Les différentes formules d'acquisition d'un logement mises en œuvre par l'Etat ne touchent pas toutes les couches sociales. Pour fonder son petit nid, la location devient pour beaucoup d'Algériens l'ultime recours. Mais là encore et pour les petits ménages, la location demeure hors de portée. Les baux n'obéissent à aucune règle. A la simple évocation du sujet, les langues se délient. Des plaintes pleuvent de partout. Inconcevable, déplorent les locataires. Dans le milieu des professionnels de l'immobilier, tout le monde s'accorde à rappeler que le prix du loyer est libre. 80% DES TRANSACTIONS ECHAPPENT AUX PROFESSIONNELS ! La situation est bien paradoxale. Malgré le nombre de logements réalisés, les prix des loyers demeurent excessifs. Les agents immobiliers estiment que ces derniers sont décidés selon la loi de l'offre et la demande. Et ce n'est là que la première raison. La deuxième, ajoute Abdelkrim Aouidat, président de la Fédération nationale des agences immobilières (FNAI), s'explique par le fait de la mauvaise distribution des logements où les véritables demandeurs sont souvent exclus. La troisième raison a trait à l'existence de nombreux courtiers « qui parasitent cette activité et sont à l'origine d'une spéculation effrénée ». Selon lui, 80% des transactions échappent aux professionnels. Ces derniers n'en détiennent que 20% du marché immobilier. Pis ! Le président de la FNAI affirme que dans certains cas, des transactions sont confiées à pas moins de sept intermédiaires. Un expert immobilier, propriétaire d'une agence située à la rue Larbi-Ben M'hidi, indique que si pour les grosses bourses, le problème ne se pose pas, il n'en n'est pas de même pour les bourses moyennes, majoritaires dans la sollicitation d'une location. « Pour cette catégorie de personnes, l'offre se fait de plus en plus rare. Trouver un F2 n'est pas chose aisée », observe-t-il. Pourquoi ? « Outre le déficit en la matière, les locataires renouvellent souvent leurs contrats », explique-t-il. A quelques encablures de là, à la rue Hamani, à Alger-centre, un conseiller immobilier, propriétaire d'une agence, a fait savoir que le prix peut varier selon les quartiers, mais aussi selon le type de logement à louer. A titre d'exemple, il dira qu'à Kouba, « le prix d'un F2 peut atteindre facilement la fourchette de 30 000 dinars ». Pas la peine de compter sur les quartiers situés en dehors de la capitale. Il est bien vrai que les prix sont moins chers, mais « pour celui qui travaille à Alger, la différence est loin d'être importante si on rajoute les frais de déplacement », fait-il remarquer. Sur la question de l'augmentation inexorable des prix, il avance le même argument : l'offre manque. « Aucun appartement pour la location n'est disponible », assène la gérante de l'agence immobilière des avenues, sise rue Abane-Ramdane, une maison fondée en 1949. « Difficile de mettre la main sur de bonnes occasions. Tous ce qu'on peut vous proposer, ce sont des F3 avec des prix oscillant entre 35 000 et 40 000 dinars », indique-t-elle. Un autre opérateur a souligné que son agence, sise Hassiba-Ben Bouali, a enregistré une multitude de demandes sans pour autant arriver à répondre à toutes les sollicitations en raison du manque de logements à louer, notamment pour la classe moyenne. « La location de ce type de logement est rare. Au-delà d'un prix qui dépasse la barre de 25 000 dinars, l'offre fait défaut », dit-il. Les agents immobiliers se « disent inquiets » de cette situation. Le président de la FNAI soutient que les indices ne prêtent pas à l'optimisme. « Mon activité est en chute libre, car les clients se font rares », affirme un agent. En plus de la morosité du marché, il s'élève contre les intermédiaires clandestins qui accaparent le marché en catimini. « Ils sont là en quête d'un client. Ils empochent des millions. Alors que nous, avec toutes les charges fiscales et autres, nous peinons à conclure des transactions », se plaint-il. Selon lui, l'introduction des nouvelles règles exigeant que les agences immobilières soient gérées par des universitaires n'est pas pour aider la promotion de l'activité. Et pour cause, plusieurs agences ont baissé rideau pour activer dans la clandestinité. « Il faut que l'Etat, plaide Abdelkrim Aouidat, intervienne pour remettre de l'ordre ». Voilà, en somme, les explications des agents immobiliers pour justifier les prix pratiqués sur le marché de location. « ESCROQUERIE REGLEMENTEE ! » « C'est à ne rien comprendre. Les prix sont exagérés. Pour un