Au cours de la matinée de jeudi dernier, au niveau de la salle du Sila des Pins Maritimes, à Alger, cinq spécialistes de la chaîne du livre étrangère se sont penchés sur la thématique : «Tendances de l'édition dans le monde». Modérée par le journaliste Améziane Ferhani, cette rencontre a permis à l'assistance nombreuse d'avoir une idée sur l'édition dans certains continents. Le président égyptien de l'Union des éditeurs arabes, Mohamed Rashad, a d'emblée soutenu qu'il ne faut pas se voiler la face. En matière d'édition, l'Europe est en avance par rapport aux pays arabes. «Il y a un écart de 400 ans entre nous et l'Europe», lance-t-il. Le premier ouvrage en langue arabe a été publié en 1514. L'année 1798 a vu la naissance de la première imprimerie privée en Egypte. L'Egypte et l'Irak étaient des industries en plein essor. Après l'avènement de l'islam, il y a eu la publication du manuscrit du Coran. La plus ancienne imprimerie dans le monde arabe date de la dynastie des Abassides, où 80 000 ouvrages étaient recensés. Au XVIIe siècle, 50 millions de manuscrits étaient éparpillés à travers la terre de l'islam. Mohamed Rashad indique que dans l'inconscient du citoyen arabe, il n'y a pas de respect de l'auteur et l'on ne s'intéresse pas au soutien à la lecture. Il est à recenser, également, le déficit en matière de bibliothèques. «En Egypte, nous faisons face à la censure et aux taxes douanières élevées. Nous n'avons pas de lignes de transport et de fret, à l'image de l'Europe. L'Etat investit dans l'édition scolaire. Ceci ne nous empêche pas de dire que depuis dix ans, il y a des initiatives pour sortir de cette crise. Il y a eu des tentatives de création de centres culturels et de bibliothèques», argumente-t-il. De l'avis de l'orateur, si les éditeurs arabes commencent à investir dans l'édition numérique, il reste que l'ensemble des problèmes auxquels fait face l'édition doivent être résolus par les gouvernements. L'industrie du livre est faible, à cause d'un grand nombre de facteurs, tels que la carence dans l'écriture et le manque d'encouragement des Etats arabes. Toutefois, il précise que l'édition aux Emirats arabes unis connaît un grand essor eu égard à l'encouragement à la lecture et à la distribution. Preuve en est : l'Etat encourage la chaîne du livre avec une subvention avoisinant les 70%. Le PDG du Salon international du livre de Montréal, Philipe Sauvageau, brosse un tableau des plus reluisants. Le gouvernement a planifié des lois pour protéger l'édition au Québec. Cette province bénéficie d'une subvention des gouvernements canadien et québécois. Toutes les institutions subventionnées doivent, nécessairement, acheter des livres chez un libraire agréé. Ce dernier doit, à son tour, s'approvisionner auprès des distributeurs agréés par le gouvernement. La chaîne du livre est articulée autour de l'édition, de la distribution et de la diffusion. «Nous assistons, dit-il fièrement, aujourd'hui, à l'évolution de l'édition numérique. Au Québec, nous avons planifié avec la collaboration des éditeurs et des bibliothèques une façon de diffuser le livre numérique à travers les bibliothèques. Quand vous allez dans une bibliothèque, vous devez être abonné. Vous empruntez l'ouvrage pour trois semaines et ensuite vous le rendez. Pour éviter le piratage, le livre numérique consulté disparaît, obligeant la bibliothèque à le racheter. Ce système permet de protéger les éditeurs» Le gouvernement québécois a aussi encouragé la mise en place de dix Salons du livre. Ces derniers sont reconnus comme étant un élément pour la diffusion et la promotion du livre. A titre d'exemple, le montant de l'argent dépensé par les usagers du Salon pendant cinq jours s'élève à 130 millions de dollars canadiens. «Nous avons énormément de publicité à la télévision, à la radio et dans les journaux. Ce qui n'est pas évident au cours de l'année. Au Salon du livre du Québec, nous avons 350 pages de textes consacrés aux éditeurs et aux auteurs du Québec». La directrice des éditions African Narratibes, Clare-Rose Julius, de l'Afrique du Sud, affirme qu'en 2015, elle a enregistré la vente de 10 millions d'exemplaires, tous genres confondus. 2,5 millions d'ouvrages ont trait à la fiction. Le reste est importé et écrit en langue vernaculaire, en anglais et en africain. Statistiquement, 51% de la population ne possèdent pas de livres, 95% des parents ne lisent que pour leurs enfants et 29% de la population sont analphabètes. Pour la conférence, les causes entravant le développement de l'édition dans le pays sont liées à la mauvaise distribution, à la hausse du prix du livre et à l'absence d'un réseau de distribution. Le Suisse Jean Richard, responsable des éditions d'En bas, est revenu sur «L'Alliance des éditeurs indépendants», qui compte 500 maisons d'édition dans le monde, issus de 50 pays. Chaque maison d'édition est libre quant à son programme. Jean Richard constate que la Suisse est dans une situation de privilégiée et de minorité, car «80% du marché du livre en Suisse romande sont dominés par les livres français, avec une forte concurrence vis-à-vis des marchés des petits éditeurs. Comment survivre dans un marché aussi petit, d'autant plus que la diffusion et la distribution des livres suisses vers la France ont les mêmes difficultés que les pays africains francophones vers la France, analyse-t-il. Actuellement, l'Alliance des éditeurs indépendants mène un travail de l'ordre du plaidoyer d'action dans le développement de la chaîne du livre. «Nous cherchons à travers toute l'Amérique latine, le monde arabe et l'Afrique de l'Ouest à mener une enquête à travers l'observatoire de la bibliodiversité. Cet observatoire va faire une cartographie de la situation des pays par rapport au collectif de promotion du livre. Nous avons également développé un labo numérique», ajoute-t-il. La dernière intervenante, Delphine Hautbois, directrice des Presses universitaires de Lyon, a présenté le service public de l'édition au sein de l'université de Lyon. Les Presses universitaires de Lyon comptent une cinquantaine d'éditeurs. Le catalogue est riche de 900 titres, avec en moyenne une vingtaine de publications par an qui brassent tous les domaines des sciences humaines, de la littérature, de l' histoire, de l'art, de l'anthropologie et de l'ethnologie. Elle précise qu'il existe un financement public important volontariste pour les sciences humaines et sociales, «qui nous permet de faire des choix difficiles, de publier des textes exigeants indépendamment des questions de rentabilité financière. C'est un accompagnement de l'Etat qui est précieux. Nous essayons d'exporter nos livres dans des pays francophones», conclut-elle.