On croyait avoir résolu le problème comme la plupart des pays de la planète. En effet, jusqu'au début des années 2000, l'Algérie exhibait un schéma de transition démographique classique. L'analyse des données comparatives permettait de conclure qu'on suivait une trajectoire tout à fait normale, très comparable à celle des pays ayant le même niveau de développement. En effet, après une démographie galopante durant les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, nous commencions à voir baisser la pression, comme la plupart des autres pays. Les années quatre-vingt-dix furent une décennie de confirmation que notre démographie connaissait les développements anticipés. Après une croissance de plus de 3% durant les premières décennies, le taux avait atteint 1,5% en 1998 et continuait son trend baissier. Tout le monde trouvait cette baisse normale, prévisible et salutaire. En effet, c'est ce schéma qu'on retrouve chez nos pays voisins avec une meilleure maîtrise par la Tunisie. C'est aussi la trajectoire que suit la vaste majorité des pays. Mais une énorme surprise attendait nos statisticiens et nos démographes. Contrairement au reste du monde, dont le taux de croissance démographique continuait à chuter, le nôtre commençait à grimper après les premières années du XXIe siècle. En 2016, le taux de croissance démographique avoisinait les 2,2%. Nous avions eu 620 000 naissances en 1998 et on a dépassé un million en 2015 et 2016 ; et probablement au-delà. Notre démographie repart à la hausse, contrairement aux autres pays. Beaucoup de démographes dans le monde ont labellisé ce phénomène : la singularité algérienne. On parle de singularité lorsque quelque chose de bizarre se produit et lorsque les explications données n'explicitent pas le phénomène d'une manière satisfaisante, comme l'occurrence des trous noirs en astrophysique. Faut-il s'inquiéter de la croissance démographique ? En premier lieu, beaucoup de gens se sont livrés à des explications qui, probablement, éclairent une facette du problème. Les années quatre-vingt-dix correspondent à la décennie noire et beaucoup de personnes auraient retardé leur âge de procréer, n'ayant pas confiance en l'avenir. D'autres avancent que le développement des infrastructures socioéconomiques (logements surtout) ont connu un net ralentissement, ce qui a impacté sur le nombre de mariages consentis. Les statistiques des mariages confortent cette hypothèse. Au milieu des années quatre-vingt-dix, on enregistrait à peine 150 000 mariages par an, actuellement ce chiffre dépasse les 350 000. Par ailleurs, la situation matérielle des Algériens se détériorait sous une inflation importante et le peu d'investissements productifs consentis. Plusieurs facteurs économiques, sociologiques et psychologiques contribuèrent à ce ralentissement important. Nos démographes et nos sociologues doivent approfondir les investigations afin que l'on comprenne mieux ce qui est arrivé durant cette période. Nous avons beaucoup d'hypothèses, de pistes de recherches mais très peu de validations des idées avancées par les analystes. On commence à craindre les conséquences néfastes de ce boom démographique. La pression sur les ressources ira crescendo et les tensions sociales et économiques iront en s'amplifiant, craignent beaucoup de nos citoyens. Qu'en est-il vraiment ? Certes, la démographie exerce de nombreuses contraintes économiques et sociales. Par exemple, à l'avenir si l'économie continue de croître à un rythme de 3% par an autant dire que le niveau de vie va stagner et aucune amélioration sensible du bien-être de la population ne peut être envisagée. Il y aura une tension énorme sur les équipements socioéducatifs. Par exemple, la demande de logements va excéder les 600 000 unités (mariages plus obsolescence des équipements disponibles), alors qu'on peut péniblement réaliser 200 000 unités par an. Il y a donc de sérieux défis à relever dans le futur. Les mêmes calculs vont montrer qu'on aura des tensions sur pratiquement tous les aspects de la vie moderne : sièges transport, télécommunications, soins, éducation, culture et autres. Les prévisions démographiques sont beaucoup plus fiables que celles qui concernent l'activité économique. On peut donc mesurer les besoins induits avec beaucoup plus de précision et de confiance. Le Phénomène démographique est neutre Beaucoup d'écrits focalisent sur les problèmes qui peuvent être induits par une forte démographie. Et ils ont raison. Il faut anticiper les conséquences et agir de sorte à rendre un événement une opportunité plutôt qu'un problème. Mais les deux aspects existent en même temps dans toute activité. Beaucoup de nos économistes comprennent peu qu'une unité de production, par exemple, peut accroître la richesse d'un pays ou détruire des ressources et donc appauvrir un pays. C'est ce qui explique qu'on a toujours salué les crédits de complaisance ou les assainissements à répétition, alors que ces opérations nuisent fortement à l'économie nationale. La même chose est à clarifier au niveau des développements démographiques. Pour un pays comme le nôtre, une croissance démographique forte est un développement neutre. Cela dépend de ce que l'on fait avec. Nous pouvons améliorer notre système de formation et affiner une stratégie d'émergence où les futures générations vont créer beaucoup plus de richesses qu'on est capables d'en faire aujourd'hui. A ce moment-là, les futurs jeunes vont développer de nouveaux espaces et de nouvelles activités avec un savoir-faire et une organisation qui propulsera le pays vers l'émergence. Il est vrai qu'actuellement nous ne disposons pas de politiques économiques capables de produire l'émergence et le développement. Dans les conditions actuelles, un tel développement démographique serait très problématique pour notre pays. L'économie sera mise sous tension et de nombreux problèmes vont émerger. Dès lors que l'on continuera à fonctionner de la même manière, la démographie va causer d'énormes problèmes au pays. La surpopulation au Nord, le chômage, les problèmes socioéconomiques (logement, éducation, santé) iront en s'aggravant. Mais cela n'est pas une fatalité. Ces maux se produiront uniquement si on ne transforme pas nos entreprises et nos administrations en entités productrices de richesses, en dehors des hydrocarbures. On n'est pas organisé pour le faire maintenant. L'économie algérienne est structurée pour produire de faibles performances. Les ressources humaines insuffisamment qualifiées et des institutions sous-gérées ne peuvent faire d'une croissance démographique un levier d'émergence et de création de richesses. Toute la problématique est là. La démographie, dans un pays à fort potentiel comme l'Algérie, est un développement neutre. Il peut produire le bien- être, l'émergence et le développement comme il peut induire la détérioration du niveau de vie de la population. Tout dépend de l'efficacité avec laquelle est gérée l'économie nationale.