Si certaines formes de violence sont aujourd'hui l'objet de toutes les attentions, d'autres, comme la violence conjugale, restent tues, considérées trop souvent comme un problème privé. La violence masculine au sein du couple est reléguée au rang de phénomène marginal. Longtemps objet de tabou, et de silence, la violence conjugale est considérée comme un délit. Elle attaque toutes les catégories sociales sans exception, elle existe dans toutes les sociétés, de même que toutes les femmes de tout niveau intellectuel, et quel que soit leur cadre socio-professionnel, peuvent être ou risquent d'être victimes de violence conjugale dans toutes ses formes. Cette violence reflète l'inégalité des rapports de force entre l'homme et la femme qui ont abouti à la domination exercée par les hommes sur les femmes, à la discrimination à leur égard, et empêcher leur pleine promotion. La violence contre les femmes est le mécanisme social fondamental et extrême qui contraint les femmes à une position de subordination par rapport aux hommes. La position de la violence conjugale à l'égard des femmes est variable selon la vision de chacun, elle peut être classée selon l'attitude criminologique traditionnelle, l'approche féministe, la théorie élargie, la théorie stricte... Sur le plan international, la définition des Nations unies s'est élargie et considère la violence comme acte violent tout acte, omission ou conduite servant à infliger des souffrances physiques, sexuelles ou mentales, directement ou indirectement, au moyen de tromperies, de séduction, de menaces, de contraintes, ou de tout autre moyen à toute femme, ayant pour but et pour effet de l'intimider, de la punir, ou de l'humilier, ou de la maintenir dans des rôles stéréotypés liés à son sexe, ou de lui refuser sa dignité humaine, son autonomie sexuelle, son intégrité physique, mentale ou morale, ou d'ébranler sa sécurité personnelle, son amour-propre, ou sa personnalité, ou de diminuer ses capacités intellectuelles. Cet article définit la violence par ses conséquences par rapport au préjudice causé à la femme. On se retrouve devant une définition tautologique, du moment où elle se base sur la violence pour définir la violence. Selon la Convention d'Istanbul du 11 mai 2011, le terme «violence à l'égard des femmes doit être compris comme une violation des droits de l'homme et une forme de discrimination à l'égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d'entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée». L'Organisation mondiale de la santé, reprenant les termes adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies, donne la définition suivante de la violence à l'égard des femmes : «Tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant et pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée.» Cette violence prend plusieurs formes, mais toutefois dans de nombreux cas, ces formes se conjuguent les unes avec les autres. Pour les violences verbales et psychologiques, elles sont souvent la première étape avant les violences physiques. La majorité des hommes violents préparent le terrain en terrorisant leur épouse. Elles sont difficiles à repérer du fait de la limite imprécise. S'agissant de la violence verbale, elle peut se caractériser par des cris, des éclats de voix ou par des hurlements. En forçant la voix, l'homme cherche à intimider et à menacer sa femme. De plus, cette violence peut s'exercer sur un ton de voix habituel en y ajoutant des insultes, des injures et des menaces de coups. Aussi, la violence verbale se traduit par des interdictions, du chantage ou par des ordres ; il est à noter que le seul et unique but de cette forme de violence est d'atteindre personnellement les victimes. Les violences psychologiques visent à établir ou maintenir une domination sur la femme, elles se répètent et se renforcent dans le temps. Elles peuvent faire autant de dégâts que les violences physiques en provoquant une véritable usure mentale, poussant parfois jusqu'au suicide. Ainsi, dans le cadre psychologique, selon la loi, l'abandon volontaire de la femme la sachant enceinte pendant plus de deux mois représente une violence punissable d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 25 000 DA à 100 000 DA. Or, la violence physique qui va de la simple bousculade à l'homicide survient généralement lorsque la femme a résisté aux violences psychologiques et que l'homme n'a pas réussi à contrôler sa femme. Elle augmente dans le temps en fréquence et en intensité. Selon les textes, en matière pénale, quiconque volontairement cause des blessures ou porte des coups à son conjoint est puni comme suit : 1- d'un emprisonnement d'un à trois ans si les blessures ou les coups n'ont occasionné aucune maladie ou incapacité totale de travail de plus de quinze jours. 