Que veut dire ce mariage contre nature entre l'état et les oligarques ? Les mantras de la rébellion politique néolibérale jouent leur ultime acte sur la scène algérienne, malgré l'effondrement tous azimuts de l'hégémonie néolibérale dans le monde. La dernière réunion de la tripartite était une opportunité rêvée, sans équivalent auparavant pour les oligarques prédateurs qui n'ont pas hésité à profiter illégalement de cette atmosphère politique de fin de règne pour s'arracher les derniers lambeaux et restes du secteur public. De droit, national et international, nous traversons une douloureuse période inconstitutionnelle où toutes transactions de cessions d'édifices ou d'intérêts d'Etat doivent être normalement et pratiquement gelés ou à l'arrêt. Ces vils procédés et agissements de dépossession de nos populations, tirés par les cheveux et engagés à huit clos dans la précipitation et l'urgence, relèvent d'actes de malfaiteurs et de gangsters. Personne n'a le droit de toucher ni à l'Etat, ni aux grands marchés de la construction du port de Cherchell, ni aux banques, ni à que ce soit d'autre. Subtiliser des sigles incongrus et antinomique, tel Public/Privé, relève de la pure escroquerie intellectuelle. Des subterfuges et faux semblants, des trolls créés à destination des médias et de nos masses populaires, sachant que ces dernières resteront impassibles, sans réaction suite à leur totale défection de la politique. Toute cession ou privatisation doivent être soumises à un référendum national. Tous types d'ordonnances doivent être bannis à jamais dans les circonstances présentes, et ouvrir le droit des dirigeants actuels à la retraite vu qu'ils sont arrivés largement au-delà de leurs fins de parcours ; selon le principe de Peter, chaque dirigeant tend à s'élever à son niveau d'incompétence. Une sorte de survie clinique. Libéralisme et fascisme ne sont pas deux choses qui n'auraient strictement rien à voir l'une avec l'autre : libéralisme et fascisme constituent les deux versants profondément interconnectés du système mondial capitaliste. Loin d'être l'antidote au fascisme, le néolibéralisme est ainsi son complice et partenaire criminel. Nous ne comprenons pas pourquoi agiter en plus grandes amplitudes des effets d'annonce qui ne déboucheront sur rien, au-delà de l'incapacité congénitale du mercantilisme rentier algérien qui se trouve engagé de tu et à toi avec ce pouvoir, ne sera jamais une ressource pour l'Etat algérien. Les oligarques, de façon consubstantielle, liée à leur nature même, ne payeront jamais l'impôt. Pourquoi ? Pour 4 raisons fondamentales : 1- C'est l'Etat algérien qui lève l'impôt, principale ressource de l'Etat, grâce à la fiscalité pétrolière, c'est l'Etat fiscal. 2- Ce «mariage» contre nature entre l'Etat et les affairistes mercantilistes oligarques, au profit de la coalition dominante rentière au pouvoir, va augurer la défaite et la disparition de cet Etat fiscal, en le transformant en Etat débiteur, c'est-à-dire un Etat siphonné par les oligarques jusque dans ses ressources pétrolières et gazières ; une fois surendetté faute de pouvoir lever l'impôt, il se retrouvera un jour sous la coupe des institutions bancaires et financières. 3- Cet Etat débiteur va déboucher inéluctablement au final sur un Etat de la consolidation, c'est-à-dire un Etat qui se retrouve dès lors dans l'obligation de s'astreindre à une cure d'austérité le vidant de sa substance et le privant de tout pouvoir vis-à-vis de la population, ce qui sonnera le glas à la débâcle à laquelle nous sommes en train d'assister maintenant. 4- La voie est ainsi dégagée et libre pour la prise du pouvoir par les oligarques (voir le ridicule de la tripartite du 23/12/2017 à Alger, où l'Etat et les syndicats capitulent honteusement, ont perdu de leur puissance au profit du marché et d'une remarchandisation (hypothétique), ont renoncé bien volontiers à cette puissance au profit des oligarques. Sans parler du fiasco total de la causerie faite le même jour au Sheraton d'Oran le 23/12/2017, où les conflictualités surgies séance tenante fusaient et partaient de tous les côtés, le causeur Savonarole n'arrivait pas à maîtriser ni l'ordre de son discours ni à se tenir droit dans ses bottes pour finir en dernier par se tambouriner le torse en citant à demi-mot tel un automatisme, l'ordre et la férule de ses maîtres