La presse nationale a fait récemment état des propositions faites par le ministère de la Justice visant à modifier l'article 42 du code civil. Ce dernier stipule : « La personne dépourvue de discernement à cause de son jeune âge ou par suite de sa faiblesse d'esprit ou de sa démence n'a pas la capacité d'exercer ses droits civils. Est réputé dépourvu de discernement l'enfant qui n'a pas atteint l'âge de 16 ans. » Cet article définit l'âge minimal de discernement, c'est-à-dire de conscience et d'appréciation, d'un mineur à 16 ans. Le ministère de la Justice veut l'abaisser à 13 ans. Deux ans après le sommet mondial consacré aux droits de l'enfant, cette proposition paraît bien paradoxale. Alors que le monde évolue vers une reconnaissance universelle des droits des enfants, il est incompréhensible que dans notre pays, on veuille les assimiler aux adultes avant l'heure ! Un dispositif législatif loin d'être idéal L'Algérie s'est dotée de nombreux textes de loi qui visent globalement à protéger les plus jeunes. Cependant, malgré ses aspects positifs, le dispositif législatif concernant les mineurs présente des contradictions, des lacunes et des insuffisances et contient certaines dispositions qui doivent être abolies pour être en conformité avec la convention internationale des droits de l'enfant. Il est centré sur le juge d'enfant et basé sur l'intervention de la police. L'aspect préventif et éducatif fait défaut. Une participation des institutions et des personnes qui s'occupent des enfants lui assurerait plus d'efficience. Ainsi, dans certaines dispositions du code pénal (notamment dans l'article 50), malgré leur caractère apparemment magnanime pour les enfants, les peines prévues restent très sévères car elles ne font pas de distinction dans la tranche d'âge 13-18 ans. Il aurait été plus logique pour le légiste de distinguer les 13-16 ans des 16-18 ans, car l'enfant de la première tranche va être sujet à de profondes modifications hormonales, physiques, mentales et comportementales qui le transforment en 3-5 ans en un jeune adulte. Il fait sa puberté, et son comportement change, sa relation vis-à-vis de tout ce qui l'entoure se modifie, il rejette l'autorité des adultes, il peut présenter une certaine agressivité de comportement. Il traverse une phase d'équilibre instable qui le prédispose ou majore certaines de ses conduites. Comment le législateur peut-il sanctionner un comportement lié à un état physiologique en alignant cette tranche d'âge sur celle des 16-18 ans ? La loi autorise le placement provisoire d'un mineur de 13 à 18 ans dans un établissement pénitentiaire, bien qu'elle l'assortisse d'un caractère exceptionnel. Le juge est même autorisé à placer le mineur dans une prison pour adultes à titre provisoire. Ces dispositions même exceptionnelles et provisoires sont une atteinte aux droits de l'enfant. Au plan de la forme, le placement dans des centres quel que soit leur mode de gestion paraît comme une mauvaise solution, car elle va ancrer progressivement l'enfant dans un sentiment de profonde injustice. Le peu de qualification du personnel, la rigidité de la discipline et l'absence d'écoute que ressent l'enfant finissent par assombrir le mince espoir qu'il peut avoir d'être un jour un adulte responsable. Il est donc urgent de réfléchir à une réforme profonde de prise en charge de la délinquance juvénile en privilégiant le placement dans les familles et en travaillant en partenariat avec les associations pour la gestion des centres. Un simple examen de budgets des centres gérés pas le ministère de la Justice montre que chaque pensionnaire a coûté à la caisse de l'Etat en 2002 la somme de 88 627 DA pour des résultats tout à fait aléatoires. Par ailleurs, les moins de 13 ans ne sont qu'exceptionnellement privés de liberté en cas de délit. Or, souvent leurs parents sont dans l'incapacité de les prendre en charge. Il n'existe pas de mesure médiane pour cette catégorie d'enfants. Dans ce cadre, la notion de sanction à visée éducative n'est pas retrouvée, or, elle est considérée aujourd'hui comme une mesure éducative essentielle dans beaucoup de pays. Elle peut s'exprimer par des travaux d'intérêt général, par un dédommagement ou une réparation. Pourquoi abaisser l'âge de discernement ? Le problème qui se pose aujourd'hui en matière de législation des enfants est de mettre en concordance les textes de loi algériens et faire en sorte que l'âge de discernement reste à 16 ans en protégeant davantage l'enfant avant cet âge quelle que soit sa tranche d'âge : moins de 16 ans ou moins de 13 ans. En clair, cela signifie qu'il lui accorde le maximum de circonstances atténuantes, la majorité pénale étant à 18 ans et la majorité civile à 19 ans. Le mineur âgé de 16 ans peut demander son émancipation et l'obtenir, c'est le cas aujourd'hui par exemple pour une jeune fille de 16 ans, qui veut se marier. Celle-ci peut être accordée une année après l'âge de discernement. L'abaissement de l'âge de discernement entraînera immanquablement des abus en matière d'abaissement de l'âge de mariage mais surtout une plus grande fragilisation des enfants face à un appareil judiciaire bureaucratique et archaïque. Aussi rien ne justifie ni n'explique cette démarche. Des propositions non conformes à la convention internationale des droits de l'enfant L'Algérie a ratifié la majorité des conventions et des lois internationales relatives aux droits de l'enfant. La Constitution algérienne prévoit (article 132) que « les traités ratifiés par le président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieures à la loi ». Un avis du Conseil constitutionnel du 20 août 1989 confirme cette primauté sur le droit interne : « Considérant qu'après sa ratification et dès sa publication toute convention s'intègre dans le droit national et en application de l'article 123 de la Constitution de 1989 acquiert une autorité supérieure à celle des lois, autorisant tout citoyen algérien à s'en prévaloir devant les juridictions. » Il résulte donc que la convention internationale des droits de l'enfant, paraphée par l'Algérie, le 26 janvier 1990, et entrée en vigueur en Algérie le 16 mai 1993 est devenue la référence en matière de droits de l'enfant. Tous les textes de loi nationaux doivent être alignés sur elle. En application des dispositions de l'article 44 de la convention relative aux droits de l'enfant, l'Algérie a présenté les 29 et 30 mai 1997 son rapport initial relatif à l'application de cette convention, devant le comité des droits de l'enfant des Nations unies, lors de sa 398e session. Rappelons que la réunion citée est intervenue quatre ans après l'entrée en vigueur de la convention internationale des droits de l'enfant en Algérie. Le comité des Nations unies a « regretté que le rapport omette de fournir des informations sur les facteurs et difficultés qui entravent la mise en œuvre de la convention et l'exercice effectif par les enfants de leurs droits ». En outre, le comité a exprimé ses préoccupations et ses recommandations relatives à l'application de la convention internationale des droits de l'enfant. Le comité recommande à l'Etat partie d'aligner la législation existante sur les principes et dispositions de la convention et d'envisager la possibilité de promulguer un code détaillé de l'enfance. Ainsi, les enfants sont loin d'être des « rois » dans notre société. Leur fragilité et leur vulnérabilité nous interpellent en vue d'une plus grande reconnaissance de leurs droits.