Le rêve du leader kurde Messaoud Barzani d'édifier un nouvel Etat au nord de l'Irak s'est brisé comme un château de cartes sur les sables mouvants du fleuve de l'Euphrate. Clap de fin. Lundi dernier, le gouvernement irakien a sifflé la fin de la partie. Il a envoyé son armée et ses milices chiites occuper la riche ville de Kirkouk, contrôlant tous les bâtiments publics sur lesquels flotte désormais le drapeau unitaire irakien. L'armée a pris possession de la grande base militaire Tai 1, de l'aéroport de Kirkouk, ainsi que des puits de pétrole, notamment celui de Bey Hassan et de Navana, au sud de la ville. Il n'a fallu que deux jours pour que les forces irakiennes imposent l'autorité de l'Etat sur Kirkouk et mettent en péril le rêve d'indépendance que caressent les Kurdes irakiens depuis la proclamation de leur autonomie en 1991. La reprise, avec une facilité déconcertante, de Kirkouk, du mont Sinjar et sans doute bientôt des autres régions dites «disputées» entre Baghdad et Erbil, comme une partie de la ville de Salah Eddine, de Hawidja et de Dialla, a été facilitée par les divisions apparues au sein du Parti de l'union du Kurdistan (PUK) du défunt Jalal Talabani. En effet, son fils Pavel Talabani qui préside aux destinées du parti, a signé un accord secret avec Qasem Soleimani, général iranien et commandant de la force Al Qods, ainsi qu'avec le gouvernement irakien. Cet accord tripartite avait prévu que les forces des peshmergas, dépendant de la province de Souleimania, se retirent de Kirkouk sans opposer de résistance et laissent le contrôle de toute la ville aux forces irakiennes. C'est ce qui explique l'absence de combats armés entre les deux parties et le nombre très limité de morts et de blessés. Barzani a perdu la partie L'accord secret a été signé entre les trois partis à l'insu du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Messaoud Berzani et d'une aile dissidente du PUK dirigée par Kosrat Rasul Ali, premier secrétaire dudit parti et vice-président du Kurdistan irakien. Il prévoit, outre de verser les salaires des peshmergas issus de Souleimania, de créer un nouveau territoire kurde qui englobera la ville de Souleimania elle-même, ainsi que celle de Halabja et Kirkouk. Si ce scénario devait se concrétiser sur le terrain, cela voudra dire qu'il existera deux territoires kurdes. Le premier sous la présidence du clan Barzani et l'autre sous le règne du fils de feu Talabani. Mais peu importe l'évolution de la situation, la victoire du Premier ministre irakien, Haider Al Abadi, est incontestable. Non seulement il a réussi à rallier toute la communauté internationale à sa cause, mais il a surtout gagné la partie de bras de fer qui s'annonçait difficile avec Barzani. Avec des gants de velours. Le leader kurde, vieillissant et de plus en plus contesté par son peuple, a peut-être subi l'une de ses défaites politiques les plus humiliantes. Plus le temps passe, plus les divisions au sein du PDK vont apparaître au grand jour. Des voix discordantes au sein du parti commencent déjà à se faire entendre. Plusieurs cadres du parti, qui n'étaient pas très chauds à l'idée d'organiser un référendum, souhaitent que Messaoud Barzani quitte la scène politique et cède sa place à une équipe de dirigeants jeunes, efficaces et non corrompus. Isolé économiquement et géographiquement, le Kurdistan irakien vit une des plus difficiles crises depuis 26 ans. La Turquie, qui est considérée comme un partenaire incontournable d'Erbil, a remis le contrôle des frontières kurdes au gouvernement de Baghdad. Les ambitions de l'Iran Même chose aussi pour Téhéran qui a décidé de collaborer activement avec la capitale irakienne pour couper la route à ce qu'elle considère comme «un nouvel Israël» à côté de ses frontières. L'Iran a maintes fois manifesté sa crainte de voir le Kurdistan irakien devenir un terrain de jeu de Tel-Aviv qui est la seule capitale au monde à avoir manifesté son soutien au référendum du 25 septembre dernier. Avec ces changements géopolitiques, beaucoup d'incertitudes entourent désormais le projet d'autonomie du Kurdistan irakien. Se dirige-t-on vers un conflit ouvert entre le PDK et son frère ennemi le PUK ou vers la naissance d'un nouvel Etat kurde dont la capitale serait Souleimania ? Ces questions taraudent l'esprit de beaucoup d'observateurs locaux qui pensent que les cartes vont être redistribuées entre les pays de la région. Sur le terrain, le calme règne à Kirkouk. L'armée s'est positionnée au niveau des principaux carrefours de la ville et autour des installations pétrolières, tandis que la police locale, placée sous l'autorité des forces irakiennes, maintient la paix et la sécurité. En revanche, tous les Kurdes installés par le PDK à Kirkouk depuis deux ans, dans le but de changer l'équilibre démographique de la ville, ont fui vers leurs villes et villages natals. Dans un mouvement inverse, les Turkmènes et les Arabes, poussés dehors par les Kurdes, sont revenus à leurs maisons. En effet, dans le but d'inverser la tendance démographique de façon à avoir une majorité de Kurdes, les autorités d'Erbil n'ont cessé de faire pression sur les habitants arabes et turkmènes afin qu'ils quittent leurs maisons et s'installent ailleurs ou deviennent des réfugiés. Mais l'intervention de l'armée irakienne semble avoir rééquilibré la donne démographique pour que Kirkouk reste une ville multiethnique. Bien qu'il soit difficile d'imaginer les scénarios futurs, une chose est sûre : Messaoud Barzani sort perdant de ce bras de fer et une nouvelle configuration politique de la région n'est pas à exclure. Grâce à ses bonnes relations avec le clan Talabani dans la province de Souleimania, l'Iran est convaincue qu'elle a un nouveau rôle à jouer pour étendre davantage son influence. Et elle ne se gênera pas pour le faire…