Yankees, «Drill baby drill !» (Fore, chéri, fore !) Ce bradage du secteur public au bénéfice des gangsters des affaires est imputable essentiellement à la défaite globale du syndicalisme algérien et à la trahison de nos dirigeants syndicaux après le lâche assassinat du patriote et militant syndicaliste Benhamouda. Au commencement des années 1990, cette défaite a entraîné une diminution dramatique du pouvoir de négociation professionnel des travailleurs, mais elle est surtout venue couronner la destruction d'un vaste ensemble d'espaces de socialisation qui étaient directement imbriqués dans les processus assurant la substance matérielle des classes populaires. Ce régime pleure-t-il la défaite du néolibéralisme ? Il est loin de saisir cette opportunité historique pour construire un nouveau peuple antagonique aux oligarques et aux privilégiés, selon le couple schmittien : ami/ ennemi, c'est-à-dire défavorisés/privilégiés+ oligarques. Il faut s'ôter toute illusion, notre peuple doit se préparer à affronter ces nouveaux motifs d'expressions en cours de gestation profonde que sont ces nouvelles situations d'oppression du capitalisme et néolibéralisme sauvage en Algérie. On nous a présenté, de façon prononcée, depuis la mise en place de ce régime, où beaucoup à l'époque en Algérie — ceux qui plagiaient, péroraient et glosaient sur les recommandations de l'ONUDI durant leur passage au ministère du Budget ou ceux dont les écoles étaient en partie financées par les Français, les Canadiens et les Américains — avaient tendance à envisager le processus de globalisation comme gage d'ouverture et de pacification universelle. Cet enthousiasme relève du passé. Nous assistons, au lieu de cela, à une insurrection d'ampleur mondiale contre l'ordre libéral post-1989. Ce néolibéralisme s'est avéré comme une alternative autoritaire à la vraie démocratie et à la représentation. Ce néolibéralisme s'est montré habile pour décérébrer la jeunesse, comme le montrent des récentes enquêtes en Allemagne, que je vous résume : «Les générations plus jeunes s'avèrent moins conscientes de l'importance de la démocratie, moins attachées à elle… et peu engagées politiquement, moins encore que les précédentes.» Le récit totalitaire de la mondialisation qui nous fut imposé Durant cette période, les tenants du néolibéralisme livrèrent bataille pour imposer à la terre entière un nouveau grand récit (je rappelle, part définition (Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, cours au collège de France, 1978-1979, Gallimard Seuil), un récit a pour effet d'aliéner les masses, a une visée de signification, de transmettre des émotions, de donner une orientation et d'inspirer confiance). Seule la logique du marché prévalait. Plus de classes antagoniques, plus de politique, plus d'alternative. Les salaires s'effondrèrent. La solidarité en fut affectée. Le seul qui peut transformer le monde c'est l'Occident. Nous devrons imiter au mieux l'Occident. Imiter ses institutions et s'agenouiller devant ses grandes orientations politiques ! Puisant chez Hegel, Fukuyama démasqué par Axel Honneth (Un monde de déchirement, La Découverte, 2013), nous annonça la fin de l'Histoire et l'Histoire avait donné un vainqueur : la démocratie libérale occidentale. Tout ce récit néolibéral nous fut imposé et chanté à longueur d'année : la croissance du PIB est l'indice irremplaçable de la puissance et de la prospérité nationales ; la liberté individuelle est identifiée au choix du consommateur ; il est attendu du marché qu'il fournisse des produits de qualité, et du gouvernement qu'il se contente de garantir les conditions d'une juste concurrence. Les critères de l'échec et de la réussite tels qu'ils sont définis par le marché se sont même imposés dans la vie académique et dans la vie culturelle ; la gouvernance par les nombres s'est révélée comme un vulgaire contrat d'allégeance déguisé des défavorisés envers les privilégiés, des pauvres envers les puissants (Alain Supiot, professeur au collège de France, La gouvernance par les nombres, Paris, Fayard, collection Poids et mesures du monde, 2015, 512 p.) Toute l'intelligentsia ne cessait de nous consoler que le capitalisme et le néolibéralisme vont parvenir à résoudre l'énigme moderne de l'injustice et de l'inégalité. La vision utopique néolibérale postulait qu'une économie globale fondée