Une étude du site web Fanzone-im.dz sur les orientations religieuses des Algériens à travers les réseaux sociaux a conclu qu'ils «sont profondément attachés à la notoriété de certains prédicateurs islamiques de nationalités égyptienne et saoudienne». L'étude, préparée par Younes Saadi pour Interface Médias, a abordé avec détails le comportement des Algériens qui admirent les pages des prédicateurs les plus célèbres, comme Amr Khaled et Aidh Al Qarni. L'auteur de l'étude écrit dans son rapport que les Algériens sont les plus fidèles au contenu religieux islamique sur Facebook, comparativement aux autres peuples musulmans. Selon les données du site www.socialbakers.com, spécialisé dans le monitoring des réseaux sociaux, à fin janvier, «plus de cinq millions d'Algériens suivent la page de Amr Khaled». Les Egyptiens sont arrivés en tête avec plus de 9 millions de fans, suivis directement par les Algériens, les Marocains, plus de 3 800 000, et les Irakiens avec 1 700 000 fans. La présence religieuse algérienne est pratiquement inexistante, à l'exception de la page de l'Association des savants musulmans. Les données publiées notent l'absence de prédicateurs algériens sur Facebook, excepté une page appelée «Les fatwas de cheikh Mohammed Ferkous» et suivie par 123 644 comptes, dont la majorité est constituée probablement d'Algériens. Ces faits ont incité l'auteur à rechercher les raisons de la faiblesse et du manque de contenus religieux algériens sur Facebook. Selon lui, il y a plusieurs explications. «Il n'y a pas de grande figure religieuse en Algérie, influente et bien connue dans le monde musulman. Depuis la mort de cheikh Bachir El Ibrahimi, le pays n'a aucune référence religieuse reconnue dans le monde islamique. L'absence a créé un vide spirituel et a poussé les Algériens à rechercher des références religieuses au-delà des frontières. Il n'y a pas de pages religieuses algériennes qui possèdent un million de fans ou plus. On ne trouve que trois pages algériennes qui publient des contenus religieux sur les 500 pages les plus suivies sur Facebook», révèle-t-il. On peut y ajouter une surveillance stricte de tout ce qui est religieux et les conséquences de la décennie noire. La référence actuellement est étrangère pour les Algériens «Il y a une dépendance quasi totale de l'étranger. Nous avons tous en tête ce qui s'est passé à Ghardaïa en 2013-2014 lors des affrontements. L'Association des oulémas musulmans a fait le déplacement pour servir de médiatrice et calmer les esprits, ainsi que le MSP, Ennahda et les zaouias. Ils n'ont pas réussi, parce que la chaîne Iqraa, qui est suivie par près de 2 millions d'Algériens sur Facebook, avait un autre langage : des ibadites y étaient assimilés à des «khawarij», des apostats. Ce que faisait Iqraa à l'époque était plus influent que tout à ce qui a été fait par des Algériens sur le terrain. La référence actuellement est étrangère pour les Algériens. Le nombre de fans de la page du prédicateur saoudien Al Arifi est largement supérieur à ceux de l'Arabie Saoudite, cela montre que les Algériens s'intéressent plus que les Saoudiens au fait religieux et que l'on est dépendant de l'étranger. Ce qui peut faire beaucoup de dégâts», prévient Younes Saadi. «Cette étude n'a pas la prétention d'être une photographie complète des pratiques, des orientations et des tendances religieuses des Algériens. On peut avoir un débat sur l'influence de Facebook. C'est aux islamologues, scientifiques et chercheurs en sciences sociales de nous expliquer le contenu de cette tendance. Je note que nous sommes dans un scénario similaire à celui qui a précédé l'ouverture des médias audiovisuels en Algérie avec un grand moment, celui de Oum Dourman : contenu algérien très faible, crise avec l'Egypte, et nous avons été écrasés par l'offre satellitaire égyptienne. Nous sommes dans une configuration à peu près semblable en termes d'influence religieuse. C'est plutôt alarmant. Si on libère les contenus, ils pourront être dominés par les salafistes. Reste à savoir la portée des activités des fans avec ce média : comment interagit le public algérien avec les prédicateurs, sont-ils les plus actifs ?» analyse Ihsane El Kadi, directeur de Maghreb Emergent. Un politologue et professeur à l'école de journalisme apporte son éclairage : «Il y a un élément fondamental qu'il faut prendre en considération : l'émergence du religieux sur le plan international. Le religieux dans la sphère arabo-musulmane a émergé comme un élément fondamental et structurant dans les stratégies des Etats, il y a une rivalité dans la reconstruction du religieux en tant que stratégie et à travers les acteurs. 2001-2003 : le monde musulman était en posture défensive, il fallait se justifier. Et c'est là que l'association mondiale des oulémas (présidée par Al Qaradawi) et la jeune génération de prédicateurs menée par Amr Khaled et Mustafa Hosni sont entrés en scène. La querelle a été très intense entre l'Arabie Saoudite et l'Egypte, les Turcs et l'islam indonésien. Il s'agit d'un tournant géopolitique par rapport au discours religieux qu'il fallait, selon les exigences américaines, revoir et l'expurger de toute référence extrémiste», dira-t-il. En 2011, la querelle s'est intensifiée avec ce qui s'est passé (soulèvement dans certains pays arabes) dans un contexte de construction religieuse de l'ordre politique. Sur les plateaux d'El Djazira, Al Qaradawi donne une onction religieuse pour tout ce qui se passait en Libye, en Egypte et en Syrie. La technologie fait entrer l'élément médiatique. «L'islam s'est globalisé mais s'est aussi fragmenté. On est en phase de différents discours religieux et de différentes légitimités religieuses qui se disputent entre elles. L'islam est utilisé dans le cadre de stratégie de repositionnement des Etats», conclut l'expert.