Louer un appartement devient de plus en plus inaccessible et impossible aux nombreuses familles, à la recherche d'un toit, et aux jeunes travailleurs, notamment les femmes et les célibataires. Les conditions pour la location ainsi que les prix excessifs exigés rendent la vie des demandeurs infernale. El Watan Week-end a enquêté sur le sujet. «Trouver du travail est un miracle mais réussir à trouver une location de logement, relève presque du domaine de l'impossible», s'indigne Sofiane*, ingénieur originaire des Hauts-Plateaux, rencontré autour d'un café au centre d'Alger. Embauché il y a quelques mois à la zone industrielle de Rouïba, Sofiane, comme la plupart de ceux que nous avons interrogés sur le sujet, évoque «les prix exagérés des loyers» et conteste les conditions de leurs acquisitions qu'il décrit d'utopiques. Mais pour mieux saisir l'ampleur du phénomène et concevoir le nombre important des chercheurs de location en Algérie, nous avons contacté Mehdi Bouzid, l'un des fondateurs du plus grand site d'annonces en Algérie, Ouedkniss.com, qui a accepté de nous livrer les statistiques relevées récemment de son site internet. «Notre site reçoit 800 000 visites/jour dont 15% concernent l'immobilier. Nous avons actuellement 47 500 annonces pour des appartements, avec 1500 nouvelles annonces par jour», énonce-t-il. Et d'ajouter : «Pour ne prendre pour exemple que le cas de la capitale, il faut savoir que les prix de la location d'un appartement sont excessivement élevés. Mais nous avons constaté qu'il y a une certaine stagnation car il nous semble que les gens trouvent, pour des raisons différentes, des difficultés aujourd'hui à louer.» Pourquoi le nombre des demandes augmente-t-il malgré tous les projets de relogement initiés depuis des années par l'Etat ? Pourquoi les prix ne baissent-ils pas, à leur tour, malgré la crise financière annoncée et la baisse du pouvoir d'achat des Algériens ? Jointe par téléphone, Zahoua Mammeri, présidente de la Fédération nationale des agences immobilières (FNAI) et responsable de l'une d'entre elles, explique : «Les prix vont continuer à augmenter tant que la demande reste plus importante que l'offre. Prenez l'exemple des logements AADL distribués depuis 2010. Nous avons constaté que la plupart sont aujourd'hui inoccupés, alors qu'à la base la condition de leurs acquisitions était de justifier que le demandeur n'a pas de logement. Cela, ne veut dire qu'une chose, c'est qu'ils n'ont pas été attribués aux plus nécessiteux. Il faut, peut-être, penser à les donner à cette frange de la jeunesse montante qui en a réellement besoin.» Intimité Fatigue, colère, dégoût, désespérance et amertume, sont les mots qui reviennent fréquemment lors de nos discussions avec ces locataires ou ces candidats à cette formule qui suscite indignation. Pourquoi ? Chacun évoque, de son côté, des raisons différentes dont certaines peuvent paraître des plus improbables. «Les propriétaires refusent de louer à des célibataires comme moi et, en plus, ils exigent le paiement d'une année d'avance, si ce n'est plus, c'est la réponse de certaines agences que j'ai sollicitées. Ces dernières m'ont affirmé que certains propriétaires exigent le payement de deux à trois années d'avance, ce qui est imaginable ! Alors que je commence à peine ma carrière avec un salaire médiocre, comment puis-je payer une année de loyer ?» s'emporte Sofiane. Hormis les témoignages des garçons, celui des jeunes femmes employées restent les plus poignants et devraient, même, «faire l'objet d'une enquête des pouvoirs publics», ce que souhaitent certaines d'entre elles. Rencontrée à Alger, Salima, originaire de l'Est et locataire dans la banlieue d'Alger, livre son témoignage et partage avec nous celui de ses colocataires. «Contrairement aux garçons, nous trouvons souvent des annonces de location qui nous permettent un paiement par mois. Mais, même avec cette formule, il faut savoir que nous vivons l'enfer avec certains propriétaires, surtout quand le statut de la femme est stigmatisé, ce qui est le cas dans notre pays», confie-t-elle. Et d'ajouter : «Nous nous trouvons souvent dans des logements surpeuplés où nous n'avons ni intimité ni confort. Parfois, on nous impose des horaires de retour à la maison. Mais le pire, c'est que dans certains cas où les propriétaires sont des hommes, ces derniers se permettent d'entrer chez nous et de nous harceler moi et mes colocataires. Et là, je ne vous parle même pas du regard de la société qui voit mal des femmes vivre seules.» Pour l'instant, peu d'entre eux trouvent l'utilité de témoigner, car comme la plupart, «ils avouent ne pas avoir de choix que de se soumettre à ce dictat s'ils veulent réellement être hébergés». «De plus, à qui le faire ?» s'interroge Sofiane.
