Les phénomènes démographiques constituent les piliers de toute démarche d'analyse et de prospective économique. D'un point de vue des ressources et des besoins, l'élément humain demeure le premier paramètre à considérer dans l'effort de planification économique. Mais la démographie doit être complémentée par de l'analyse qualitative, car elle demeure muette sur les niveaux de qualifications réelles et le degré de compétitivité des ressources humaines. Il faut également mettre en rapport la disponibilité des ressources et la croissance démographique. C'est en ce sens qu'il pourrait y avoir de fortes inquiétudes pour notre pays. L'accélération démographique est en train de se produire au moment où le secteur le plus productif de notre pays (énergie) est en train de connaître beaucoup de soubresauts. Durant les années soixante-dix, nous avions l'une des croissances démographiques les plus fortes au monde, 3,2%. Ceci se traduisait par une croissance moyenne de la population d'environ 450 000 personnes par an. Mais nous avions un taux d'investissement qui également était le plus élevé au monde (45% ; ce qui produisit une croissance de 6 à 7% par an. Certes, la croissance était dérisoire par rapport aux ressources injectées : la Corée du Sud réalisait 7,5% de croissance avec seulement 18% de taux d'investissement. Néanmoins, la croissance était de loin supérieure à une démographie même très forte. Il n'y a pas que l'emploi qui est concerné : les structures de soins, l'habitat, l'éducation, les transports, la culture et le reste sont également interpellés pour être au rendez-vous des défis démographiques. Position du problème Après une période d'accalmie durant les années quatre-vingt-dix où le taux de croissance démographique a chuté à moins de 1,6%, revoilà qu'il commence à grimper sur une hausse vertigineuse à plus de 2,11%. Il y a eu plus d'un million de naissances l'année passée. Nous commençons à avoir une pyramide de la population similaire à celle des pays développés, mais une poussée démographique qui se rapproche des pays sous-développés. Avec l'allongement de la durée de vie, nous aurons une pyramide où le pourcentage des personnes âgées s'accroît ; mais nous sommes en train d'avoir de plus en plus de naissances. Ce qui implique que dans vingt ans, on aura une population active importante capable de soutenir le nombre de retraités. Mais durant les vingt prochaines années, le problème sera aigu. La transition démographique s'engage au moment où le pays connaît de sévères problèmes de transition énergétique. Le cumul des deux problèmes donnera forcément du fil à retordre aux stratèges économiques. Prenons seulement deux problèmes pour illustrer la problématique démographique : l'emploi et le logement. La situation sera la même pour tous les autres secteurs. Une évolution intéressante est en train de se manifester. Le taux de participation féminine est en train d'augmenter dans la configuration de l'emploi. De 15% de la population employée, nous en sommes à presque 20%. Ce qui signifie que dans quelques années le nombre de personnes primo demandeurs d'emploi avoisineront les 500 000 personnes. Alors qu'avec l'amenuisement des ressources, nous ne pouvons pas créer plus de 200 000 emplois productifs. Ces projections ne sont ni optimistes ni pessimistes, mais plutôt réalistes. On risque d'avoir 300 000 nouveaux chômeurs chaque année. D'où la nécessité de libérer à fond l'investissement privé, d'accélérer la diversification économique et améliorer sensiblement tous les paramètres du doing business. Ce dernier s'est détérioré alors que nous pensions avoir fait des progrès dans cette direction. Les déficits sectoriels Les déficits sectoriels iront grandissant. L'année passée, nous avons eu 386 000 nouveaux mariages en Algérie, donc des besoins en logements d'au moins 350 000 unités ; si on rajoutait les 200 000 qui deviennent inhabitables dans le stock ancien et le déficit, on aboutirait fatalement à un minimum de 600 000 logements par an à construire sur 20 ans pour régler le problème. Nos experts qui font des estimations sur la base d'un taux d'occupation moyen de 5 personnes se trompent lourdement de méthode. Le déficit ira grandissant malgré la bonne volonté et la mobilisation et le dévouement des cadres du secteur. La réalité statistique finira par s'imposer. Ce phénomène de la marche à deux vitesses est bien connu. Il se résume en une phrase : dans notre situation, l'économie prend les escaliers et la démographie prend l'ascenseur. Il n'y a pas que l'emploi et le logement qui connaîtront ce phénomène : nous pouvons penser aux lits dans les hôpitaux, aux places pédagogiques, aux sièges de transport et le reste. Le problème serait d'atteindre une croissance durable à fort contenu d'emplois. 7% de taux de croissance hors hydrocarbures sur une longue période permettrait de clore le gap. Mais il est très difficile d'atteindre ce taux de croissance dans le contexte actuel. Si on mobilisait trop de ressources rapidement, on commettrait une grossière erreur d'appréciation. Les déficits sectoriels ont beaucoup de chance de se creuser à l'avenir. Pour éviter une telle détérioration, il faudrait faire ce qu'aucun gouvernement n'a réussi depuis l'indépendance : rendre nos entreprises et nos institutions efficaces avant de leur octroyer beaucoup de ressources pour régler ces problèmes. Toute la problématique est là. Nous voulons nous développer avec un management sous-développé : ceci est impossible. La démographie n'est pas une cause, mais un facteur aggravant dès lors que les politiques économiques ne sont pas au point. Pour le moment, on assiste à un triptyque qui fera beaucoup de mal à notre pays ; à savoir un recul de la productivité, une poussée démographique conséquente, et un amenuisement des recettes pétrolières. La productivité est le levier sur lequel nous pouvons agir avec plus de résultats. Mais il faut révolutionner nos politiques économiques et nos pratiques managériales. Au fait, où est le plan stratégique «Algérie 2035» réclamé par tous les économistes et qui devrait produire toutes les solutions à ces problèmes ? (*) PH.D en sciences de gestio