement des hommes car faire parler les femmes aurait été un autre film) ont accepté de parler, souvent avec poésie, toujours avec recul et justesse : « Il suffit juste de passer du temps. Il y en a qui veulent faire partie du film, d'autres non. Les personnes que je filme sont des gens avec qui j'ai passé beaucoup de temps et que j'estime et respecte. J'ai voulu rendre honneur à leur parole ». DU RAP CHALOUPE OU DU SLAM DECHIRANT, A FLEUR DE PEAU Dans le film, sans aucun commentaire off, plusieurs générations s'expriment : celles qui ont vécu la guerre d'Algérie et l'indépendance, celles qui ont vécu les horreurs du terrorisme, et les jeunes qui sont nés avec. Ce sont d'ailleurs les témoignages des plus jeunes qui reflètent non seulement cette région souffrante d'Algérie mais le pays tout entier avec ses envies et ses frustrations. Le réalisateur précise qu'il n'avait pas trop écrit le film au départ : « J'avais simplement une carte de navigation, celle de me tenir en extérieur, face aux ruines et aux constructions pour faire sortir d'un lieu l'épaisseur historique qu'il contient. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que je faisais un film sur trois générations d'hommes qui n'ont rien transmis entre elles. Du coup le film glisse d'une génération à l'autre de manière assez inconsciente, non écrite mais que je trouvais très belle. Une façon de dire comment la vie avance en ce lieu ». La vie et aussi, et peut-être surtout, la non-vie quand on écoute les jeunes qui s'accrochent à leurs rêves, avec une parole sensible et porteuse de revendications. Notamment avec la chanson et des textes très forts. Surtout du rap chaloupé ou du slam déchirant, à fleur de peau écorchée ! Pour Djamel Kerkar, c'est qu'on peut difficilement parler de vie sans son corolaire : la non-vie ou bien, ajoute-t-il, « parler de l'idée de présence sans évoquer l'absence. Tout le film est construit sur des dualités, sur des paradoxes qui s'affrontent et se cognent. C'est comme ça en fait que j'aime faire du cinéma ».On se laisse glisser devant l'écran pendant 1h50, temps inhabituel pour un documentaire : « Je pense que le spectateur tient l'écriture du film et je lui laisse le temps et la possibilité de sentir, de questionner les images et les sons pour faire sa propre idée ». Au générique de fin, on en reste bouche bée et le silence se digère longtemps après avoir fini de regarder ce film.
* Le film a été projeté en août dernier aux Etats généraux du documentaire de Lussas (Ardèche) un des plus renommés festival du genre au monde. Il avait obtenu un prix en juillet 2016 au Festival international de cinéma (FID de Marseille).