Smasri Comme Sofiane, beaucoup de jeunes travailleurs des deux sexes, venant de leurs patelins, se trouvent dans l'obligation de soit sous-louer, ce qui est interdit par la loi, chercher un toit chez un proche ou chez des amis, ou le mieux, louer une chambre d'hôtel, ce qui leur revient très cher. Aujourd'hui, ils avouent «que beaucoup ont abandonné leur travail par des raisons d'hébergement». «La location n'est pas un droit. Elle est soumise à l'appréciation et à la volonté du propriétaire. Il s'agit de son bien et seul, lui, fixe les conditions de sa location», explique Mme Zahoua Mammeri. Selon les locataires ou candidats à la location, ces derniers se retrouvent souvent devant trois types de personnes. «Vous tombez soit sur une agence, un particulier ou un agent intermédiaire mais qui travaille au noir (smasri)», explique Omar, originaire de la Kabylie, locataire à Alger et exerçant dans une multinationale dont le siège social est implanté dans la capitale. Par ailleurs, pour un F2 qui se loue, aujourd'hui, 50 000 da à Alger (cas donné par Ouedkniss), si le locataire passe par une agence, il doit lui remettre cette même somme et payer 10 000 da le notaire qui délivrera le contrat de location. En tout, le locataire doit débourser 660 000 Da, que même Omar, qui est pourtant cadre dans une multinationale, ne gagne pas en une année de labeur. Dans le deuxième cas, ce qui permet au locataire d'économiser le 13e mois, il est rare, aujourd'hui, de trouver des propriétaires qui proposent leurs appartements, sans passer par les agences. Selon ces dernières, les propriétaires préfèrent plutôt passer par elles, pour assurer à leurs transactions un cadre légal et éviter tout tracas avec les locataires ou l'administration. Pour le dernier cas, celui que les locataires appellent les smasri, les personnes rencontrées avouent que «non seulement le prix proposé initialement par le propriétaire est exorbitant, mais ils exigent aussi une commission de plus pour eux à chaque transaction ou renouvellement de contrat, ce qui les rend encore plus coûteux». Volonté Même si elle compatit à la situation des demandeurs de la location, Mme Mammeri dit ne pas blâmer les propriétaires, car, selon elle, ces derniers «ne disposent d'aucune protection de la loi». «Ce n'est pas la faute des propriétaires qui imposent toutes ses conditions parfois contraignantes, car il n'y a aucune loi qui les protège. Ils n'ont aucune garantie. Dans le cas des célibataires, il faut savoir qu'il n'existe aucune loi qui oblige un propriétaire de leur louer. C'est horrible ce qu'endurent ces derniers. Ils passent malheureusement leur vie à travailler pour payer le loyer», regrette-t-elle. Comme solution, Mme Mammeri propose d'«alléger les conditions de la location, de régulariser le marché et protéger le propriétaire ainsi que le locataire». «La formule du paiement par mois n'est possible que si le propriétaire a les garanties que dans le cas où le locataire cesse de payer, le contrat sera directement résilié. Mais cette loi n'existe pas, car pour faire sortir un locataire dans ce cas-là, il faut passer par la justice, ce qui demande beaucoup de temps et d'argent.» Et d'ajouter : «La location-vente initié récemment est une bonne chose, mais elle est seulement faite pour les travailleurs. Comment vont faire les étudiants qui veulent louer un appartement ? Ces derniers n'ont pas de fiche de paie.» Mme Mammeri évoque la concurrence déloyale des extras au métier par rapport aux agences, ce qui a empêché ces dernières de mieux canaliser le marché. Ce constat est partagé aussi par Abdelhakim Aouidat qui préside une organisation ayant le même nom que celle de Mme Mammeri. «Les propriétaires ne déclarent pas la totalité de leurs transactions. Ils ne paient donc pas les taxes, qui alimentent le Trésor public. C'est la raison pour laquelle ils n'appliquent pas de paiement par mois au risque de tomber sur un locataire têtu qui va leur dire qu'il ne payera que la somme déclarée lors de la conclusion de la transaction», explique-t-il. Comme solution, M. Aouidat propose de «trouver des banques qui assureront les 3 mois de caution, en cas de problème avec le locataire, de régulariser le marché qui doit passer par des professionnels, comme les agences, et d'impliquer l'Etat, qui, selon lui, manque de volonté, afin de canaliser le secteur». *Tous les prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewées