Au centre du débat politique, l'institution militaire n'arrive pas à recentrer son rôle autour de la sécurité du pays, comme le prévoit la Constitution. Après avoir été au cœur même des changements et des cooptations des différents présidents qui se sont succédé depuis l'indépendance, voilà qu'aujourd'hui l'armée est sévèrement critiquée pour son soutien invétéré à un Président affaibli par la maladie et entouré par une caste d'oligarques qui s'est enrichie sur le dos du Trésor public. Cumulant deux fonctions incompatibles, chef d'état-major de l'ANP et vice-ministre de la Défense, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, est l'homme fort sur lequel repose le système mis en place par le cercle présidentiel. Après avoir joué un rôle important dans la neutralisation, la restructuration pour ne pas dire la déstructuration des services de renseignement, notamment le DRS (Département de renseignement et de sécurité), Gaïd Salah a rattaché à l'état-major les services-clés de la grande muette, comme la sécurité de l'armée ou encore la police judiciaire, et s'est débarrassé d'une bonne partie de ses détracteurs grâce à l'ordonnance, en février 2006, portant statut du personnel militaire, préparé dès sa propulsion, par Bouteflika, à la tête de l'état-major, après la démission de feu le général-de corps d'armée, Mohamed Lamari, en 2004. En vertu de cette loi, la carrière d'un général de corps d'armée s'arrête à 64 ans, après 42 ans de service, d'un général-major à 60 ans, après 38 ans de service, d'un général à 56 ans, après 36 ans de carrière, d'un colonel à 53 ans, après 32 ans de service, d'un lieutenant-colonel à 48 ans, après 28 ans de service et d'un commandant à 45 ans, après 25 ans de service. Ainsi, de nombreux cadres de l'armée et des services ont été sommés de rejoindre la vie civile souvent à la veille ou après chaque mandat présidentiel. Ceux qui ont osé exprimer leur avis, comme les généraux à la retraite, Hocine Benhadid, Yaala, Ghediri, pour ne citer que ceux-là, ont suscité des réactions virulentes publiées dans les colonnes de la revue El Djeich, avant qu'une loi ne vienne, en juin 2016, limiter la liberté de parole non seulement aux retraités, mais aussi à tous les contingents de réserve, soit des millions d'Algériens qui ne portent plus ou pas de képi. Pour de nombreux juristes, le texte de loi en question est une violation des libertés dans la mesure où l'obligation de réserve est limitée dans le temps et reste régie par le règlement intérieur et non pas par une loi que bon nombre d'observateurs voient comme un tour de vis. D'autant qu'elle intervenait alors que le général Hocine Benhadid venait d'être jeté en prison, après avoir été enlevé brutalement par une escouade de gendarmes de son véhicule braqué en plein milieu de l'autoroute pour avoir critiqué publiquement, sur une chaîne de télévision et une web-radio, Gaïd Salah et son soutien invétéré au Président. L'avis de cet ancien officier, très apprécié par ses pairs, n'est pas isolé. L'ancien PDG d'Air Algérie et de Cosider, Wahid Bouabdellah, a également été malmené en tant que député FLN par des officiers de la sécurité intérieure dépendant de l'état-major juste pour avoir osé émettre son avis sur la situation du pays, alors que de nombreux politiciens ont interpellé ouvertement le premier responsable de la grande muette sur la situation d'impasse dans laquelle se trouve le pays en raison de la maladie invalidante du Président et l'accaparement du pouvoir de l'argent et de la politique par une caste d'oligarques qui gravite autour de lui. Aujourd'hui, le chef d'état-major apparaît comme le principal soutien à un système à bout de souffle et dont la fin n'est pas évidente. Contre toutes les critiques, il défend l'institution qu'il dirige depuis plus de 13 ans, en évoquant tantôt la théorie du «complot» ou la «main de l'étranger», et tantôt il pointe un doigt accusateur vers «les plumes de mercenaires». A ceux qui l'interpellent, il rappelle que l'armée est «républicaine», mais aussi «respectueuse de la Constitution» et «loin de tout débat politique». Or, le fait même qu'il soit vice-ministre et en même temps chef d'état-major, Gaïd Salah entraîne l'armée dans les arcanes de la politique, étant donné qu'il porte la casquette de la politique et celle de l'homme de terrain. Mieux encore, ses apparitions quotidiennes sur les écrans des chaînes de télévision à une heure de forte audience en uniforme, supervisant des manœuvres militaires, des sorties de promotion, ou en visite d'inspection dans les régions militaires, brossant dans le sens du poil la politique d'un Président absent des radars, ne rassurent pas sur le caractère républicain de la grande muette, encore moins sur le principe de sa neutralité vis-à-vis du politique. Même s'il a réussi à s'entourer des plus fidèles des officiers, Gaïd Salah ne semble pas faire l'unanimité au sein de l'état-major et parmi les nombreux chefs d'unité sur le terrain. La discipline étant sacrée au sein de cette institution qui a payé — et qui paye encore — un lourd tribut contre une armée de terroristes islamistes, beaucoup se résignent au silence. Acculé, le cercle présidentiel ne peut continuer à prendre en otage tout un pays, et Gaïd Salah, le pilier sur lequel il s'appuie, ne peut maintenir son soutien éternellement à un régime autour duquel gravite une poignée d'oligarques qui a la mainmise sur les fonds publics.