Ahmed Rezzak maintient son intérêt pour un théâtre de rupture, celui d'une radicale opposition aux «normes» d'un bienséant aplaventrisme et au politiquement correct à l'algérienne. Kechrouda, satyre politique dont on peut adhérer ou pas aux propos, en rajoute une couche en versant de plain-pied dans l'aristophanesque. Car si dans Torchaka, son précédent spectacle, il s'est tenu à la fable, ce qui lui a valu le succès que l'on sait, dans Kechrouda, il enfourche hardiment le discours direct, celui du premier degré qui a détourné le public du théâtre dans notre pays. Pis encore, car bien qu'il le reprenne à rebrousse-poil, sans aucun ménagement, l'accusant de complicité dans les malheurs actuels du pays, il réussit le tour de force d'être gratifié de ses vivats. Assurément, parce que connaissant parfaitement ses classiques du théâtre depuis ses origines, il revient à Aristophane et au traitement qu'il a réservé par son théâtre à l'époque de la décadence que vivait Athènes. Il enfourche la «recette» de ce qu'on a appelé la Comédie ancienne. La gageure, c'était de réussir à la faire passer aujourd'hui. Sur ce plan, Rezzak s'est révélé plein de ressources, usant du farcesque, de la fantaisie et du grotesque, au point qu'à certains moments, ses comédiens, grisés par la réaction positive du public, se sont abandonnés à l'ivresse d'un détestable cabotinage. «Les germes d'une libératrice révolte» A la fin de Kechrouda, celui qui a suivi sur la longue durée le parcours artistique de Rezzak ne peut pas ne pas se demander quelle direction va prendre à l'avenir son inspiration tant sa débauche créative s'est exprimée. Va-t-il marquer une pause ? Toujours est-il qu'avec Kechrouda, il a fait un clin d'œil à sa pièce Essoussa montée en 1998 au théâtre de Annaba par le regretté Kamal Kerbouz et qui a obtenu le premier prix du FNTP lorsqu'il était localisé à Oran. Essoussa, du nom d'un personnage de la pièce qu'on retrouve dans Kechrouda, représente une famille vivant les temps durs d'un après-apocalypse (on y était avec le terrorisme et la crise économique). Ce n'est pas la même pièce évidemment, mais la même idée, sauf que dans le cas de Kechrouda, s'il y a matière également à désespérance, Rezzak a insufflé les germes d'une libératrice révolte… contre soi d'abord. Alors de Essoussa à Kechrouda, une boucle est… bouclée ?