sur le libre échange, la compétition et l'entrepreneuriat individuel viendrait atténuer les différences entre le riche et le pauvre, entre le Nord et le Sud ; tous les obstacles irrationnels à la diffusion de la «modernité» libérale seraient éradiqués et s'ouvrira une période infinie de prospérité et de paix perpétuelle chère à Emmanuel Kant. Un conte de fées raconté par les braves femmes qui ont bercé notre enfance, par hajitaq mahajitaq, dans un monde sans ressort. Ce consensus post-guerre froide s'est cassé la figure et est aujourd'hui en train de se défaire et se fissurer devant nos yeux, s'amoncelant en une montagne de ruines depuis la crise des Subprimes en 2008. Sur le plan économique, le néolibéralisme venait confirmer l'idée selon laquelle l'essence du capitalisme résidait dans le marché, la survie du plus apte et l'Etat le moins puissant possible. La loi de la jungle, le plus grand mange le plus petit. Sur le plan économique, l'idée phare de la pensée libérale démocratique veut que nous ne soyons tous que des citoyens, et non des employés ou des patrons, et par conséquent nos droits soient considérés comme des droits individuels et non pas collectifs. Avec l'économie néolibérale, un nouveau type de duperie politique s'est imposé : le mensonge de l'expert. Tout cela commence par la courbe de Laffer, au moyen de laquelle il fut scientifiquement démontré (carence dans la modélisation, «l'oubli» de plusieurs variables implicites !) que les baisses d'impôts conduisent à des entrées fiscales plus importantes ! Le rapport Cecchini pour l'Union européenne qui prévoyait une amélioration du niveau de 5% du PIB, la baisse des produits de consommation de 6%, des millions d'emplois nouveaux. Des absurdités et des illusions sans lendemain. Cette démocratie libérale en Europe, après l'élection médiatique de Macron, nous a permis de constater le déclin du pouvoir des citoyens de changer, par le vote, non pas seulement de gouvernement, mais aussi d'orientation politique. C'est la banque Rothschild et le vaste empire médiatique qui lui est affiliée, ont imposé leur candidat aux dépens des libertés individuelles.
Karl Polanyi Karl Polanyi va fouiller dans tous les méandres et toutes les entrailles du marché libéral depuis la naissance du capitalisme, allant de la période du temps des enclosures des Tudor et des Stuart, jusqu'au sinistre intermède du fascisme et du nazisme des années 1930 en passant par la longue période du Siècle de paix, de la Sainte Alliance 1814-1914 inaugurée par Metternich, ministre des Affaires étrangères de l'Empire d'Autriche. Ce gigantesque travail de toute une vie aboutira à l'émergence des instruments et des outils conceptuels indispensables pour penser et agir contre le néolibéralisme. Le concept fondamental de Polanyi «double et contre-mouvements émergents en quête de protection sociale» nous sera d'un précieux secours La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Edit Gallimard 1983. Dans La Grande Transformation (1944), un ouvrage indéboulonnable, absolument fondamental et indépassable, Polanyi se penche avant tout sur la première vague du libéralisme, celle qui se produisit au XIXe siècle, mais ses analyses restent précieuses et savoureuses pour étudier la transformation néolibérale qui s'est enclenchée dans les dernières décennies du XXe siècle en raison de nombreux parallélismes pouvant se constater entre les deux processus. Polanyi mettait en garde son lecteur contre l'expansion des marchés et leur manière de la terre, du travail et de la monnaie des «marchandises fictives» — une expansion qui, si elle était laissée sans contrôle, finirait selon lui par détruire la société. Dans les années 1940, Karl Polanyi n'a pas tant remis en question la légitimité ou la justesse du libéralisme que sa possibilité même. «L'idéal du marché autorégulé est un projet utopique et autodestructeur, matériellement incompatible avec la vie sociale humaine, qu'elles que soient les formes qu'elle adopte. Le libre marché n'a jamais existé et ne peut exister.» Les processus de mercantilisation ont toujours eu besoin d'interventions agressives de l'Etat propres à pallier leurs défauts systémiques et briser la réticence des gens à se laisser entraîner par l'ouragan économique. Pour comprendre le néolibéralisme ainsi que la crise qu'il traverse et provoque, il faut