Le montant des tirages effectués par la Banque d'Algérie à fin novembre 2017 justifie le rythme accéléré voulu par le gouvernement. Les querelles sordides autour des prochaines joutes électorales plongent à nouveau les réformes économiques dans le flou. La multiplication des interventions contradictoires, provenant par moments de sources anonymes, voire d'origine douteuse, au sujet de certaines réformes pourtant inévitables, a fini par inhiber le projet de refonte. Subventions, partenariats public-privé, encadrement des importations, ajustements budgétaires… sur toutes ces réformes, aussi indispensables qu'incontournables, plus personne ne parle. Seule la planche à billets fait sentir ses vrombissements. Le montant des tirages effectués par la Banque d'Algérie à fin novembre 2017 justifie le rythme accéléré voulu par le gouvernement. 2185 milliards de dinars, soit l'équivalent de 19 milliards de dollars, ont été produits pour monétiser les déficits à fin novembre 2017, lit-on dans l'avant-dernier Journal officiel, alors que le ministre des Finances jurait ses grands dieux que les besoins en financement s'élevaient à seulement 570 milliards de dinars pour 2017 et 1800 milliards de dinars pour 2018. Les montants étaient communiqués le dimanche 10 décembre, dans les coulisses du Sénat, à l'occasion d'une plénière consacrée à la présentation du projet de loi de finances 2018. Pendant les navettes parlementaires, alors que la polémique enflait sur le recours à la planche à billets, le gouvernement se défendait d'avoir choisi la facilité et assurait que l'usage qu'il en fera, les montants et la durée sont minutieusement calculés. En pratique, le quitus du Parlement a donné lieu à des revirements pour le moins dangereux et scandaleux ; on est passé de l'objectif de couvrir les salaires de novembre à celui de monétiser les déficits abyssaux du Trésor ; d'un besoin de 570 milliards de dinars pour 2017 à un tirage de 2185 milliards de dinars à fin novembre 2017. Economistes et institutions monétaires multilatérales n'avaient pas tort d'avertir que la planche à billets, validée en Conseil des ministres (6 septembre 2017) et présentée alors comme étant le résultat palpable de toute la lucidité du président de la République, risque d'être source à problème dans la mesure où elle ne s'accompagne d'aucune manette de contrôle, voire d'un projet de réformes économiques et budgétaires. Ce dont les économistes avaient peur allait se confirmer quelques semaines plus tard : le financement non conventionnel allait être placé au-dessus de toutes les réformes. Celle des subventions d'abord. Et la cession de certains actifs publics obsolètes ensuite. Manœuvres politiques En l'espace de quelques mois, le gouvernement semble avoir changé son fusil d'épaule. Ce n'est pas tout à fait ça. C'est que le chef de l'Etat était intervenu maintes fois pour tenter «un recadrage» tant sur la question des partenariats public-privé que sur l'épineux dossier des subventions. Des interventions aux calculs politiciens, des changements de cap par rapport à de précédentes lois – dont la loi de finances 2016 qui autorisait l'ouverture du capital des entreprises publiques à l'actionnariat privé –, des ministres qui se font remonter les bretelles pour avoir livré les secrets de la réforme en cours des subventions, levées de boucliers chroniques chez les lieutenants du FLN accusant le Premier ministre de vouloir passer outre les orientations du Président pour s'offrir une voie VIP vers la Présidence… dans ce cafouillis de remises en cause, les réformes économiques et budgétaires sont à nouveau mises au frigo en attendant que la fin des joutes politiques en prévision de 2019 soit sifflée par les tenants du pouvoir. Mais le temps presse et cette énième année blanche risque de se révéler fatale. Les clignotants au rouge vermeil pour nombre d'indicateurs. Le gouvernement ne dispose plus que d'une infime marge de manœuvre, faute d'une avancée appréciable sur certaines réformes budgétaires et économiques. La première porte sur l'assainissement des finances publiques et la réduction des dépenses. Le dossier des subventions y figure. La seconde porte sur l'impératif retour de la croissance, l'efficience de l'investissement public. La cession de certains actifs figurait également dans cette boîte à outils dont l'Exécutif voulait disposer pour faire face à la crise. Il reste donc de nombreux défis à relever. Le FMI, qui a dépêché cette semaine ses experts sur Alger, appelle à ne pas perdre de vue le risque inflationniste, le chômage des jeunes, le déficit des comptes extérieurs qui pourrait accélérer la fonte des réserves de change, seul élément attestant de la solvabilité du pays, etc. Face à de telles alertes, voire à l'urgence d'une gestion clairvoyante qui n'a jamais semblé aussi pressante, les manœuvres politiciennes en vue des prochaines élections semblent prendre le dessus. En tout cas, pour les besoins les plus pressants, l'Etat fait tourner sa planche à billets, quitte à flirter avec les fièvres inflationnistes. Du reste, le projet des réformes structurelles que l'on ne cessait de chanter sur tous les toits semble renvoyé aux calendes grecques. Eventuellement pour l'après-avril 2019.