2- d'un emprisonnement de deux à cinq ans s'il y a eu incapacité totale de travail de plus de quinze jours. 3- de la réclusion à temps de dix à vingt ans si les blessures ou les coups ont été suivis de mutilation, amputation ou privation de l'usage d'un membre, cécité, perte d'un œil ou autres infirmités permanentes. 4- de la réclusion à perpétuité si les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la mort, l'ont pourtant occasionnée. L'infraction est établie, que l'auteur réside ou pas dans le même domicile que la victime. L'infraction est également établie si les violences sont commises par l'ex-conjoint et qu'il s'avère qu'elles sont en rapport avec la précédente relation de mariage. L'auteur ne peut bénéficier des circonstances atténuantes si la victime est enceinte ou handicapée, ou si l'infraction a été commise en présence des enfants mineurs ou sous la menace d'une arme. Dans les cas prévus aux (1) et (2) sus-visés, le pardon de la victime met fin aux poursuites pénales. Dans le cas prévu au (3), et lorsqu'il y a pardon de la victime, la peine est de cinq à dix ans de réclusion. Pour la violence sexuelle, c'est la forme dont les femmes ont le plus de mal à parler. Elle prend également plusieurs formes : activités sexuelles dangereuses, viol ou tentative de viol, mariage forcé, négation du droit d'utiliser une contraception ou de se protéger contre les infections sexuellement transmissibles, avortement forcé, prostitution forcée. La violence peut enfin être économique. Il s'agit de contrôler économiquement ou professionnellement l'autre afin de le priver de ses moyens financiers ou de certains biens essentiels. C'est, par exemple, le fait de confisquer les revenus, le véhicule, de détruire la propriété, ou de voler des biens, etc. Ainsi, est puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans quiconque exerce sur son épouse toute forme de contrainte ou d'intimidation afin de disposer de ses biens ou de ses ressources financières. Le pardon de la victime met fin aux poursuites pénales. Toujours sur le plan textuel, l'un des obstacles à l'efficacité de la lutte contre les violences faites aux femmes et dans les couples réside dans la grande difficulté d'en rapporter la preuve. La famille peut devenir le lieu de brutalités, de vexations, de pressions psychologiques. Les situations de flagrants délits sont rares, les témoins peu nombreux ; les atteintes psychologiques sont par définition invisibles et le demeurent bien souvent jusqu'à ce que leurs effets destructeurs sur la personne puissent être médicalement constatés, ce qui, parfois, advient trop tard. Pour le justiciable qui se trouve dans l'incapacité pratique d'établir la preuve des violences dont il est victime, l'adoption de qualifications pénales peut se révéler un leurre. Le cercle familial privé transforme rapidement l'exigence du témoignage en une preuve impossible à fournir «diabolica probatio». Le certificat médical comme preuve peut être maintenu ou écarté par le juge, selon son appréciation, (article 212 code de procédure pénale) : hors les cas ou la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. D'ordre général, les témoins sont des proches. Or, selon le code de procédure pénale, le lien familial avec l'accusé ne doit pas exister ; d'ailleurs l'article 228/2 du code de procédure pénale stipule que : les ascendants, descendants, conjoint, frères, sœurs et alliés au même degré de l'accusé, de l'inculpé ou prévenu, sont dispensés du serment. A titre d'exception, les personnes précédemment citées peuvent être entendues sous serment lorsque ni le ministère public ni aucune des parties ne s'y sont opposés. Quant à l'autre sphère des témoins qui représente les voisins, ces derniers refusent généralement de témoigner, étant donné que c'est un problème intime lié au couple. La durée de l'incapacité mentionnée dans le certificat est d'une importance majeure, car elle est généralement reliée avec la condamnation et aussi la qualification du fait. Il est à constater, selon l'article 212 du code de procédure pénale, que le législateur n'a pas différencié entre les moyens de preuves, selon leur force. Mais réellement, le certificat médical, lié à une certaine rigueur scientifique, est indiscutable en principe. Pour la position juridictionnelle, la cour de