les envisager dans un cadre bien précis : celui que Karl Polanyi, le grand spécialiste d'économie politique, a décrit comme le double mouvement de l'évolution du capitalisme : «Dans un premier temps, la société fait l'expérience d'une forte poussée de la marchandisation, suivie de l'apparition de contre mouvement en quête de protection sociale». Le choix historique qui nous est réellement proposé, nous dit Polanyi, n'oppose pas le libre marché à l'intervention étatique. Nous ne pouvons que choisir entre les différents types de médiations politiques, de «contre-mouvements» qui surgiront nécessairement afin de limiter les effets cancérigènes du capitalisme. La question est de savoir si ces régulations collectives viseront à être détournées pour sécuriser les privilèges des élites, et dans ce cas elles seront réactionnaires, ou bien si elles offriront une opportunité de diffuser la démocratie et la culture. Dans ses analyses, Polanyi focalisait son attention sur un certain nombre de formes spécifiques que les contre-mouvements qu'il étudiait étaient censés adopter. Ces contre-mouvements, il les envisageait comme des mouvements de réaction, c'est-à-dire des mouvements défensifs, regardant en arrière. En effet, ces contre-mouvements apparaissent le plus souvent afin de résister à une idéologie prônant la domination du marché sur tous les autres aspects de la vie sociale. Deux types de dynamiques peuvent rentrer en rivalité, la dynamique gramscienne dite des «révolutions passives» (des pas prudents et progressifs à l'intérieur des institutions), soit des interventions autoritaires proposant des changements institutionnels agressifs, dont une régulation économique, avec pour objectif de préserver le système de stratification hérité. De l'autre côté, ne négligeant pas tout un éventail de courants de groupes sociaux visant à plus de démocratie, tentant de mettre en branle des processus de dé-mercantilisation propres à réduire l'inégalité et à avancer dans la voie de l'émancipation. En gros, l'Histoire nous apprend que les contre-mouvements qui aspirent à réinstaurer des droits traditionnellement garantis peuvent générer des récits progressistes et offrir des visions plus inclusives et participatives, mais qu'ils peuvent (dans la majorité des cas) aussi à encourager et faire appel à des modèles régressifs et à des logiques plébiscitaires prônant l'exclusion (souvenez-vous le discours raciste de l'actuel Premier ministre sur nos populations africaines), la plupart de ces discours relèvent du nationalisme identitaire (une forme de protofascisme), de la xénophobie, de l'intégrisme religieux (Frères musulmans et wahhabites) et du populisme réactionnaire dont beaucoup de nos partis organiques ou oligarchiques s'en prévalent. En résumé, ces contre-forces qui apparaissent face aux vagues néolibérales, parfaitement décrites par Polanyi, se développent dans deux directions opposées : les forces progressistes cherchant à étendre les droits des citoyens dans le cadre d'une vision inclusive et internationaliste (conscience que le néolibéralisme est mondial, donc il faut lui opposer une résistance mondiale), tandis que d'autres se sont avérées régressives, aspirant à un ordre révolu populiste et fasciste, encourageant et faisant appel à des modèles régressifs et à des logiques plébiscitaires (ethniques, vernaculaires, islamistes, etc.) prônant l'exclusion dans le cadre duquel ne serait protégé qu'un nombre restreint de natifs nationaux ou coreligionnaires.
Les contre-mouvements progressistes contre le néolibéralisme Une chose est sûre, face à l'adversité, à la pauvreté, au dénuement et à la misère dans les pires moments du colonialisme, l'Algérien a été toujours digne, altier et de grandeur d'âme. Notre peuple avec toutes ses hétérogénéités exprime sa ferme opposition à toutes les mesures d'austérité, toute division, met au défi l'individualisation tout autant que la peur de l'individualisation et s'oppose à toute politique d'exclusion, appelant au contraire à une citoyenneté inclusive. Nos élites progressistes sont conscientes qu'il faut une vision cosmopolitique à la reconnaissance de la nécessité d'apporter des solutions globales à des problèmes globaux. Notre peuple exige la restauration des droits sociaux ; dans toutes ses hétérogénéités, il a su développer dans ses rangs, de façon