Par Mourad Benachenhou Ancien ministre de l'Economie C'est en fait l'intention qui donne au génocide sa spécificité et le distingue d'un crime ordinaire et d'autres crimes contre les lois humanitaires internationales. Le ou les crimes sous-jacents doivent être caractérisés comme génocide quand ils sont commis avec l'intention de détruire totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel.» (Procureur contre Goran Gelisic, Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie) Les déclarations faites par Aung San Suu Kyi, titulaire du «Prix Nobel de la Paix,» lors de sa conférence, prononcée, en «un anglais parfait,» le 19 septembre 2017 à Naypiydaw, la capitale officielle du Myanmar, devant un tapis de hauts responsables militaires et civils birmans, et de diplomates étrangers accrédités dans ce pays, ne laissent plus de doutes sur son total soutien au génocide, actuellement en phase finale, du peuple Rohingya. Manifestant une fausse et hypocrite compassion à l'égard des Rohingyas, dont elle se garde bien de prononcer le nom, puisque ceux-ci «n'existent plus officiellement», Suu Kyi donne, au mot et à la virgule près, un appui sans réserve à la poursuite et à l'achèvement de la politique génocidaire menée, depuis 1962, par la junte militaire du Myanmar contre cette minorité musulmane parlant un dialecte birman et utilisant la langue birmane formelle dans ses écrits. Un Génocide Pur, Parfait et Sans Failles, Ni Réserves A rappeler que la minorité Rohingya a été rendue apatride par une loi birmane de 1982 lui enlevant ses droits de citoyenneté, y compris le droit de résider légalement dans le pays, le droit d'y circuler, le droit d'y travailler, le droit de voter, le droit de se marier, le droit à une carte d'identité, le droit à la scolarisation de ses enfants, le droit à la justice, le droit à la sécurité, le droit à la propriété privée, le droit à la protection des services de sécurité, le droit d'accès aux soins, le droit à l'aide internationale, le droit de se réclamer de la qualité de Rohingya, le droit à un comptage comme minorité dans le recensement de la population, etc. Bref, les Rohingyas sont victimes d'un génocide pur et parfait, et leur expulsion en masse actuelle n'a rien d'un fait divers causé par «des attaques terroristes», mais bien une étape ultime dans ce génocide intentionnel, qui les vise en tant que Rohingyas, et en tant que Musulmans. Suu Kyi, Le Perroquet de La Junte Birmane Comme l'ont constaté Richard C. Pardock et Hannah Beech, les deux journalistes du New York Times, (article intitulé «Aung Sun Suu Kyi, une Icône qui a beaucoup changé, adopte l'esquive face aux accusations relatives aux Rohingyas» ; 19 septembre) qui ont couvert cette conférence : «Suu Kyi a repris, de manière remarquable, comme un perroquet, le langage des généraux birmans... A travers toute la crise Rohingya actuelle, et la série des offensives militaires contre les autres groupes armés, elle a tout fait pour soutenir publiquement les militaires.» Elle a même repris la fausse proposition déjà mise en œuvre par la hiérarchie militaire birmane d'examiner au cas par cas les demandes de réintégration dans la nationalité birmane des Rohingyas (appelés par elle «Bengalais») qui, au cours de ces trois dernières semaines, ont, au nombre de 400 000 au moins, été expulsés de leur propre patrie. Il s'agit là plus d'une manœuvre dilatoire destinée à tromper l'opinion internationale que d'un assouplissement — qui serait inspiré par des restes de sentiments d'humanité de la part des génocidaires — de la politique d'élimination physique des Rohingyas. Derrière La Position Pro-Génocidaire de Suu Kyi, Une Manœuvre de Haute Politique à Buts Nobles ? La position de Suu Kyi, comme porte-parole de génocidaires, s'expliquerait par le fait, selon les commentaires rapportés par les journalistes, que «tout faux pas de sa part pourrait conduire à son élimination par les membres de la junte», et que «son maintien au pouvoir garantirait la continuation du processus démocratique.» Ainsi, ce ne serait de sa part que simple jeu politique destiné à permettre l'atteinte de l'objectif noble de démocratisation du Myanmar. Donc, l'appui de Suu Kyi au génocide serait justifié à la fois moralement et politiquement. C'est là un raisonnement quelque peu en contradiction avec les «positions de principe», sur la base desquelles le Prix Nobel de la Paix lui a été accordé. A choisir entre ces principes et l'opportunisme politique, qui est allé jusqu'à la complicité active d'un génocide qui dure depuis plus de cinquante ans, Suu Kyi a choisi ce qui lui convenait le mieux dans l'atteinte de ses ambitions