Ould Abbès interdit à ses militants de parler du cinquième mandat de Bouteflika. Mais lui ne se gêne pas pour l'évoquer par allusions. A chacune de ses sorties publiques destinées plus à médiatiser sa personne qu'à traiter des problèmes d'organisation du vieux parti qui en a bien besoin, il s'ingénie à prêcher le faux pour avoir le vrai, de sorte que cette perspective présidentielle qui est dans tous les esprits est subrepticement «mise en ligne», même si théoriquement elle doit être absente des discussions et des débats. A vrai dire, le patron du parti majoritaire nourrit les plus grandes espérances pour qu'ait lieu ce cinquième mandat qu'il veut aujourd'hui classer comme sujet tabou mais dont la finalité ne souffrirait d'aucune équivoque. Si Bouteflika se représente, c'est évidemment pour connaître une reconduction royale dont dépendra la carrière d'Ould Abbès et celle de tous les affidés qui gravitent autour du Zaïm. On comprend dès lors pourquoi ce dernier frétille déjà à l'idée que ce projet soit entretenu avec la plus grande précaution pour que dans moins d'une année il devienne réalité… si naturellement l'état de santé du principal concerné ne se dégrade pas encore plus gravement d'ici là. Pour l'heure, le mot d'ordre qui circule dans les travées du pouvoir c'est de feindre qu'il n'y a aucun plan de bataille qui est échafaudé pour préparer cette projection présidentielle. Manière de conditionner l'opinion publique doucement et en fonction des étapes à franchir sur un engagement du Président qui prendrait l'allure d'un véritable «défi» patriotique le moment où sa candidature sera annoncée officiellement. La tactique est connue. Elle a déjà été expérimentée avec succès. Elle consiste à garder le silence le plus longtemps possible, à taire ses prétentions pour mieux les aiguiser, à laisser les autres dévoiler leur jeu, et se mettre enfin en piste non sans avoir au préalable mis de son côté tous les atouts pouvant garantir la victoire finale. Même malade, Bouteflika est toujours assuré de disposer de ces atouts qui font de lui le postulant qui aura toujours une marge d'avance sur ses adversaires. En réalité, il a besoin d'un plébiscite. Car il reste convaincu que personne ne pourra le battre aux élections, les concurrents qui l'affronteront ne seront jamais à sa hauteur. La raison est qu'il ne se voit jamais consommer un échec après avoir permis l'entretien autour de lui d'un culte de la personnalité qui s'est propagé partout, dans tous les espaces politiques, institutionnels, administratifs, jusqu'à devenir un mode de gouvernance. L'image de Bouteflika, en quatre mandatures, a fini par se confondre avec la mentalité de l'idolâtrie qu'on retrouve dans les cours royales. Ce n'est pas par hasard que la formule de politesse (ou protocolaire, on ne sait plus) «fakhamatouhou» est entrée dans les mœurs de la communication officielle. Ce style de langage choisi n'est pas obligatoire en théorie, mais celui parmi les officiels qui ne s'y conformerait pas se mettrait lui-même en marge de la norme. On rappelle qu'un brillant journaliste de la Télévision nationale qui assurait en vedette le JT du 20h a été tout bonnement dégommé pour avoir involontairement négligé cette formule. Aucun responsable de ce média, ni même son directeur général n'ont levé la moindre protestation pour défendre leur élément face à un acte d'arbitraire bête et méchant. Dans notre République, il faut le préciser, cette mentalité de soumission adoptée par les cercles envahissants des courtisans n'est pas considérée comme un comble à partir du moment où on a affaire à un régime dont l'autoritarisme vertical se solidarise avec la politique du Président et vice versa. Système d'allégeance affiné, machine électorale bien rodée pour le bourrage, administration participative, médias publics propagandistes, partis et associations du pouvoir en rangs serrés… le terrain est balisé. Mais qui peut donc soutenir la comparaison devant tant de facteurs déterminants ? Qui peut combattre cette force influente qui frappe de plusieurs côtés ? Non, l'élection présidentielle (ou tout autre scrutin d'ailleurs) en Algérie ne sera jamais normalisée tant qu'il y aura un candidat choisi et sur lequel toutes les forces du Pouvoir investissent pour le faire gagner. On pensait qu'on en avait terminé avec l'ère du parti unique où le Président était désigné à l'avance – notamment par l'institution militaire –, faisant de l'acte électoral un simple geste pour la galerie. On croyait qu'avec l'amorce du lent processus démocratique, on allait entrer progressivement dans une nouvelle vie électorale où la désignation du Président viendrait de la base et non du sommet. On pensait qu'avec Bouteflika, ces rêves citoyens allaient connaître un début de réalisation. C'est le contraire qui se produit, hélas. Non seulement il perpétua les pratiques unilatérales du parti unique, mais il se permit de retoucher la Constitution concernant la durée du mandat présidentiel qui donnait droit à deux mandats aux candidats. Bouteflika s'assurait ainsi une magistrature à vie, brisant au passage tout espoir de voir notre pays connaître enfin les bienfaits de l'alternance par le jeu démocratique. Comment prétendre à un système démocratique quand c'est l'esprit despotique qui domine ? C'est à cette question que doivent répondre tous ces postulants connus ou moins connus qui affûtent leurs armes secrètement et qui espèrent qu'un miracle viendra bouleverser la scène politique pour redonner plus de sens à cet indispensable passage à l'alternance que tout le monde attend. Doit-on y croire ? En réalité, il y a des candidats qui estiment avoir les capacités pour briguer le poste de président de la République mais qui refusent de se dévoiler de peur de griller leurs cartes, car à leurs yeux le challenge électoral reste encore trop soumis à la domination des puissants qui contrôlent tous les accès. Face à Bouteflika, ils savent que la partie sera d'une manière ou d'une autre biaisée. Ils préfèrent donc attendre et voir venir, alors que l'échéance avance à grands pas et nécessite d'ores et déjà une minutieuse préparation. Ils n'appellent pas cela de la résignation, mais une sorte de stratégie d'expectative qui reste tributaire de… l'état de santé de l'actuel locataire du Palais d'El Mouradia. Cet attentisme ferait donc l'affaire de tous les Ould Abbès qui ne veulent aucun parasitage avant que ne sonne l'heure de vérité. Parasitage ? S'il y a en tout cas un téméraire dans le lot qui fonce dans le tas, c'est bien le leader du parti El Moustakbel qui affiche ouvertement son ambition de convoiter la plus haute cime. Belaïd Abdelaziz n'a pas peur de l'inconnu… Il ouvre peut-être la voie à une autre façon de s'affirmer politiquement. Il mérite vraiment qu'on lui prête attention.