Par Matari Abdelouahab Département de philosophie Université Alger 2 Dans le contexte de crise multidimensionnelle que vit l'Algérie, l'Etat et ses institutions sont dans un état de délabrement et de dislocation total, ce qui fragilise déjà une société meurtrie par les vicissitudes quotidiennes de la vie. La citoyenneté semble affaiblie pour ne pas dire appauvrie chez la majorité des individus, les vieux comme les jeunes, laissant place à de l'égoïsme, ce qui ne profite en fin de compte qu'au pouvoir central. De ce fait, cela devient une nécessité de salut national de reconstruire et de repenser une autre conscience politique afin d'éviter les dérives suicidaires qui nous conduiront sûrement vers l'irréparable. En effet, dans ce contexte de crise totale, où les différences sociales se creusent, où les régions sont inéquitablement traitées, on se demande comment le pouvoir politique se vante d'avoir édifié l'Etat-nation. Un mensonge, rien que des mensonges !!! Car toute la gestion des affaires et de gouvernance par le pouvoir politique n'a laissé derrière elle que désolation, mépris, misère, exclusion et corruption. Pour comprendre comment fonctionne et gouverne le pouvoir politique, il faut se référer au philosophe français M. Foucault qui a défini le pouvoir politique dans un cours donné au Collège de France, mais qui en fin de compte, sied parfaitement au pouvoir politique algérien. Voilà ce qu'il dit : «Par gouvernementalité, j'entends l'ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques, qui permettent d'exercer cette forme bien spécifique bien que complexe de pouvoir, qui a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir l'économie politique, pour instrument technique essentiel les dispositions de sécurité.» (Sécurité, territoires, population : 4e leçon, 1er février 1978). Cette notion apparaît à partir de 1978 (mais je crois qu'en Algérie elle est apparue bien avant cette date, elle a vu le jour en 1957 pendant le congrès de Tripoli); elle désigne le nouvel art de gouverner, dont le pouvoir a pour champ d'application le fonctionnement de l'Etat et s'appuie sur une technologie politico-militaire et une police, et en ce qui concerne notre réalité politique, elle se résume en une maffia politico-financière. La gouvernementalité s'exerce, donc, par le pouvoir. Ce terme est conçu par M. Foucault comme l'attribut exclusif d'un groupe d'hommes. Le pouvoir est, selon lui, diffus et non localisable en un lieu précis, on ne sait pas qui gouverne, et pour ce qui est de notre gouvernance, c'est encore pire !!! Le pouvoir est omniprésent et il vient de partout, et à tout moment pour favoriser l'ordre public grâce à la surveillance et au dressage. C'est comme cela que fonctionne le pouvoir politique en Algérie, la gouvernance se pratique dans une opacité totale, le pouvoir est occulte, on laisse planer la suspicion et le mystère afin de tétaniser, de dresser, d'asservir les individus. Il faut penser le pouvoir algérien en terme de «mentalité maladive de pouvoir», on ne partage rien, on accapare le pouvoir, les autres ne sont en fin de compte que des sous-hommes qu'il faut mépriser. Cette culture du mépris ne génère en fin de compte que la «culture ségrégative», et l'exclusion sociale. La participation citoyenne est renvoyée aux calendes grecques, l'expression «participation citoyenne» a été de tout temps bannie du vocabulaire du pouvoir algérien. Il nous faut repenser la gouvernance de l'Etat, une gouvernance appuyée par les critères de la démocratie participative, seuls les fondements de la démocratie et rien que la démocratie pourra nous sauver. Toute autre approche ou discours est une chimère et une illusion. A l'exclusion, il faut répondre par la participation. Cette nouvelle conscience politique pourra, d'un côté, consolider l'unité nationale, et de l'autre côté, s'employer à renforcer les particularismes de chaque région, qui ne cesse d'être marginalisée, frappée par le sceau de l'oubli et de l'indifférence, et où les différences se creusent et les régions sont inéquitablement traitées. Il faut repenser la gouvernance en terme de fédéralisme, ce qui a pour vocation de changer la conscience des citoyens, d'une «conscience douteuse» vis-à-vis du pouvoir, vers une «conscience apaisée» vis-à-vis des institutions. Le fédéralisme en termes de gestion des affaires publiques suffirait à générer une solidarité entre les régions mises en concurrence sans aucun favoritisme ou régionalisme, car cette dernière approche génère une mentalité négative et défaitiste qui sévissait et qui sévit toujours depuis l'indépendance et qui ne laisse derrière elle que misérabilisme et désolation. Il faut examiner la question du fédéralisme comme un constat qui correspond à une réalité objective, loin des amalgames et de la stigmatisation. Le citoyen éprouve de plus en plus de mal à s'identifier au pouvoir politique central, le sentiment d'injustice et d'abandon de la part des pouvoirs politiques centralisés dans des institutions loin des problèmes que vit le citoyen, a conduit inévitablement à une perte de confiance qui ne sera jamais réparée. Le peuple ne se reconnaît plus dans le pouvoir et la gestion centralisée chaotique. Il nous faut inventer d'autres démarches politiques, d'autant plus qu'on a aujourd'hui un exemple frappant, en l'occurrence les revendications de la Catalogne, de la Lombardie-Vénitie, dont il faut méditer sérieusement les tenants et aboutissants afin de tirer les enseignements nécessaires, et faire en sorte que la société algérienne profite du système de fédéralisme au lieu que cette revendication ne devienne une malédiction qui nous entraînera vers les catacombes de la guerre civile. Il ne s'agit pas de revendications extrémistes ni de volonté d'indépendance, comme c'est le cas pour les Kurdes en Irak, mais il s'agit plutôt de se projeter dans une dynamique de re-valorisation économique, sociale et culturelle des régions, insuffler une mentalité nouvelle dans la gestion des affaires publiques, loin des décisions unilatérales du pouvoir centralisé corrompu. Le fédéralisme, comme c'est le cas pour l'Amérique, nous permettra d'entamer une démocratie apaisée, et faire en sorte de détourner les plans machiavéliques, comme c'est le cas pour l'agitateur fauteur de troubles B. H. Levy, qui sous le couvert d'une cause juste, aura à cœur de mettre l'Algérie à feu et à sang. Le fédéralisme signifie donner plus d'autonomie financière, plus de prérogatives administratives aux élus locaux dans la gestion des deniers publics, et faire en sorte qu'il y aura toujours un contrôle afin que les impôts «soutirés» aux citoyens soient reversés aux collectivités locales et non pas dans la panse d'individus sans foi ni loi et que enfin l'expression «distribution équitable de la richesse ait un sens». Appliquons le fédéralisme sans finalité d'indépendance et loin de toute revendication identitaire, comme c'est le cas de la Catalogne, sinon le fédéralisme deviendra pour nous une malédiction au lieu d'être une bénédiction.