politiques. Combien sonne faux la déclaration pleine de compassion pour les victimes de l'oppression politique et économique, faite par Suu Kyi lors de la cérémonie de remise du Prix Nobel de la Paix en 2012 : «Notre objectif final devrait être de créer un monde libéré totalement des déplacés, des sans-toit, des sans-espoir, un monde dont chaque coin est un vrai sanctuaire, dont les habitants auront la liberté et la capacité de vivre en paix.» Ce sont là de belles phrases de circonstance qui cachent une âme pétrie de haine raciale et religieuse et d'ambition politique, acceptant et appuyant la barbarie si elle lui permet d'atteindre ses objectifs. San Suu Kyi mériterait le prix Nobel de la duplicité s'il existait ! Le génocide en cours des Rohingyas est-il donc justifiable tant par le fait qu'il est sponsorisé moralement par la titulaire du Prix Nobel de la Paix que par le fait que l'appui qu'elle lui donne permettrait, dans un avenir proche, au peuple birman de jouir de la démocratie à l'occidentale ? Le Génocide des Rohingyas, Bon Pour l'Avancement de la Démocratie ? Faut-il, dans ce cas, applaudir au génocide du peuple Rohingya et faire circuler une pétition demandant à l'Assemblée générale de l'ONU, actuellement en session à New York, de voter une résolution l'appuyant, afin que l'honneur du comité du Prix Nobel soit sauf, et que Suu Kyi voit son rêve d'une Birmanie «démocratique» et débarrassée de la «double souillure des Rohingyas» — souillure à la fois religieuse et raciale — enfin réalisé ? Comme l'a si bien résumé Derek Mitchell, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Myanmar, «les gens ont investi en elle (Suu Kyi) parce que nous avons besoin qu'elle réussisse. C'est un moment démocratique, et elle représente la promesse démocratique de la Birmanie. Le pays est à la croisée des chemins de l'Asie, dans une région où la démocratie est en retraite, ce qui rend le succès de la Birmanie d'autant plus important.» Les Rohingyas, Victimes Expiatoires de la «Démocratie ?» Ainsi, les Rohingyas devraient-ils être reconnaissants d'être victimes d'une génocide. Ils devraient même en être fiers, car leurs «sacrifices» permettraient le renforcement de la «démocratie» non seulement en Birmanie, mais également dans toute la région ? La démocratie ne vaut-elle pas un génocide ? Ah, ces Rohingyas ! Ils ne comprennent pas que, même éliminés de la surface de la Terre, ils auront la chance de survivre dans la mémoire de l'humanité comme le peuple qui a été sacrifié sur l'autel de la «Démocratie», ce Dieu sans pitié, dont les adeptes sont les seuls à pratiquer encore les sacrifices humains ! Les enfants Rohingyas décapités par les soldats de Tatmadaw, nom officiel de l'armée birmane, seraient assurés d'avoir la place que promet à ses victimes ce dieu sanguinaire dans «son paradis» ! Voilà que les Rohingyas, victimes d'un génocide, se voient accusés — en plus des deux crimes qui leur sont reprochés : ne pas appartenir au même groupe racial que les Birmans, ce qui est le cas pour les cent trente et un autres groupes raciaux que compte officiellement ce pays, mais, pire encore, être des Musulmans dans un pays à majorité écrasante bouddhiste — de constituer un obstacle à la démocratisation de Myanmar, en refusant de se laisser «génocider» en «paix» ! En conclusion : au vu de leur «contribution à la marche de la démocratie et à la paix», faut-il attribuer aux Rohingyas, peuple menacé de disparition, le prix Nobel de la Paix afin qu'ils servent d'exemple aux autres peuples qui seront sacrifiés sur l'autel du progrès politique ? Peut-être faudrait-il que soit dépouillée de ce prix qu'elle n'a jamais mérité Aung San Suu Kyi, cet océan de duplicité, cette mer de fourberie, cet iceberg de mensonges, ce fleuve de cruauté, ce torrent de fausse compassion, et qu'il soit attribué aux Rohingyas, à titre posthume, bien sûr, puisqu'ils «n'existent plus» ! Faut-il même réfléchir à l'attribuer à Tatmadaw qui, grâce à ce génocide, pave la voie à la «démocratie», et qui au moins n'a jamais caché ni ses intentions ni ses méthodes, et qui fait tout pour que cette minorité Rohingya, condamnée à disparaître, accomplisse la mission sacrée qui lui a été assignée par «la communauté internationale» dans ce monde, et pour que son génocide ne soit pas vain ? Dans cette dialectique, veut-on faire passer le génocide, la forme la plus extrême de barbarie, comme la voie sacrée vers la démocratie et le triomphe des droits de l'homme ? Ou s'agit-il de justifier ce crime contre l'humanité pour faire avancer des intérêts géostratégiques qui n'ont rien à voir ni avec la démocratie, ni avec les droits de l'homme?