De quelle manière sont collectés et dépensés les fonds publics ? Quel poids pour l'Assemblée populaire nationale (APN), la Cour des comptes, l'Inspection générale des finances (IGF) et les différents organes institutionnels dans le contrôle des budgets sectoriels ? Quid aussi de la transparence dans la gestion du budget ? Quelle implication dans la budgétisation pour la société civile ? Autant de questions qui ne trouvent toujours pas de réponses. Quand c'est le cas, des zones d'ombre entourent ces réponses. Preuve en est, l'accès aux statistiques et aux différentes données concernant les finances publiques reste très difficile, que ce soit pour les chercheurs, les journalistes ou même les inspecteurs chargés des opérations de contrôle et des enquêtes sectorielles. Même entre les départements ministériels l'échange d'informations se fait de manière timide. Dans certains cas, pas de place à ces échanges alors que la nécessité de travailler dans un cadre de concertation et de collaboration est à chaque fois relevée. Ce sont-là autant d'éléments qui montrent qu'en matière de gestion du budget, les anomalies sont nombreuses. Et pourtant, l'on parle depuis des années de la mise en place d'un nouveau système de gestion budgétaire (réforme) dans le cadre du processus de modernisation des finances publiques dont l'objectif est d'assurer une planification et une préparation du budget général de l'Etat axées sur les résultats, la performance et la transparence. Un nouveau système de gestion budgétaire permettant une meilleure efficacité était pourtant annoncé en 2014 dans le cadre de la modernisation du secteur avec pour objectif d'assurer un meilleur rendement dans la gestion des ressources de l'Etat, l'efficacité dans l'engagement des finances publiques, une meilleure circulation de l'information, la transparence des données, la responsabilisation des gestionnaires et le renforcement des capacités de prévision et d'analyse. Ce qui n'est pas encore le cas quatre ans après. Pas de place à la transparence Les résultats de l'Enquête sur le budget ouvert (EBO) réalisée par l'International budget partnership (IBP) confortent ce constat. L'EBO, présentée comme l'unique mesure indépendante comparative et régulière de la transparence budgétaire dans le monde, accorde à l'Algérie sur la base des informations recueillies de très mauvaises notes. Concernant la transparence budgétaire, l'Algérie a obtenu un score 3/100, 0/100 pour la participation du public dans l'élaboration du budget, et enfin un score de 31/100 pour le contrôle du budget. Des conclusions tirées des enquêtes menées pour le cas de l'Algérie par l'Association nationale des finances publiques (ANFP). Des notes bien en deçà de celles obtenues par nos voisins de la région. A titre illustratif, le Maroc et la Tunisie sont à 45 et 39% respectivement pour la transparence alors que la Jordanie a eu un score de 63/100. A travers ces résultats, l'Algérie n'a pas amélioré ses scores par rapport à la dernière enquête de 2015 pour ce qui est de la transparence. Ainsi, dans sa sixième édition (la première en 2006), l'enquête en question souligne la quasi absence de la transparence dans la gestion des finances publiques. «Le score de 3 sur 100 obtenu par l'Algérie est largement inférieur au score moyen global qui est de 42/100. Il est bien inférieur au score enregistré en 2015», indique le document qui notera la régression des notes dans ce chapitre depuis 2015. «Depuis 2015, l'Algérie a diminué la quantité d'informations budgétaires qu'elle met à la disposition du public en produisant un projet de budget de l'Exécutif à des fins internes uniquement et en omettant de produire les rapports en cours d'année», lit-on dans la note de l'EBO concernant l'Algérie. Autre manquement : l'Algérie n'a pas rendu public le rapport préalable au budget. Elle a produit une Revue de milieu d'année, un Rapport de fin d'année et un Rapport d'audit sans pour autant les rendre publics. Citoyens écarté dans le processus budgétaire Sur un autre plan, tout en rappelant que la participation des citoyens dans la budgétisation est vitale pour atteindre les résultats positifs associés à une meilleure transparence budgétaire, l'EBO déplore que «l'Algérie ne fournit au public aucune possibilité de participer au processus budgétaire». D'où, d'ailleurs, le score de 0/100 alors que ces opportunités «doivent être proposées tout au long du cycle budgétaire par le corps exécutif, le corps législatif et l'institution supérieure de contrôle». Là encore, ce