naturelle, une forte vision morale, une aspiration à contrecarrer ce qu'il considère être l'amoralité du néolibéralisme, ainsi que ses stratégies visant à diffuser et imposer la marchandisation des services publics. Nos groupes sociaux rejettent d'un revers de la main les cyniques conceptions néolibérales, ces idées selon lesquelles les individus sont personnellement responsables de leur propre survie et les mobiles égoïstes fondamentalement bénéfiques. Appeler à la solidarité et au retour aux communs de nos groupes sociaux a été leur manière de s'ériger contre les politiques néolibérales, perçues par eux comme injustes et inefficaces. L'incompétence de ce régime à surmonter cette baisse des recettes fiscales s'est accompagnée d'une crise de légitimité politique. Tous les groupes sociaux algériens sans exclusive ont cessé de se considérer comme représentés au sein des institutions et ont de plus envisagé celles-ci suite à la dernière tripartite comme tombées aux mains des délinquants dyslexiques du «big business». Lors de la dernière tripartite du 23/12/2017, le peuple a constaté en grandeur nature la collusion entre pouvoir économique et pouvoir politique qui a gagné en force. Aujourd'hui, le peuple critique activement le pouvoir et l'impunité des élites (publiques ou privées) et les corrompus compradores au service de l'impérialisme, soulignant dans le même temps (en établissant un lien entre eux) le déclin de la souveraineté gouvernementale nationale. Tout le peuple algérien dans toutes ses hétérogénéités tient en outre les gouvernements respectifs et leurs classes politiques organiques ou oligarchiques respectives pour responsables en bonne partie de ce qu'il considère être une véritable confiscation de la démocratie. Seule la véritable souveraineté nationale constitue un rempart contre la dépossession des droits des citoyens du fait des élites publiques ou privées (ces élites n'ayant aucun compte à rendre à quiconque et ignorent toute procédure démocratique). Dorénavant, les droits politiques et sociaux, il faut les envisager comme des droits de l'homme, tout en luttant avec véhémence contre l'accaparement, par une petite oligarchie, du pouvoir économique et politique. Ces caractères progressistes dont je viens de faire la liste ci-dessus sont biens réels et vivaces, même s'ils ne frappent pas par leurs évidences. Aux multiples discussions à la base, j'étais étonné et stupéfait comment des étudiants diplômés sans emploi caressaient l'idée d'une démocratie directe organisée par les citoyens eux-mêmes. Le témoin est passé. Sauf que les mouvements de gauche progressistes ne doivent pas crier victoire de façons prématurée face au succès des courants populistes et réactionnaires en Algérie.
Les contre-mouvements populistes et réactionnaires contre le néolibéralisme Je vais être court et très synthétique et je vais donner la parole à Ernesto Laclau qui va bien résumer la situation. Tant que les mouvements populistes et réactionnaires n'ont pas un leader charismatique, ils sont à notre portée. «Le populisme réactionnaire de droite suppose que la subjectivité populaire soit accaparée par des personnalités en situation de contrôler les formes, canaux et rythmes organisationnels de la mobilisation sociale» (Ernesto Laclau, La raison populiste, Paris, Editions du Seuil, [traduit de l'anglais, On populist reason, 2055]. Laclau ajoute : «Le populisme n'implique en rien que ses partisans s'investissent en masse dans l'action collective. Il ne demande rien de plus que de glisser un bulletin dans l'urne, que ce soit lors des élections nationales ou lors des référendums. Bien qu'il s'agisse dans les deux cas de contester les élites au pouvoir, les mouvements sociaux, eux, mobilisent une telle contestation par la base et de la base, tandis que le populisme mobilise par le haut, d'en haut, les pans de l'électorat qui lui sont acquis, et qui se voient dès lors placés derrière le leadership d'une sorte d'élite «alternative», acclamer une figure d'autorité, ou de ratifier les initiatives politiques des leaders populistes… Il n'y a pas des formes autonomes d'actions collectives à l'initiative de la base. En effet, les appels au plébiscite s'appuient souvent sur une relation directe, non médiatisée, entre une figure populiste et les pans de l'électorat, grandement fragmentés qui lui sont acquis.»
