Le souvenir de la décennie noire, celle qui a rongé l'Algérie dans sa chair, est encore vivace, même si beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Plus de dix ans après, en parler pour certains est devenu une nécessité, une obsession. Les raisons sont multiples, mais toutes sont mues par un seul sentiment : extérioriser les peurs enfouies, se réconcilier avec ce passé. Dans son nouvel ouvrage, paru aux éditions Dalimen, l'auteure Leïla Aslaoui Hemmadi aborde ce sujet, non pas à travers son expérience, mais en racontant l'histoire d'une connaissance à elle, plus précisément une ancienne camarade de classe : Bahidja. “Sans voile, sans remords, c'est l'histoire d'une femme ou de toutes les femmes liées par un passé commun, celui de la violence où le secret et la cachoterie sont présents. Elle est exposée en permanence à la violence, celle de l'histoire qui l'entraîne de tourmente en tourmente. Celle exercée par les mâles de la famille (…) au nom de leur ‘'pouvoir'' et de leur ‘'foi'' discriminatoire. Celle des mères à l'égard de leurs filles.” Elle porte en elle un double secret. Le premier remonte à son enfance, à l'époque coloniale. Le second concerne son foyer. Un double drame qu'elle a du mal à enfouir. Car on est toujours rattrapé par son passé, son histoire. Afin de se fondre dans la société, sans sentir le regard des autres posé sur elle, Bahjidja, porte le “jilbab”. Une manière de se protéger, de se cacher. Une échappatoire temporaire. Une fois seule entre les quatre murs de sa maison, les souvenirs jaillissent. Elle est prise de doutes, perdant tout espoir de s'en sortir, ne croyant plus au bonheur. Sa planche de salut, elle la trouve chez l'auteure, quand elle la croise, par hasard, dans une des rues d'Alger. C'est le déclic. Elle comprend qu'il est temps non pas de tourner la page, d'oublier, mais de faire face à tous ces évènements qui ont bouleversé sa vie, qui l'ont transformée en automate. Raconter son fatal destin à une connaissance lui fait du bien. Un récit tragique que Leïla Aslaoui Hemmadi a su romancer, rendre captivant pour le lecteur. Elle se substitue à son personnage et porte sa voix. Un témoignage bouleversant mettant en avant la bêtise humaine. Un récit composé par quatre mains : Bahidja raconte, se livre, alors que l'auteure recueille et construit l'histoire. Le livre est une sorte de tribune à traves laquelle le personnage s'exprime et dit “je”. Précision, détails et surtout références historiques sont les ingrédients de ce récit poignant. Sans voile, sans remords est un voyage dans le passé pour faire entendre le “cri d'indignation” d'une femme qui ne comprend pas pourquoi le sort s'acharne sur elle. C'est également se soulever contre l'intolérance, la xénophobie, le machisme, le sexisme qui sont ancrés dans notre société. En filigrane, l'histoire de Bahidja c'est avant tout un message de tolérance de la part de l'auteure qui a été touchée dans sa chair. C'est “le triomphe de l'amour sur l'obscurantisme, les larmes, le sang”. A I Sans voile, sans remords, Leïla Aslaoui Hemmadi, éditions Daliman, Alger, 206 pages.