Dans ces fabriques à crises que sont devenus tous les secteurs de la vie nationale, l'institution éducative est celle qui pâtit le plus des lendemains désastreux que vit le pays. Le temps n'est pas si lointain où l'on portait à bras-le-corps le projet de réformes des programmes scolaires sous la conduite d'une ministre auréolée du prestige de modernité et de force de conviction. A présent, elle est réduite à brandir la menace de licenciement à l'encontre des enseignants grévistes. Entre le scénario catastrophe et l'échec d'une improbable démarche gouvernementale, le sort de l'école algérienne se rapproche de celui de tous les secteurs de la vie nationale, économique et politique, voués à l'inertie et à la sclérose. Personne ne croit à la possibilité de remplacer efficacement les personnels en grève par les postulants sur les listes d'attente, les retraités ou les directeurs d'établissement. Tout comme les élèves, l'encadrement pédagogique nécessite une formation, un suivi et une évaluation des capacités. Dans tous les cas de figure, avec une reprise des cours par les enseignants en poste ou des suppléants, l'année scolaire s'inscrit d'ores et déjà dans le sombre tableau de l'échec national. Elle ne sera pas blanche comme l'assure la ministre, mais elle y ressemblera beaucoup avec les longs passages à vide, les haltes forcées, les actions de rue et les cours accélérés jusqu'à saturation. Pourtant, dans ces nouveaux terrains de lutte à vocation sociale ou à tendance clanique, il est un domaine qu'il fallait préserver, celui de l'école. Parmi toutes les déclarations que la ministre de tutelle a eu à prononcer lors de ces invraisemblables semaines de tension extrême dans le supposé temple du savoir et de la réflexion, il est une affirmation qui mérite d'être réitérée et défendue : «L'école doit être protégée.» C'est lorsque ce principe sera assimilé par tous que les discussions pourront réellement débuter sur les dossiers de fond restés en suspens, sans lien avec l'affligeante question des ponctions sur salaire consécutives aux journées de grève. Les syndicalistes remettront en cause leurs modes d'action au même moment où l'administration de l'Education, à tous les niveaux, adopterait une gestion saine, respectueuse des droits des travailleurs. L'année scolaire sera «achevée» dans un climat d'urgence qui pèsera sur l'élève. Le stress du rythme de rattrapage des cours s'ajoutera au traumatisme des salles de classe vides durant des mois. Les examens de fin d'année se dérouleront aux dates prévues et les taux de réussite seront jugés satisfaisants par les autorités. L'opinion publique saura toutefois que le niveau scolaire n'aura pas évolué d'un iota et les élèves admis aux paliers supérieurs et à l'université ne seront pas imprégnés des programmes de nouvelle génération mais des péripéties des conflits ayant vidé les établissements et hanté les rues. Ce qu'attendent véritablement les citoyens qui suivent avec inquiétude l'évolution du dossier de l'éducation n'est pas tant la résolution de la crise en cours mais le moment où tous les intervenants dans le secteur s'entendront sur les conditions de travail et d'exercice des libertés syndicales. Ce sera l'acte II de la charte d'éthique qui devait stabiliser ce secteur depuis plus de deux ans. C'est cette question qui devra être mise à l'ordre du jour à la rentrée prochaine, avant même la relance du perpétuel chantier de réforme des programmes scolaires.