Aujourd'hui s'ouvre à Alger un passionnant colloque qui vient couronner cinq ans de collaboration algéro-européenne autour de la préservation du patrimoine filmique. Durant deux jours, des experts venus de plusieurs pays partageront leurs expériences et leurs savoirs sur la question. Ce sera également l'occasion de faire le point sur la question des archives audiovisuelles en Algérie. Dans quel état sont-elles ? Comment les préserver ? Et d'ailleurs, pour quoi faire ? Que n'a-t-on tiré la sonnette d'alarme sur la question de la conservation de ce patrimoine ! Il y a quelques années encore, les milliers de kilomètres de pellicules de la Cinémathèque algérienne étaient entassées dans des hangars dépourvus des moindres conditions de stockage. Depuis, les institutions semblent plus sensibles à cette problématique cruciale. Des actions de préservation, de sauvegarde mais aussi de formation du personnel ont été entreprises en collaboration avec des experts étrangers. Parmi ces initiatives, citons la confection d'un fichier des archives et le transfert d'une partie des bobines de la Cinémathèque vers la Bibliothèque nationale d'El Hamma en 2010. La dernière action en date a été entreprise dans le cadre du programme d'appui à la protection et valorisation du patrimoine culturel en Algérie. Cette coopération entre l'Algérie et l'Union européenne (à hauteur de 21,5 millions d'euros pour l'UE et 2,5 millions d'euros pour l'Algérie) englobe différents aspects du patrimoine culturel tel que défini par l'Unesco. Le volet audiovisuel de cette large initiative comprend des actions dans la formation, la préservation mais aussi un projet pilote de numérisation qui a permis de régénérer Tahia ya Didou et 13 autres classiques du cinéma algérien. Fruit d'un incroyable concours de circonstance, la copie du chef-d'œuvre de Zinet retrouvée par hasard et dans un état de dégradation avancée est finalement restaurée, numérisée (grâce à la collaboration de la Cinémathèque, du CNCA et de l'ONDA avec le laboratoire italien Laser Film) et visible en DCP dans nos salles obscures. Programmé dans les Cinémathèques d'Algérie à la suite du colloque international, la projection de Tahia ya Didou fait partie d'un cycle de classiques du cinéma algérien (voir encadré). D'autres projections de Tahia ya Didou seront programmées, a annoncé Lyes Semiane, directeur de la Cinémathèque algérienne, lors d'une conférence de presse organisée mardi dernier à la B. N. Avant d'aller plus loin, il serait bon de revenir sur la définition du patrimoine filmique. Cette notion va bien au-delà des seuls films. C'est ce qu'a souligné Ahmed Bedjaoui, spécialiste de cinéma et directeur du comité scientifique du colloque. Outre les films de fiction conservés par la Cinémathèque, il existe également des archives audiovisuelles à la télévision nationale, mais aussi des archives historiques conservées par l'ANP (Armée nationale populaire). Ces archives, auxquelles l'accès n'est pas toujours aisé, sont d'une importance cruciale pour les chercheurs de différentes disciplines à même de documenter notre mémoire et, finalement, de mieux nous connaître. Les images captées par les Frères Lumière en Algérie au tournant du XXe siècle sont les films les plus innocents qui soient puisqu'il s'agit des balbutiements du cinématographe, illustre Bedjaoui. Elles nous renseignent pourtant sur les habitudes vestimentaires de l'époque et sur bien d'autres points. Le patrimoine filmique, ce sont aussi les scénarios, les costumes, les affiches, le making-off, les critiques… En somme, tout ce qui fait la carrière d'un film. Si la Cinémathèque algérienne s'appelle également «Musée du cinéma», c'est que cette mission lui revient également. La question de la conservation et de la restauration des pellicules a fait couler beaucoup d'encre et l'on présente souvent la numérisation comme la panacée. La problématique est pourtant plus complexe. En 52 ans d'activité, la Cinémathèque a accumulé plus de 10 000 copies de films, affirme Bedjaoui. Parmi celles-ci, il existe des pellicules au nitrate très inflammables (les cinéphiles se souviennent de la scène terrible de l'incendie de la salle de projection dans le film Cinema Paradisio de Giuseppe Tornatore). Est-il possible, souhaitable et suffisant de tout numériser pour sauvegarder ? Bedjaoui nous apporte une réponse nuancée. La numérisation est