Histoire de ma vie, l'autobiographie de Fadhma Aïth Mansour Amrouche, continue d'intéresser la littérature mondiale et le monde éditorial 51 ans après la mort de son auteure en juillet 1967. Histoire bouleversante d'une femme kabyle au destin singulier, fait d'errance et de déchirement identitaire, le récit a été traduit dans plusieurs langues, dont l'anglais (1988 par Doroty Blair et 2009 par Caroline Stone), l'italien (par Clelia Castellano en 2013), l'allemand, le polonais…En attendant le kabyle, la langue maternelle des Amrouche. Le 5 janvier dernier, l'éventail s'est élargi avec une nouvelle traduction aux Pays-Bas (sous le titre de De geschiedenis van mijn leven) qui a pris bonne place dans les librairies, coïncidant agréablement avec le cinquantième anniversaire de la publication (en 1968 par Maspero) de l'unique œuvre littéraire de Fadhma Aïth Mansour Amrouche. C'est la première traduction d'Histoire de ma vie en néerlandais qu'a rendue possible la traductrice Hester Tollenaar. La version néerlandaise, faite sur la réédition des éditions La Découverte en 2000, s'étale sur 278 pages. La richesse du récit autobiographique, avec sa forte teinture culturelle, de Fadhma Amrouche a motivé cette louable entreprise éditoriale, à croire les propos de la traductrice qui a déjà traduit d'autres romans algériens. «Le texte de Fadhma Amrouche est autobiographique et moins littéraire que les autres, mais extrêmement riche en détails fascinants et très émouvants», nous affirme Hester Tollenaar. Son entreprise s'inscrit dans une collection constituée jusque-là par plusieurs romans maghrébins d'auteurs différents, traduits du français, de l'arabe et de l'anglais vers le néerlandais. Il s'agit des romans marocains Légende et vie d'Agoun'chich, de Mohammed Khaïr-Eddine, Le pain nu et Le temps des erreurs, de Mohamed Choukri et Love with a few hairs, de Mohammed Mrabet. De la littérature algérienne ont été traduits Les chercheurs d'os, de Tahar Djaout, Nedjma, de Kateb Yacine et La colline oubliée, de Mouloud Mammeri. A la collection s'est ajouté Poussière d'or, de l'écrivain libyen Ibrahim Al Koni. Histoire de ma vie est le neuvième livre qui vient enrichir cette collection berbère. «Nous voulions absolument inclure dans la collection ce discours non fictionnel qui frappe profondément au cœur, d'une auteure si imprégnée de sa belle culture kabyle», nous dit Hester Tollenaar, qui a traduit la majorité des neuf titres. Œuvres phares Son travail est né d'une fructueuse collaboration avec son compatriote l'écrivain Asis Aynan, né aux Pays-Bas de parents marocains. En 2010, ils ont mis en chantier un projet de traduction de certains classiques maghrébins. De ce projet est née la Bibliothèque berbère (Berberbibliotheek) qui comprend aujourd'hui une collection de neuf classiques du Maghreb, qui ont en commun l'origine amazighe de leurs auteurs. Une partie de ces traductions a été éditée par une maison d'édition néerlandaise (Uitgeverij Jurgen Maas), spécialisée dans la littérature maghrébine et du Moyen-Orient. Cette collection a été bouclée, cette année. «Nous avons créé cette collection parce que, d'abord, c'est tout simplement de très beaux romans jamais traduits en néerlandais, et, ensuite, parce qu'ils font partie de l'héritage culturel d'une grande partie de notre population, ceux d'origine surtout marocaine du Rif, mais aussi d'ailleurs au Maghreb. Nous avons pensé aussi qu'il serait donc enrichissant pour tous les lecteurs néerlandais et flamands d'en faire connaissance», nous explique Hester Tollenaar. Traduire ces œuvres phares de la littérature maghrébine, qui se nourrissent de la sève berbère, n'a pas été sans peine. Les référents culturels kabyles d'Histoire de ma vie imposaient un effort supplémentaire pour comprendre, par exemple, que dans de «petites niches» creusées sous les étagères on pouvait mettre «les petits agneaux et les cabris». Aussi, comment traduire le nom de cette femme qu'on appelait au village «Fatma Numéro». A quoi renvoie-t-il ? Quelle traduction pour cette expression du pays «un mouton sur pieds», et pour ces noms de champs «Thazroutse, Thin G'ejoûdha», et du démon «Kheyaf laarayes» ? Qu'est-ce qu'une «tombe d'un exilé» ? Ces interrogations et bien d'autres ont accompagné le travail de traduction d'Hester Tollenaar qui devait fidélité à l'œuvre originale. «Pour les traductions, j'avoue que le travail n'a pas toujours été évident. Ces auteurs ont, dans leur ensemble, un langage fortement classique, parfois un peu instable et de toute façon très riche. Pour ne pas parler des passages presque hermétiques d'auteurs comme Khaïr-Eddine ou Kateb Yacine ! Heureusement, j'ai toujours pu prendre le temps qu'il fallait. Et j'y ai pris beaucoup, beaucoup de plaisir», se confie, à El Watan, Hester Tollenaar. Un plaisir qui devrait se transmettre aux lecteurs néerlandais en découvrant la force du récit autobiographique de Fadhma Aïth Mansour Amrouche.