Norbert Elias Les théories les plus importantes sur le processus de civilisation nous ont été offertes sans conteste par Norbert Elias dans son œuvre monumentale La société de cour, traduit de l'allemand, Paris Champs Flammarion, 2008 ; La Civilisation des mœurs, traduit de l'allemand, Paris Pocket 2003 ; La Dynamique de l'Occident, traduit de l'allemand, Paris Pocket, 2003.). La civilisation moderne aux yeux d'Elias (après s'être constitué ces valeurs cardinales de la société post-capitaliste que sont : le sens du détail, l'amour de la chose bien faite et l'acharnement au travail) est le résultat d'une mutation d'ensemble des structures sociales et structures de la personnalité. Les luttes de classes ont très peu intéressé Elias, dans la mesure où il s'est surtout consacré à l'étude des changements, sur le long terme, des structures de la personnalité. L'individu civilisé (anti-modernité) renonce à satisfaire ses désirs, par le contrôle de soi et de ses affects, il adopte dès lors un tout autre rapport au temps, envisageant désormais sa trajectoire existentielle sur le long terme. Cet individu a une vision optimiste de l'avenir et croit à la mobilité ascendante sociale. La théorie de la civilisation de Norbert Elias partage ses prémisses avec les théoriciens critiques, La dialectique de la raison, Gallimard 1983 de Max Horkheimer et Theodor W. Adorno qui discernent une tendance à la domination sociale totale (plus approfondie encore, Société disciplinaire et de contrôle, Surveiller et Punir, 1975 Gallimard par Michel Foucault). Elias ne considère le processus de civilisation ni comme un processus ininterrompu ni comme un processus révolutionnaire forcément synonyme de progrès, selon lui «la civilisation n'est jamais achevée, elle est toujours menacée» et «l'humanité pouvait tout à fait sombrer dans une nouvelle forme de barbarie». Comme l'écrivit Freud, «les impulsions primitives, sauvages et mauvaises de l'humanité n'ont disparu chez aucun individu, mais elles continuent au contraire à exister, quoique refoulées.» (Freud œuvres complètes, Vol. XIII, 1914-1915, Paris PUF, 1988, p.125). Elias nous rappelle que dans la tradition des Lumières, nous avons une conception de la motivation basée sur la capacité humaine à identifier rationnellement les intérêts de l'individu et de la collectivité. Les individus seraient des acteurs rationnels mus par leurs propres intérêts bien compris — des acteurs qui se montraient en colère dès lors que cet intérêt matériel serait battu en brèche et qui s'apaiseraient dès que cet intérêt serait satisfait. Dans son schéma explicatif, qui fut repris aussi bien à la gauche qu'à la droite de l'échiquier politique, le bourgeois (l'homme des lumières) tourné vers son intérêt bien compris — c'est-à-dire un individu doté d'un libre arbitre et dont les désirs et instincts naturels sont façonnés par l'objectif ultime qu'il propose : la poursuite du bonheur et l'évitement de la souffrance. Norbert Elias nous met en garde de cette vision des choses, plutôt simpliste, a toujours négligé de nombreux facteurs pourtant invariablement présents dans les existences humaines : la peur — peur, par exemple, de voir son honneur, sa dignité et son statut bafoués ; la méfiance pour le changement ; l'attrait exercé par la stabilité et un environnement familier. Cette conception des choses n'accorde pas non plus beaucoup de place à des pulsions et passions tristes plus complexes : la vanité, la peur de passer pour vulnérable, le désir forcené de donner à autrui une image de soi bien précise, dénuée de toute aspérité… Ces valeurs du programme des lumières du XIXe siècle s'est transformé en «objet de risée et de mépris», comme l'écrivit Robert Musil dans son livre étincelant et indispensable, L' homme sans qualités Point 2011. Nous assistons à un cruel bouleversement et déclin des valeurs de notre civilisation. Axel Honneth nous le rappelle (Le Droit de la liberté. Esquisse d'une éthicité démocratique, traduit de l'allemand, Paris Gallimard, 2015), le rôle des pères et chefs de famille avaient pour beaucoup contribué à la pacification sociale. Les déficits de reconnaissance dont on souffrait dans la vie professionnelle pouvaient être compensés dans la sphère familiale à travers ce rôle de chef de famille. Mais, entre-temps, de nombreux hommes qui ont des salaires 4 à 6 fois inférieurs à ceux de leurs compagnes n'ont pas seulement perdu le monopole du rôle consistant à subvenir aux besoins de la famille, ils ont aussi perdu ce rôle symbolique de chef de famille qu'ils occupaient dans la cellule familiale. L'homme n'est plus maître à la maison, ce critère important de masculinité et les questions intellectuelles qui l'accompagnent sont tout bonnement dédaignés et aura des conséquences incalculables sur notre tissu anthropologique, social, politique et économique. A l'exemple du chef de famille qui a perdu son statut de chef de famille sera une recrue idoine des plébiscites populistes. Les angoisses matérielles et culturelles soulevées par une perte de statut sont les éléments activateurs du ressentiment, des affects négatifs, de la clôture identitaire, sans oublier que l'asservissement au marché et l'absence d'alternative économique libèrent les agressions autoritaires. Quant aux oligarques, plus ils perdent en force, en sécurité et en certitude au fil de leur déclassement, plus ils se retrouvent sommés de combattre dos au mur pour défendre leur statut, et plus ils gagnent en brutalité et ne considèrent plus qu'il vaut la peine de se comporter en civilisés. Poussés dans leur retranchement, les oligarques ont vite fait de devenir des destructeurs. Ils deviennent facilement des barbares qu'il faut mettre impérativement en cage.
Par Mohamed Belhoucine Docteur en physique de l'université d'Orsay. DEA en management.