n'est pas le cas. Un résultat obtenu au terme des réponses aux questions qui évaluent la participation des citoyens dans l'EBO 2017, lesquelles ont été révisées pour les aligner sur les nouveaux principes de l'Initiative mondiale pour la transparence fiscale. Ce sont en effet ces principes qui représentent les fondements des normes largement acceptées sur la participation du public dans les processus budgétaires nationaux, selon les rédacteurs du rapport, qui résument : «Le score de 0 sur 100 enregistré par l'Algérie indique que les possibilités offertes au public de participer au processus budgétaire sont nulles. Ce score est inférieur à la moyenne globale de 12». Au dernier chapitre du contrôle budgétaire, les résultats sont aussi loin de la moyenne. Pour l'EBO, le contrôle est limité. Certes, le rôle des assemblées législatives, des institutions supérieures de contrôle et des institutions financières indépendantes dans le processus budgétaire est essentiel. Mais, il est souvent inscrit dans les constitutions nationales, dans la planification des budgets et dans la supervision de leur mise en œuvre, selon la même source. «Ce score indique que le corps législatif assure un contrôle approprié pendant la phase de planification du cycle budgétaire et un contrôle faible pendant la phase de mise en œuvre du cycle budgétaire», conclut l'EBO avant de détailler les principaux obstacles à un contrôle efficace. Le faible poids de la cour des comptes Selon l'enquête, le corps législatif ne débat pas officiellement de la politique budgétaire préalablement à la présentation du Projet de budget de l'exécutif. De leur côté, les commissions législatives n'examinent pas et ne publient pas les rapports sur leurs analyses du Projet de budget de l'exécutif en ligne. Ce qui rappelle que l'APN est loin d'exercer ses prérogatives concernant le suivi du budget de l'Etat qui échappe ainsi totalement au contrôle des députés dont la majorité est acquise au pouvoir en place. Pour ce qui est de l'institution supérieure de contrôle, en l'occurrence la Cour des comptes, le rapport juge son influence faible et souligne l'absence de son indépendance. «L'institution supérieure de contrôle assure un contrôle budgétaire faible», déduit l'enquête. «En vertu de la loi, elle dispose de toute latitude pour procéder à des audits comme elle l'entend. En outre, le responsable de l'institution supérieure de contrôle n'est pas désigné par le corps législatif ou par le système judiciaire et peut être démis de ses fonctions sans l'approbation du corps législatif ou du système judiciaire, ce qui remet en question son indépendance», expliquent encore les rédacteurs du rapport qui mettent en exergue le manque de ressources au niveau de la Cour des comptes. Ce qui ne lui permet pas de remplir son mandat. Un déficit auquel s'ajoute la non-évaluation des audits par une agence indépendante. Ce sont tous ces dysfonctionnements qui entachent la gestion du budget en Algérie de l'élaboration à l'exécution. D'où l'urgence de se pencher sur certains aspects. A ce sujet, les experts d'IBP recommandent de publier le Projet de budget de l'Exécutif en ligne, de faire paraître un rapport préalable au budget, une Revue de milieu d'année, un rapport de fin d'année et d'un autre pour l'audit Recommandations Ils préconisent également en matière de transparence budgétaire de produire et publier des rapports en cours d'année et un budget des citoyens. Pour l'amélioration de la participation des citoyens dans ce domaine, le document plaide pour le pilotage des systèmes d'échange entre les représentants de la société civile et du gouvernement sur les questions budgétaires nationales pendant la formulation du budget et le suivi de sa mise en œuvre. «Ces mécanismes peuvent reposer sur des innovations, telles que la budgétisation participative et les audits sociaux», suggère-t-on à ce sujet. Il s'agit aussi d'organiser des audiences législatives sur la formulation du budget annuel et d'établir des mécanismes formels pour que le public aide l'institution supérieure de contrôle à formuler son programme d'audit et à participer aux enquêtes d'audit. Enfin, pour améliorer le contrôle, il y a lieu d'assurer que la législature organise un débat sur la politique budgétaire préalablement à la présentation du Projet de budget de l'Exécutif et approuver les propositions pour le budget à venir. Aussi, l'EBO recommande de mettre en place une Institution financière indépendante pour compléter la surveillance budgétaire.Samira Imadalou