cassation, dans son arrêt 27 septembre 2017, et selon Mme Y., qui demande que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de son époux, fait valoir que durant les dernières années, elle a subi l'attitude humiliante, insultante et violente de son époux, que celui-ci a entretenu des relations extraconjugales, et que sa fille a également été victime de violences de la part de son père, qu'elle conteste les griefs invoqués par son époux d'infidélité, de harcèlement et de manipulation des enfants. L'épouse rapporte la preuve (attestations de SOS Femmes), qu'elle fut victime, au moins à partir de mars 2010, de violences conjugales, dans un contexte de harcèlement moral et de dénigrement de la part de son époux. Le point évoqué concernait l'attestation de la directrice de l'association SOS Femmes, qui ne pouvait être retenue aux débats pour établir les faits de violence conjugale allégués par Mme Y. à son encontre, dès lors que cette attestation émanait d'un témoin indirect, la directrice de SOS Femmes n'ayant jamais été témoin direct des violences, humiliation ou harcèlement relatés ; qu'en fondant néanmoins le prononcé d'un divorce aux torts partagés sur l'existence de violences conjugales sur le fait que leur preuve résultait de l'attestation de SOS Femmes. La prise en charge de ces violences devrait se baser sur la protection, l'écoute et le conseil, mais pas nécessairement la sanction. D'autant plus que ce genre de violence nécessite la présence d'un rôle social après la sécurisation des situations. D'ordre général, les femmes violentées font appel à autrui pour faire cesser momentanément une situation d'agression dont elles ne savent pas comment se départir. Elles n'attendent cependant pas nécessairement en retour des poursuites judiciaires. Ce rôle social est repris par les juges qui, malgré leur fonction première visant à réprimer les infractions en appliquant la loi, prônent une approche sociale pour des affaires perçues comme «différentes» des affaires pénales «classiques». La complexité relationnelle, la composante intime et, bien souvent, les enjeux familiaux sont perçus comme des aspects primordiaux qui ne peuvent être éludés par l'application d'une loi. Il semble que, pour certaines femmes, la notion de «personnalisation de la peine» prenne toute sa dimension avec ce type de criminalité, dans la mesure où elles considèrent qu'il faut privilégier l'aspect social et avoir recours à la sanction seulement dans certains types de situation. Pour ces femmes, en effet, le processus judiciaire est intimidant, surtout quand il s'agit de témoigner contre leur époux ou ex-époux. Le système pénal exige des victimes qu'elles soient fortes et qu'elles aient une grande confiance en elles. Or, des études confirment que la victimisation a un impact sur l'estime de soi et fragilise la personne. Il est à constater également que la peur du témoignage peut être liée à celle de judiciariser l'ex-époux. Plusieurs femmes n'ont pas voulu que leur ex-époux soit judiciarisé, parfois par honte, d'autres fois par peur de représailles. Il s'agit là d'un statut particulier de la violence conjugale devant la justice. Conclusion Au-delà des axes d'action possible à mettre en place, ne doit-on pas recontextualiser les violences pour en comprendre les racines ? Comment, quand on influence l'esprit de toutes les générations par des concepts comme «pouvoir», «virilité», «autorité patriarcale», penser que garçon ou fille, homme ou femme, échapperont à s'engager dans les conflits, les violences et les inégalités ? L'intériorisation par l'homme d'un modèle patriarcal de rapports sociaux de sexe dans le couple, modèle dans lequel l'homme impose forcément sa loi dans son foyer et soumet sa femme, serait, au niveau familial, à l'origine de la violence. Face à cette réalité, il faut permettre aux femmes de libérer leur parole et pouvoir se remettre sur le chemin de la vie. Tout un travail d'éducation des femmes pour développer leur estime d'elles-mêmes, après les violences subies. Mais cela ne suffit pas à cause de ce système de patriarcat bien ancré dans nos sociétés aussi bien que dans nos mentalités, l'héritage social apparaît assez lourd. Dans ce cas, une politique interministérielle s'impose dans le but de «prévenir et contrer la violence conjugale», sans toutefois négliger l'amélioration de la condition sociale des femmes qui a permis de mettre en évidence le caractère inacceptable des violences conjugales, car ce que nous condamnons aujourd'hui comme un délit était auparavant un droit communément admis.