F2, on ne négocie pas à moins de 25 000 dinars. Il faut se casser la nénette pour pouvoir se procurer un appartement à prix raisonnable », lance, non sans amertume, une personne rencontrée au niveau d'une agence à Alger. « Je me demande où est passé l'Etat dans tout cela. Il semble qu'il s'est transformé en spectateur, au lieu d'assurer son rôle de régulateur. C'est inadmissible qu'on nous brandisse la règle de l'offre et la demande pour justifier cette flambée des prix. A ma connaissance, c'est tout le pays qui est en chantier », observe-t-il, avant de poursuivre : « Avec tous les logements réalisés jusque-là, les prix devraient être moins chers. On a l'impression que les baux n'obéissent à aucune autre règle que celle de la spéculation et de la surenchère. Je n'arrive plus à comprendre le laisser-faire de l'Etat qui aurait pu intervenir pour encadrer le loyer ». S'invitant à la discussion, un quadragénaire n'a pas manqué de remarquer que l'emballement des prix des loyers n'est observable qu'au niveau de la capitale. Sinon : « A l'intérieur du pays, les prix sont abordables. Cela dépasse rarement les 10 000 DA, 15 000 maximum », précise-t-il. Omar, à peine la trentaine, abonde dans le même sens. « Je suis sérieusement pénalisé par les prix proposés par les agences immobilières. J'ai visité plusieurs appartements à Alger, ils sont à peine habitables, mais coûtent pas moins de 35 000 DA. C'est de l'escroquerie bien réglementée que les autorités cautionnent par leur silence. C'est inacceptable. L'Etat doit sévir et faire en sorte que les intérêts des citoyens ne soient pas bafoués », dénonce-t-il. Pour lui, la location demeure hors de prix, non seulement parce que l'offre fait défaut, mais aussi à cause de pratiques fourbes de certains agents immobiliers. Le président de la FNAI n'a ni infirmé ni confirmé l'hypothèse. « Il se peut que des agents immobiliers non professionnels soient tentés par le gain facile », dit-il en précisant qu'il est question de mettre en place, prochainement, un « fonds de défense » de la profession pour financer diverses actions, dont les poursuites judiciaires contre ceux qui attentent à la réputation de la profession, ou ceux qui exercent ce métier illégalement. Comme il est suggéré la mise en place d'un « compte de dépôt » pour que l'agent immobilier ne touche plus l'argent de la transaction en espèce. QUEL RÔLE POUR L'ETAT ? La question des prix à la location n'a pas laissé de marbre les députés de l'Assemblée populaire nationale (APN). Ramdane Taâzibt, du Parti des travailleurs (PT), estime que l'Etat est dans l'obligation d'aider les citoyens à louer. Pour lui, les prix pratiqués jusque-là, notamment chez les privés, sont exagérés. « L'écart reste toujours cruel entre l'offre et la demande ». Malgré la réalisation de logements, le déficit se fait toujours ressentir, d'où l'impérieuse nécessité d'intervenir en mettant en place des mécanismes à même de réduire l'écart entre l'offre et la demande », dit-il. Et d'ajouter dans ce sens que le PT fera des propositions concrètes et fiables dans le cadre de la prochaine loi de finances. Abdelaziz Mansour, député du Front du changement (FC), indique, pour sa part, que l'Etat doit libérer le secteur en accordant plus de privilèges aux promoteurs privés. Selon lui, l'Algérie accuse un déficit de 3 millions de logements. « Il faut dire que l'Etat manque de volonté pour prendre en charge, de la manière la plus sérieuse, ce problème qui ne devrait point subsister chez nous. Des pays, moins lotis que le nôtre, ne souffrent pas de ce genre de situation, alors qu'en Algérie, avec tous les moyens financiers et formules existants, on continue à payer quatre fois plus cher le loyer. Il faut que cela cesse », clame-t-il. Pour lui, le rythme suivi jusque-là en matière de construction de logements ne pourra pas combler le déficit. Le député du FC a fait savoir que durant le prochain mandat, son parti plaidera pour plus d'implication en matière d'investissement des privés dans le secteur de l'habitat, afin de ramener l'offre à la hauteur de la demande. Même le président de la FNAI soutient que l'Etat doit intervenir, à travers la mise en place, entre autres, d'une caisse nationale d'aide à la location, mais aussi à travers un vaste programme de construction où le privé sera grandement associé. Mais d'ici là, le ministère de l'Habitat, qui n'a pas répondu à notre sollicitation, continue « d'inonder le marché » en termes de logements réalisés et ceux en chantier... n Amokrane Hamiche