surtout utile pour la projection dans des conditions optimales. Après restauration, le son (Dolby Surround) est même souvent meilleur que l'original. La copie numérique prend également beaucoup moins de place. En argentique, certains films occupent jusqu'à 120 000 mètres de pellicule ! Tout cela étant dit, le numérique n'a pas la même longévité que la pellicule. Cette dernière peut perdurer jusqu'à trois siècles (les premières images du cinématographe réalisées à la fin du XIXe siècle sont encore visibles) alors que la durée de conservation d'une copie numérique est estimée à 25 ans, assure Bedjaoui. La numérisation est donc nécessaire mais pas suffisante. Cette opération, qui devrait à terme devenir routinière, ne dispense donc en aucun cas de la conservation des pellicules. Ces dernières (qui ont aussi l'avantage de comprendre les rushs et donc… de potentielles versions non censurées) sont une mine d'informations sur le tournage des films dont la préservation est d'une grande importance. Fayçal Ouaret, directeur de l'ARPC et directeur du Programme Patrimoine au ministère de la Culture, est revenu sur les péripéties qui ont jalonné le projet de construction d'un blockhaus pour la conservation des films. Il devait d'abord être construit dans la ville nouvelle de Sidi Abdallah, avant que tous les espaces culturels de ce projet ne soient réaffectés à d'autres fonctions. Par la suite, un terrain de l'ARPC avait été dégagé aux Eucalyptus (Alger) avant de découvrir que celui-ci avait également été affecté à d'autres fins. La demande de réaffectation déposée par l'ARPC cier, le projet de blockhaus est techniquement à la portée des compétences algériennes, assure Ouaret. Il s'agit fondamentalement d'assurer les conditions d'humidité et de température idoines. «Une cabane en bois branchée sur un groupe électrogène peut tout aussi bien faire l'affaire», illustre Bedjaoui qui pose également la question du rapatriement des copies de films conservées à l'étranger. Pas moins de 150 films algériens sont conservés par des laboratoires étrangers qui détiennent les négatifs. La raison est qu'en l'absence de laboratoires en Algérie, une grande partie de nos films ont été développés ailleurs. Il est à rappeler, souligne Bedjaoui, que l'ANP a mis à la disposition des réalisateurs son laboratoire qui a fonctionné entre 1985 et 1994 avant d'être repris par la Télévision «qui en a fait des bureaux». Là encore, la technologie et les compétences nécessaires sont à la portée de l'Algérie, assurent les spécialistes. Le Maroc et la Tunisie ont procédé au rapatriement de leurs films. La question du rapatriement est liée aux conditions de conservation en Algérie, qui doivent nécessairement être mises à niveau. Parmi les œuvres cinématographiques en danger, Bedjaoui cite Combien je vous aime de Azeddine Meddour tourné en kinescope et L'enfer à dix ans de Abderrahmane Bouguermouh dont le négatif est introuvable. La zerda ou les chants de l'oubli d'Assia Djebar est en cours de numérisation avec un laboratoire allemand. Au bout de la chaîne de préservation de ce patrimoine, se pose la question de la sensibilisation du public à sa valeur. Et cela passe naturellement par l'accessibilité de ces films. La Cinémathèque, avec son réseau national de salles, a là aussi un rôle important à jouer. Lyes Semiane affirme qu'il existe une vraie envie de cinéma algérien parmi le public. Il en veut pour preuve l'engouement pour la projection d'En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui (sélectionné au dernier festival de Cannes) mais aussi les salles combles lors de la programmation de Hassan Terro (1968) à la Cinémathèque. On pourrait ajouter à cela les compiles (officieuses) de classiques du cinéma algérien qui se vendent à la sauvette et répondent à une vraie demande du public. Une bataille de la communication reste à mener pour que le public renoue avec les salles obscures. L'envie de se voir à l'image existe. Pour s'en convaincre, il suffit de voir par exemple le foisonnement de la jeune photographie algérienne qui commence même à se faire connaître à l'international. Comment connecter cette envie sur le gisement visuel des archives filmiques ? La télévision, la Cinémathèque, l'université et d'autres institutions ont un rôle important pour transformer ces archives, au-delà de leur conservation matérielle, en culture et en savoir.